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France/Kazakhstan : Courrier au président Hollande à l’occasion de sa visite au Kazakhstan

Recommandations relatives à la mauvaise situation des droits humains dans ce pays

Monsieur François Hollande
Président de la République
Palais de l’Elysée
55 rue du Faubourg Saint Honoré
75008 Paris

Paris, le 3 décembre 2014

Objet : Votre visite au Kazakhstan

Monsieur le Président,

Lors de votre visite officielle au Kazakhstan, les 5 et 6 décembre, à l’occasion de la clôture de l'« Année du Kazakhstan en France », vous rencontrerez le président Nursultan Nazarbaev et d'autres hauts responsables du gouvernement.

Nous pensons que cette visite représente une rare occasion de soulever directement les préoccupations de la France au sujet de diverses questions liées aux droits humains au Kazakhstan, et de faire pression pour obtenir une amélioration concrète de cette situation qui continue de se détériorer. Nous vous encourageons également à profiter de votre visite pour rencontrer des organisations de la société civile kazakhe ainsi que des défenseurs des droits humains.

Human Rights Watch a documenté les conditions des droits humains au Kazakhstan depuis près de vingt ans. Nous sommes particulièrement préoccupés par l'impunité pour les actes de torture, l'emprisonnement des opposants au gouvernement, les contrôles stricts sur les médias, la restriction des libertés d'expression et d'association, les limites à la liberté religieuse, et les violations continues des droits des travailleurs.

En 2014, une importante révision législative à l’initiative du gouvernement a ignoré les demandes exprimées par les plus grands groupes de droits humains kazakhs, ainsi que les préoccupations en provenance de l'Union européenne, des États-Unis et du Royaume-Uni. Elle a abouti à l'adoption de nouveaux codes pénal et administratif et une nouvelle loi sur les syndicats, qui restreignent les libertés fondamentales en violation des normes internationales.

Torture et mauvais traitements : Alors que le Kazakhstan a annoncé une politique de tolérance zéro contre la torture, l'impunité reste pourtant la norme. Il existe un écart considérable entre la loi et la pratique. L'absence d'enquêtes efficaces sur les allégations graves et crédibles de mauvais traitements et de torture à la suite des violences qui ont eu lieu à Zhanaozen en décembre 2011 reste particulièrement notable. La semaine dernière, le Comité des Nations unies contre la torture a fait part de sa préoccupation sur les "allégations persistantes de torture et de mauvais traitements commis par les responsables de l'application de la loi" au Kazakhstan.

Emprisonnement d’opposants du gouvernement : Human Rights Watch note la libération conditionnelle en novembre de la militante des droits des travailleurs, Mme Rosa Tuletaeva, mais reste très préoccupé par le maintien en détention du chef de l'opposition Vladimir Kozlov, une figure de premier plan, du militant syndical Maksat Dosmagambetov et du défenseur des droits Vadim Kuramshin, suite à des procès entachés d’irrégularités . En outre, en juillet, sur la base d’une pratique qui rappelle les peines qui étaient infligées durant l'ère soviétique, les autorités ont placé une avocate indépendante, Zinaida Mukhortova, en détention psychiatrique contre son gré, où elle demeure à ce jour.

Restrictions de la liberté des médias et de la liberté d'expression : La liberté d'expression au Kazakhstan est extrêmement restreinte et la diffamation reste une infraction pénale. Les autorités ont persisté dans la répression sur les médias et la liberté de parole en fermant des journaux indépendants et d'opposition, y compris Pravdivaya Gazeta en février et l'Assandi Times en avril. Aussi récemment, le 20 novembre, un tribunal d'Almaty a émis une injonction pour arrêter la distribution et la publication d'une autre publication critique, le magazine ADAMbol. Dans une autre affaire en date du 28 octobre, un tribunal d'Almaty a infligé une amende de 188 000 dollars de dommages-intérêts à une agence de publicité pour avoir diffusé une affiche illustrant deux icônes culturelles mâles qui s’embrassent. Cette décision risque d’avoir un effet dissuasif sur la liberté d'expression et la créativité au Kazakhstan, et illustre l’intolérance et les préjugés à l’égard de l'homosexualité.

