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République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissées pour compte

Les agences d’aide humanitaire devraient intégrer ces personnes dans leurs plans d’intervention et répondre à leurs besoins fondamentaux

(Nairobi) – Les personnes handicapées en République centrafricaine ont souvent été laissées pour compte et ont dû faire face à de multiples difficultés pour fuir vers un endroit sûr au moment où leur communauté était victime d’attaques brutales de la part de groupes armés au début de l’année 2013, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Lorsqu’elles parvenaient à atteindre les camps de déplacés internes, elles étaient confrontées à de nouvelles difficultés d’accès à l’hygiène, à la nourriture et à l’assistance médicale.  Human Rights Watch a diffusé une nouvelle vidéo dans laquelle des personnes en situation de handicap décrivent leurs propres combats pendant le conflit.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait reconduire la mission de maintien de la paix en République centrafricaine le 28 avril 2015. Son mandat devrait inclure pour la première fois une clause spécifique imposant de porter une attention particulière aux besoins des personnes en situation de handicap, et imposant également de signaler et prévenir les abus à leur encontre.

« L’isolement, l’abandon et l’oubli dont sont victimes les personnes handicapées figurent parmi les aspects les plus ignorés du conflit en République centrafricaine », a déclaré Kriti Sharma, chercheuse sur les droits des personnes handicapées à Human Rights Watch. « L’action du Conseil de sécurité permettra de mieux attirer l’attention sur les besoins des personnes handicapées. »

Human Rights Watch a fait part de ses conclusions à un certain nombre de membres du Conseil de sécurité, d’agences des Nations Unies et d’organisations humanitaires. Un haut représentant des Nations Unies, bien au fait des interventions d’urgence en République centrafricaine, a indiqué à Human Rights Watch : « Nous n’accordons pas assez d’importance à la question du handicap. Nous devrions le faire davantage. Il n’y a pas place pour la discrimination dans l’action humanitaire. »

La République centrafricaine traverse une crise grave depuis début 2013, au moment où les rebelles de la Seleka, à majorité musulmane, se sont emparés du pouvoir au cours d’une campagne marquée par le massacre massif de civils, l’incendie et le pillage d’habitations et d’autres crimes graves. Mi-2013, des groupes se faisant appeler les anti-balaka se sont organisés pour combattre la Seleka. Les anti-balaka ont mené des actions de  représailles à grande échelle contre les civils musulmans à Bangui, la capitale, et dans les régions occidentales du pays. Des milliers de personnes ont été tuées et des centaines de milliers ont été déplacées pendant le conflit, y compris des personnes handicapées.

 

« Pendant la guerre, des personnes handicapées ont tout perdu : leur chaise roulante, leur maison, leurs moyens d’existence », a déclaré à Human Rights Watch Simplice Lenguy, président du groupe représentant les personnes handicapées dans le camp de M’Poko, lieu d’accueil des déplacés internes à Bangui. « Il sera impossible de revenir dans nos quartiers sans un soutien significatif des organisations humanitaires ».

« Les personnes en situation de handicap auront besoin d’aide pour reconstruire leur maison, pour se nourrir et pour se soigner et également pour créer des activités génératrices de revenus, a-t-il indiqué. Le départ volontaire des réfugiés du camp de M’Poko devaitcommencer dès le 24 avril. Les services d’aide et de soutien aux personnes handicapées sont d’une importance particulière au moment où le gouvernement de transition commence à fermer les camps de déplacés et à aider les populations à rentrer chez elles.

Du 13 au 20 janvier et du 2 au 14 avril, Human Rights Watch a interrogé 49 personnes à Bangui, à Boyali, à Yaloké, à Bossemptélé et à Kaga Bandoro, parmi lesquelles 30 personnes avec un handicap physique, sensoriel, mental ou intellectuel, des membres de leurs familles, des représentants du gouvernement, des diplomates, ainsi que des représentants des agences d’aide et des organisations locales s’occupant des personnes handicapées.

Human Rights Watch a constaté qu’au moins 96 personnes en situation de handicap avaient été abandonnées ou n’avaient pas pu s’échapper et que onze personnes avaient été tuées à Bangui, à Boyali, à Yaloké et à Bossemptélé. Ce chiffre n’est sans doute qu’une fraction du total. La plupart a passé des jours ou des semaines (et dans quelques cas, jusqu’à un mois) dans des quartiers ou villages désertés avec très peu d’eau et de nourriture. Les personnes avec un handicap physique ou sensoriel qui ont été interrogées, notamment celles qui ont été abandonnées, n’ont pas pu parcourir le chemin qui leur était inconnu et en mauvais état sans assistance.

Hamamatou, une jeune fille de 13 ans atteinte de polio et originaire de la ville de Guen, dans le sud-ouest de la République centrafricaine, a déclaré à Human Rights Watch que, lors de l’attaque de son village, son frère l’avait portée sur son dos jusqu’à ce qu’il soit trop fatigué pour continuer. « Je lui ai dit : ‘Souleymane, pose-moi par terre et sauve-toi toi-même’ Il m’a dit qu’il reviendrait me chercher s’ils ne le tuaient pas. » Il n’est jamais revenu.

Lorsque les combattants anti-balaka l’ont trouvée deux semaines plus tard, Hamamatou a décrit ce qu’il s’était passé : « Les combattants ont dit : Nous avons trouvé un animal, achevons-le. » Un autre soldat anti-balaka est intervenu pour lui sauver la vie.

Le Père Bernard Kinvi, directeur de l’hôpital catholique de Bossemptélé, à 300 kilomètres au nord-ouest de Bangui, a indiqué que lui et ses confrères prêtres ont passé des jours à rechercher des survivants suite au massacre de quelques 80 personnes par les milices anti-balaka en janvier 2014. D’après leurs informations, 17 personnes sur les 50 laissées sur place à Bossemptélé étaient des personnes handicapées. Parmi elles, une vieille femme aveugle qui avait été laissée pour morte et qui a passé cinq jours allongée dans le lit de la rivière au milieu de plusieurs cadavres ; un jeune homme atteint de polio qui s’était caché pendant cinq jours après le massacre et un vieil homme ayant perdu ses mains et ses pieds à cause de la lèpre qui a été trouvé abandonné chez lui plusieurs jours après le massacre.

La gravité de la crise en République centrafricaine, associée au nombre alarmant de situations d’urgence humanitaires qui éclatent au même moment dans le monde entier, fait peser un poids extraordinairement lourd sur les agences d’aide. Bien que les Nations Unies aient qualifié la situation en République centrafricaine de l’une des plus graves selon leurs normes, le pays n’a pas reçu le financement humanitaire adéquat. Selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (UNOCHA), depuis le début de l’année 2015, la République centrafricaine a reçu environ 126 millions de dollars US, soit moins de 20 pour cent des 613 millions de dollars que son plan d’intervention stratégique requiert.

 



Avec un soutien financier limité, les agences d’aide ont souvent été dans l’incapacité de tenir compte des difficultés spécifiques auxquelles font face les personnes en situation de handicap. Sur les huit agences d’aide non gouvernementales des Nations Unies que Human Rights Watch a interrogées, aucune ne collectait de façon systématique des données sur les personnes handicapées, et leurs besoins n’étaient pas pleinement pris en compte dans le programme humanitaire.

Les Nations Unies, les agences d’aide non-gouvernementales et le gouvernement de transition doivent tenir compte des besoins des personnes handicapées dans leur réponse à la crise et doivent intégrer les personnes handicapées dans leurs processus de planification et de prise de décision, a indiqué Human Rights Watch. Pour que ce travail fondamental puisse s’opérer, il est essentiel que les donateurs investissent dans des initiatives humanitaires intégrant le handicap.

Les organisations gouvernementales et les agences d’aide doivent commencer à collecter de manière systématique des données sur les personnes handicapées afin de les inclure dans les décisions politiques et les programmes d’assistance. La question des personnes handicapées doit être portée à l’ordre du jour du Forum de Bangui, un dialogue national qui devrait avoir lieu du 4 au 10 mai. Le gouvernement doit également prendre des mesures pour assurer la pleine participation des personnes handicapées aux élections programmées en août.