Atteintes à la liberté d'association et de réunion : Les autorités kazakhes maintiennent également des règles très restrictives sur la liberté de réunion. Les réunions publiques pacifiques de nature politique se voient souvent refuser le permis nécessaire à leur tenue, et les autorités diffusent régulièrement des accusations à l’encontre des participants aux manifestations non autorisées, les condamnant à des amendes ou à des peines d’emprisonnement. En février, par exemple, la police de Almaty a dispersé plusieurs manifestations de petite échelle, dont une où un seul blogueur manifestait.

Atteintes à la liberté de culte : Après l'adoption d'une loi restrictive sur la religion en 2011, le gouvernement a durci le ton sur les groupes religieux minoritaires, en se basant sur les dispositions de la loi sur la religion pour condamner à une amende ou détenir des fidèles qui pratiquent pacifiquement leurs religions en dehors du contrôle de l'Etat. Selon Forum18, un groupe actif pour défendre la liberté religieuse, une douzaine de personnes ont été emprisonnées depuis le début de l’année, et plus de 45 personnes ont été condamnées à une amende.

Violations des droits des travailleurs: La législation régissant l'organisation, le financement, et les droits de négociation collective des syndicats reste restrictive et viole les obligations du Kazakhstan en vertu du droit international. L'introduction de sanctions pénales pour avoir appelé les travailleurs à poursuivre une grève déclarée illégale par les tribunaux limite davantage le droit de grève des travailleurs. Dans le passé, Human Rights Watch a également documenté des situations de servitude pour dettes, de travail forcé, de travail dangereux des enfants, et d'autres violations contre les travailleurs migrants qui travaillent dans l’industrie du tabac.

Nous considérons qu'il est essentiel que vous exprimiez aux autorités du Kazakhstan votre profonde préoccupation face à la poursuite de ces violations des droits humains, et insistiez sur la nécessité pour le gouvernement de prendre des mesures décisives pour mettre fin à ses politiques répressives.

Plus précisément, nous vous recommandons d’appeler le gouvernement du Kazakhstan à :

• Mettre fin aux fermetures de médias indépendants et d'opposition et permettre à ceux qui ont été contraints d’arrêter leurs activités de les reprendre.

• Supprimer les restrictions excessives à la liberté de réunion et s’assurer que les lois sur les réunions publiques sont en conformité avec les obligations internationales du Kazakhstan.

• Réexaminer la loi de 2011 sur la religion en vue de s’assurer que ses dispositions sont conformes à la Constitution du pays ainsi qu’aux normes internationales des droits humains.

Libérer Vladimir Kozlov, dont la condamnation est fondée sur des accusations vagues et un procès inéquitable ; Maksat Dosmagambetov et Vadim Kuramshin, dans l’attente d’un examen complet et impartial de leurs cas ; et Zinaida Mukhortova, qui a subi un internement psychiatrique forcé.

• Enquêter immédiatement et de manière impartiale sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, et traduire en justice les individus responsables.

• Respecter et promouvoir la liberté d'association et les droits des travailleurs à former des syndicats indépendants, mener des grèves, et négocier collectivement avec les employeurs, conformément aux obligations du Kazakhstan en vertu du droit international des droits humains.

Nous sommes convaincus qu’une prise de parole de votre part serait un signal important pour la communauté locale des droits humains et pour la population kazakhe en général.

Nous vous remercions par avance de l’attention que vous porterez aux questions que nous soulevons.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.

Jean-Marie Fardeau
Directeur France
Human Rights Watch

Hugh Williamson
Directeur, division Europe et Asie centrale
Human Rights Watch

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