« Les personnes handicapées sont trop souvent négligées par les groupes d’aide et les missions de maintien de la paix dont l’objectif est d’aider les victimes du conflit », a déclaré Kriti Sharma. « Les Nations Unies et les agences d’aide doivent former leur personnel afin de garantir que les personnes handicapées ont un accès équitable à tous les services dans les camps et dans leur communauté lorsqu’elles rentrent chez elles ».

CONTEXTE

Fuir la violence
Début 2014, au plus fort du conflit, les évacuations massives de dizaines de milliers de musulmans originaires de la capitale, Bangui, et des villes et villages de tout l’ouest de la République centrafricaine ont laissé de côté les personnes handicapées. Les camions utilitaires utilisés pour le transport des personnes vers les camps de déplacés internes ou de réfugiés situés dans les pays voisins étaient très hauts et les personnes avec un handicap physique avaient donc de très grandes difficultés à y accéder sans une aide extérieure. Dans la fuite chaotique et désespérée, compter sur une aide pour embarquer à bord des camions était rare voire impossible.

Lorsque plus de 1 500 musulmans ayant survécu aux massacres ont fui la ville de Bossemptélé en mars et avril 2014 dans des camions utilitaires, Human Rights Watch a constaté qu’au moins 17 personnes handicapées, pour la plupart des enfants rescapés de la polio, avaient été laissées sur place.

Celles qui parvenaient à embarquer étaient souvent incapables de prendre leur fauteuil roulant ou leur dispositif d’aide à la mobilité car il n’y avait qu’un espace limité sur les véhicules ; en outre, l’embarquement était souvent chaotique, les personnes n’ayant que quelques minutes pour monter sur le camion si elles ne voulaient pas être laissées sur place.

Quelques personnes handicapées ont décidé de rester plutôt que de laisser leur chaise roulante. « Comment les personnes handicapées se déplaceront-elles sans leur tricycle une fois qu’elles arriveront dans les camps ?, a demandé un défenseur des droits des handicapés. Elles préféraient mourir dignement et fièrement chez elles ».

Dieudonné Aghou, vice-président de l’Organisation nationale des Associations des personnes handicapées (ONAPHA), a déclaré à Human Rights Watch : « Les soldats de la Seleka perpétraient les attaques très subitement, au volant de leurs 4x4 lancés à toute vitesse ; tous ceux qui ne pouvaient pas fuir rapidement étaient attaqués. Même dans la seconde phase, pendant les représailles anti-balaka, des familles ont fui laissant derrière elles leurs proches handicapés. Sur la liste des victimes figurent de nombreuses personnes handicapées ; aucune organisation fiable ne travaille encore sur nos besoins dans [ce] conflit ».

Obstacles à la fuite
L’absence d’équipements d’assistance comme les chaises roulantes, les tricycles, les béquilles, etc., qui étaient perdus dans la panique, abandonnés ou pillés, rendait difficile toute échappée. Un handicapé physique vivant à Bangui a déclaré à Human Rights Watch : « Ils ont cassé la porte, pillé ma maison et pris ma chaise roulante. Si j’avais pu marcher, j’aurais pu me défendre ». Une autre difficulté était l’inaccessibilité du terrain, notamment dans les zones rurales où le seul endroit sûr pour se cacher était la brousse.

À Kaga Bandoro, Henry Gustave – un rescapé de la polio privé de l’usage de ses jambes – a expliqué à Human Rights Watch comment il avait fui après le début des combats en ville entre la Seleka et les anti-balaka en 2014 : « Je me suis servi de mon tricycle pour bouger rapidement et me cacher dans la brousse. Avec ma famille, nous avons fui dans la brousse et nous sommes restés là pendant deux mois ». Toutefois, ils ont dû se déplacer après la nouvelle attaque perpétrée par les bergers de l’ethnie peule qui ont parfois rejoint les rangs de la Seleka. « Quand nous avons été attaqués, j’ai voulu prendre le tricycle mais il était trop lourd et encombrant pour se déplacer dans la brousse ; nous avons donc dû le laisser là. Depuis, mon oncle est revenu pour le chercher, mais seul le cadre est récupérable ; tout le reste est détruit ».

De nombreuses personnes avec un handicap physique ou sensoriel pensaient que le voyage était trop compliqué à réaliser et ont ainsi décidé de rester. Jean-Richard, un homme présentant un handicap physique, a déclaré à Human Rights Watch : « Dans mon état, je ne pouvais pas partir [sans assistance]. Tout le monde est parti mais, moi, je suis resté et je me suis enfermé dans la maison. Je suis resté là pendant une semaine sans nourriture ».

Certaines personnes handicapées ont choisi de rester chez elles pensant qu’elles allaient être épargnées par les attaquants du fait de leur handicap. Mais, dans certains cas, des personnes handicapées qui ont été dans l’incapacité de fuir ont été tuées par les attaquants. Dans l’attaque de la Seleka de novembre 2013 perpétrée à Ouham-Bac dans la région nord-ouest de la République centrafricaine, un homme aveugle et un autre homme avec un handicap physique ont fait partie des 11 victimes tuées dans l’attaque. Des proches qui ont retrouvé plus tard le corps de l’homme aveugle ont indiqué à Human Rights Watch qu’il semblait avoir été sorti de sa cache et traîné pour être exécuté.

Abandon
Les familles de personnes handicapées font face à un choix difficile lors d’un conflit, a constaté Human Rights Watch. Elles ont souvent une décision à prendre en une fraction de seconde : fuir et sauver leur vie ou prendre le risque de se faire tuer pour sauver un proche handicapé. C’est pour cette raison que les personnes avec un handicap physique ou sensoriel ont souvent été laissées pour compte.

Les défenseurs des droits humains et des droits des handicapés ont déclaré à Human Rights Watch que, d’après les informations qu’ils ont pu recueillir dans leurs propres districts, 57 personnes handicapées ont été trouvées abandonnées chez elles à Bangui. Le chiffre total est sans doute plus élevé.

Ambroise, un jeune handicapé physique de 27 ans originaire de Bangui, a décrit ce qu’il s’est passé le 9 décembre lorsque la Seleka a pénétré dans son quartier : « Les soldats de la Seleka sont arrivés et ont commencé à tuer des gens. J’étais profondément endormi lorsque j’ai entendu des coups de feu ; je me suis réveillé et je me suis retrouvé seul à la maison. Mes parents avaient fui sans moi. J’ai commencé à crier et j’ai rampé jusqu’à l’entrée de ma maison mais lorsque j’ai regardé dehors, il n’y avait personne. Je suis resté seul pendant une journée jusqu’à ce qu’un jeune homme passe par là. J’ai commencé à pleurer lorsque je l’ai vu et je l’ai imploré : ‘S’il-te-plaît ! Aide-moi ! Si tu me laisses ici, je vais mourir’. Le jeune garçon a eu peur pour moi et a accepté de me porter sur son dos jusqu’à l’aéroport [le camp des déplacés] ».

Absence d’information ou de sensibilisation
Comme les attaques se produisaient subitement, les personnes sourdes ou présentant un handicap mental ou intellectuel ne les entendaient tout simplement pas, ne se rendaient pas compte ou ne comprenaient pas ce qu’il se passait. Human Rights Watch a documenté le cas d’un tailleur de Bangui présentant un handicap mental. Il a été abattu par les soldats de la Seleka car il continuait de travailler dans son atelier sur le marché alors que tout le monde fuyait. L’une de ses connaissances a indiqué : « Il n’avait tout simplement pas compris ».

La situation des personnes avec un handicap mental ou intellectuel a été particulièrement ignorée puisque même les organisations nationales défendant les droits des handicapés se concentrent presqu’exclusivement sur les handicapés physiques et souvent n’intègrent pas dans leur travail les personnes présentant un handicap mental ou intellectuel.

La vie dans les camps de déplacés
La vie dans le camp de déplacés internes de M’Poko, situé à proximité de l’aéroport de Bangui, ainsi que dans les enclaves musulmanes, comme celle de Yaloké, est difficile pour tous. Cependant, les personnes handicapées font face à des difficultés supplémentaires lorsqu’il s’agit de satisfaire leurs besoins fondamentaux tels que l’approvisionnement en nourriture, l’hygiène et la santé. Des problèmes similaires sont susceptibles d’être relevés dans des camps dans toute la République centrafricaine car le nombre de déplacés internes monte en flèche dans la partie centrale du pays.

Dans l’un ou l’autre des sites identifiés ci-dessus, les autorités locales et les agences humanitaires ne collectent pas de manière systématique les données sur les personnes handicapées. Les groupes locaux s’occupant des personnes handicapées ont identifié 123 personnes avec un handicap physique et sensoriel dans le camp de M’Poko. Compte tenu du fait que le camp accueillait 18 300 personnes début avril et qu’aucune donnée n’existe sur les personnes avec un handicap mental ou intellectuel, il est probable que ce chiffre sous-estime grandement le problème.

Pour les personnes présentant un handicap physique ou sensoriel, il peut être difficile de se mouvoir dans les camps de déplacés. Les personnes handicapées qui ont été interrogées ont indiqué qu’elles étaient dans l’incapacité de rejoindre les sites de distribution de nourriture. Soit le lieu leur était inaccessible, soit elles arrivaient une fois la distribution terminée, tardant à rejoindre le site sans aide extérieure. Les distributions de nourriture dans le camp de M’Poko ont pris fin au premier trimestre 2014.

Suite à la décision du gouvernement de renvoyer chez elles les familles accueillies dans le camp M’Poko à Bangui, les organisations d’aide vont faciliter leur retour en leur fournissant des rations de nourriture pour deux mois et pour quatre mois pour les plus vulnérables. Elles vont également leur donner environ 90 000 francs CFA (soit près de 150 $US correspondant à six mois de loyer), une bâche en plastique, un kit d’hygiène pour les femmes et trois moustiquaires.

Une fois que ces familles seront de retour chez elles, les organisations d’aide travailleront avec les autorités locales afin de garantir qu’elles ont accès aux services comme les soins médicaux et l’éducation. Il sera essentiel d’inclure pleinement les personnes handicapées dans ces initiatives.

Hygiène et santé
L’environnement dans le camp de M’Poko à Bangui et dans d’autres sites de déplacés est inaccessible, avec des sols accidentés et des fossés ouverts d’évacuation des eaux usées qui compliquent les déplacements sans assistance des personnes aveugles ou des personnes en fauteuil roulant.

Accéder aux installations de base comme les latrines peut s’avérer compliqué car certaines ne sont pas totalement accessibles et souvent les personnes avec un handicap physique doivent ramper sur le sol pour y entrer, s’exposant ainsi à d’éventuels risques sanitaires. Jean, un handicapé physique vivant dans le camp de M’Poko, a déclaré : « Mon tricycle ne rentre pas dans les toilettes et je dois me mettre à quatre pattes et ramper. Au début, j’avais des gants pour mes mains ; ainsi je ne mettais pas d’[excrément] sur mes mains mais désormais je dois utiliser des feuilles ».

Pour les personnes aveugles, se déplacer autour du camp sans assistance peut être extrêmement dangereux car elles peuvent tomber dans des fossés ouverts d’évacuation des eaux usées ou se brûler dans des feux de camp. Human Rights Watch a entendu plusieurs cas où des personnes aveugles du camp de M’Poko avaient été brûlées par des feux de camp ou de l’eau bouillante. Aimé, résident non-voyant du camp de M’Poko et musicien populaire, a déclaré à Human Rights Watch : « Parfois, je suis tellement en colère et découragé par les difficultés de la vie ici que je reste simplement à l’intérieur toute la journée ».

Sans aide à la mobilité, de nombreuses personnes handicapées doivent ramper sur le sol pour se déplacer et il existe, par conséquent, un grand risque d’infections graves, notamment de problèmes respiratoires liés à l’inhalation de quantités excessives de poussière.

Les personnes handicapées font également face à des obstacles plus grands dans l’accès aux soins médicaux de base, même lorsque ces soins sont dispensés dans le camp. Ceci ne concerne pas seulement les personnes avec un handicap physique, qui seraient incapables de se rendre à la clinique, mais touche également les personnes avec un handicap sensoriel.

La clinique médicale du camp de M’Poko ne dispose d’aucun assistant pour faciliter la communication avec les personnes sourdes. Par conséquent, les personnes sourdes qui ne peuvent ni lire ni écrire et qui ne sont pas accompagnées d’un proche ou d’un ami pour les aider dans la communication pourraient hésiter à demander une aide médicale ou avoir du mal à communiquer, si elles le font.

Gilbert Nguerepayo, un interprète en langue des signes qui vivait dans le camp de Don Bosco à Bangui, a indiqué à Human Rights Watch : « Les organisations humanitaires ne font pas assez attention aux personnes sourdes. Les soins médicaux sont un véritable problème. Il n’y a personne pour les soutenir et elles font face à des difficultés de communication ». À la demande des personnes sourdes, Gilbert Nguerepayo a souvent facilité la communication entre elles et les médecins dans son camp, mais les personnes sourdes à M’Poko ne bénéficiaient pas de ce soutien, en l’absence d’un interprète en langue des signes dans le camp. L’organisation locale s’occupant des personnes handicapées à M’Poko fait appel à lui pour servir d’interprète dans le cadre d’événements mais pas pour des cas individuels. Nguerepayo est l’un des rares interprètes en langue des signes du pays et est en grande partie autodidacte.

Dans l’enclave musulmane de Yaloké, l’accès aux soins médicaux et à la nourriture a été extrêmement limité, notamment pour les personnes handicapées. Mamadou, un rescapé de la polio âgé de 14 ans, a fui sa maison à dos d’âne. Le père de Mamadou a raconté à Human Rights Watch : « Nous avions un âne pour transporter Mamadou mais il est mort en chemin. Nous avons dû négocier pour acheter un autre âne mais lorsque nous sommes tombés sur les anti-balaka, ils nous l’ont volé. Nous ne savions pas quoi faire ; alors ma femme et moi-même nous sommes relayés pour le porter. Mamadou pleurait à n’en plus finir ».

À cause du terrain accidenté et bosselé, Mamadou est tombé quelques fois au cours du trajet et a subi des blessures qui n’ont pas été traitées et qui l’empêchent même de se tenir sur une canne. « Avant [la guerre], Mamadou allait mieux ; maintenant, il ne peut même pas marcher », a indiqué son père. Une fois qu’il a atteint l’enclave de Yaloké, sa santé s’est détériorée car, d’après sa famille, il devait ramper sur le sol et n’avait que peu à manger. Bien que sa famille l’ait conduit vers la clinique la plus proche, les seuls médicaments disponibles étaient des antidouleurs légers.

Lorsque Human Rights Watch a interrogé Mamadou en janvier, il pesait moins de 8 kilos et, d’après le médecin de la mission catholique de Bossemptélé, souffrait d’une infection pulmonaire aiguë due à la poussière qu’il inhalait lorsqu’il rampait sur le sol. Les terribles conditions de vie et l’absence d’accès aux soins médicaux ont causé la mort de 53 personnes parmi la communauté des déplacés du camp, y compris des enfants et adultes handicapés, la cause de ces décès étant attribuable à la malnutrition, aux maladies respiratoires et à d’autres maladies.

D’après les deux grandes organisations d’assistance médicale, le manque de professionnels formés limite les services de soins de santé mentale et de soutien aux personnes avec un handicap psychologique. Dans les endroits où Human Rights Watch a réalisé ses recherches, il n’existait pas de services de santé mentale communautaires disponibles ; et seulement un hôpital à Bangui administre quelques médicaments pour le traitement des troubles psychologiques. Avant le conflit, il y avait déjà une grave pénurie de services de santé mentale, avec seulement quelques professionnels et quelques services disponibles. Toutefois, les besoins en termes de soins de santé mentale ont augmenté. Le conflit a traumatisé une partie importante de la population, aboutissant à une hausse des pathologies mentales y compris les troubles de stress post-traumatiques et les dépressions.

Dans un cas qu’a documenté Human Rights Watch, un jeune garçon de 17 ans avec un handicap intellectuel et physique, Suleiman, fuyait vers la forêt lorsqu’il a vu son oncle se faire brutalement tuer. Suleiman semblait traumatisé par ce qu’il a vu mais il n’a jamais reçu aucun conseil ou soutien psychologique. Il a déclaré à Human Rights Watch : « La mort de mon oncle sous mes yeux continue de m’effrayer… Lorsque je dors, je fais des cauchemars dans lesquels je revois les images de ce que j’ai vécu. Je n’en ai parlé à personne ». Une organisation médicale non gouvernementale envisage d’apporter un soutien psychologique aux victimes de violence basée sur le genre, mais ces services n’aideront pas les autres personnes présentant des pathologies mentales.

Accès à la nourriture
Dans les camps de déplacés de M’Poko, de Yaloké et de Kaga Bandoro, les personnes handicapées, notamment celles sans famille, sont souvent incapables d’obtenir de la nourriture pendant les distributions car elles en sont généralement informées trop tard ou ne sont pas en mesure de se rendre sur le site du fait de son inaccessibilité. Les personnes handicapées vivant dans le camp de M’Poko ont organisé leur propre système de distribution de nourriture : quelques chefs de camp collectaient la nourriture pendant les distributions puis les donnaient à toutes les personnes handicapées qui étaient dans l’incapacité d’accéder au site de distribution. Toutefois, la décision du gouvernement transitoire de mettre fin aux distributions de nourriture a fortement porté préjudice aux personnes handicapées, notamment à celles qui n’ont pas de soutien familial ; cette décision contribue en outre à la malnutrition.

Rodrigue, un jeune handicapé physique vivant seul à M’Poko, doit payer quelqu’un chaque jour pour l’emmener dans une carriole en dehors du camp où il reste assis toute la journée sous le soleil à demander l’aumône pour pouvoir manger. De retour au camp, il est dépendant de la disponibilité et du bon vouloir de ses voisins pour lui cuisiner à manger et lui apporter de l’eau.

Une fois que le camp de M’Poko fermera et que les familles rentreront chez elles, les personnes handicapées comme Rodrigue risquent de continuer à rencontrer des difficultés pour se procurer de la nourriture et satisfaire d’autres besoins fondamentaux. Lorsque les familles auront fini la nourriture que les organisations humanitaires leur ont fournie, elles devront se procurer elles-mêmes de quoi manger. Pour les personnes handicapées, notamment celles qui ont été abandonnées par leur famille, ceci pourra s’avérer particulièrement difficile.

Pour certaines personnes handicapées vivant à Yaloké et à Kaga Bandoro, le simple fait de profiter des distributions de nourriture est difficile. La main droite de Noel a été amputée en 2014 après que des combattants de la Seleka lui ont tiré dessus à l’extérieur de Kaga Bandoro. « Il n’y a pas assez de nourriture et lorsque nous recevons de l’aide, je n’ai ni la force ni la capacité de porter mes denrées », a-t-il indiqué.

Accès à l’éducation
Human Rights Watch a constaté que très peu d’enfants handicapés sont inscrits dans les écoles des camps comme celui de M’Poko. L’école du camp de M’Poko compte plus de 3 797 enfants inscrits, parmi lesquels 14 seulement sont handicapés. Alors que l’école est accessible aux fauteuils roulants, la route pour se rendre à l’école ne l’est pas. Les enfants avec un handicap physique ne peuvent pas s’y rendre à moins qu’un membre de la famille ne les y emmène et ne vienne les chercher et qu’ils ne disposent d’un équipement d’assistance. Sans un équipement d’assistance comme une chaise roulante, les enfants avec un handicap physique peuvent avoir du mal à rester assis toute la journée sur le sol.

Le personnel de l’école a indiqué à Human Rights Watch que certains parents hésitent à envoyer les enfants avec un handicap physique à l’école car ils craignent que, en cas d’attaque, les enfants ne soient pas en mesure de fuir. Les enfants avec un handicap sensoriel ou intellectuel ne sont pas capables de suivre les cours à l’école car l’école ne dispose d’aucun enseignant formé aux méthodes inclusives.

« Aucun membre de notre personnel n’est formé pour enseigner aux enfants aveugles, sourds ou présentant un autre handicap, a indiqué un membre du personnel travaillant à l’école. Il ne sert donc à rien de laisser les enfants handicapés venir dans cette école ». Le personnel de l’école a incité les parents à inscrire leurs enfants mais n’a pas activement recherché à faire inscrire les enfants handicapés.

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