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UE : Les pays européens se défaussent de leur responsabilité de protéger les réfugiés

Absence de consensus sur la réinstallation obligatoire et détournement de l’attention vers les pays non européens

(Bruxelles, le 16 septembre 2015) – La réponse à la crise des réfugiés que les ministres de l'Intérieur de l'Union européenne (UE) ont formulée le 14 septembre est principalement axée sur le transfert de la responsabilité aux pays extérieurs à l'UE, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.

Les ministres ne sont pas parvenus à s’accorder sur une proposition de répartition obligatoire des demandeurs d'asile ou sur d'autres mesures destinées à protéger ces derniers à l'intérieur de l'UE, insistant au contraire sur l’accélération des retours vers les pays d’origine et la lutte contre les réseaux de passeurs. Au lieu d’aboutir à de nouvelles mesures concrètes pour se partager la responsabilité d’accueillir les réfugiés, la réunion spéciale du 14 septembre du Conseil de justice et des affaires intérieures de l'UE a porté sur l'aide à fournir aux pays qui n’en font pas partie.

« Face à la pire crise de réfugiés en Europe depuis l'effondrement de l’ex-Yougoslavie, la seule chose sur laquelle les gouvernements européens sont tombés d’accord, c’est de faire assumer la responsabilité de cette crise aux pays non-membres de l'Union », a déclaré Judith Sunderland, Directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « L'UE est censée bénéficier d’un régime d’asile européen commun, pourtant ses États membres ne peuvent même pas trouver le moyen de partager la responsabilité d’accueillir les personnes en quête de refuge. »

Les ministres de l'Intérieur n'ont pas réussi à convenir d'une répartition obligatoire des demandeurs d'asile entre pays de l'UE. Ils ont officiellement approuvé un régime d’accueil volontaire précédemment agréé, grâce auquel 40 000 demandeurs d'asile en provenance d'Italie et de Grèce seront réinstallés au cours des deux prochaines années – même si les promesses faites jusqu’à présent restent en deçà de cet objectif. Mais ils ont repoussé à plus tard le moment d’agir de manière décisive sur une récente proposition de la Commission européenne visant à établir un mécanisme obligatoire de réinstallation de 120 000 demandeurs d'asile supplémentaires en provenance de pays de l’Union qui font face à des afflux considérables. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a estimé plus réaliste le chiffre de 200.000.

Au cœur du processus de réinstallation déjà approuvé figure l’ouverture, en Italie et en Grèce, de centres dénommés « hotspots », où les individus seraient enregistrés et des décisions prises pour identifier les demandeurs d'asile et les sans-papiers susceptibles d’être expulsés. Ces « hotspots » semblent fonctionner à la fois comme centres d'accueil pré-installation et centres de détention pré-expulsion.

Compte tenu de l'accent mis sur la prévention de l’entrée des demandeurs d'asile, les projets de centres « hotspots » soulèvent des préoccupations quant au fait que les arrivants pourraient y être soumis à des procédures d'arbitrage accélérées ou détenus des mois durant, a estimé Human Rights Watch. Les pays de l'UE peuvent légalement reconduire vers leur pays d'origine des individus dépourvus de protection réelle et prendre des mesures en vue de leur expulsion, y compris la détention, sous réserve de garanties de procédures adéquates.

« En principe, le projet de centres ‘hotspots’ pourrait aider à gérer la situation, mais tout dépend des conditions d’accueil, du traitement, des procédures en vigueur et des engagements pris en faveur de la réinstallation », a déclaré Judith Sunderland. « Le risque, c’est d’aboutir à une détention massive sur une période indéfinie de demandeurs d'asile jusqu'à ce qu'un gouvernement de l'UE accepte de les accueillir ».

Les ministres de l'Intérieur ont également approuvé un plan visant à dresser une liste de « pays d'origine sûrs » au sein de l’UE, qui inclurait au minimum les Balkans occidentaux, à savoir la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, l’ex-République yougoslave de Macédoine, l'Albanie et le Monténégro (dans un premier temps envisagée, la Turquie n'a finalement pas été retenue). Les demandes d'asile de ressortissants de ces pays seraient traitées en vertu de procédures simplifiées, en partant du principe qu’une protection internationale serait dans leur cas superflue. Cette approche est préoccupante, dans la mesure où les demandes d'asile ne feraient pas l’objet d’un examen suffisant et que les droits d'appel pourraient s’avérer limités, avec pour conséquence d’exposer de nouveau des personnes nécessitant une protection à des actes de torture ou à des menaces d’attenter à leur vie ou à leur liberté, selon Human Rights Watch.

À juste titre, les ministres ont affirmé la nécessité de fournir un soutien renforcé au HCR, ainsi qu’aux pays voisins de la Syrie, afin d’améliorer les conditions d'accueil des réfugiés syriens, dont la majorité se trouve dans la région, où les efforts de secours des Nations Unies sont cruellement sous-financés.

Les ministres ont convenu d'accroître le soutien aux systèmes d'asile et d'accueil dans les pays situés en dehors de l'UE, y compris aux Balkans occidentaux, à la Turquie et à d'autres régions touchées. L'objectif serait de fournir des « perspectives et des procédures adéquates aux réfugiés et à leurs familles jusqu'à ce que le retour dans leur pays d'origine devienne possible ».

Le renforcement des capacités est toujours appréciable. Mais jusqu'à ce que les pays de transit soient en mesure de traiter les demandes d'asile conformément aux normes et procédures en vigueur dans l'UE et d'offrir des conditions d'accueil décentes et une protection efficace, il ne devrait pas être invoqué pour justifier la reconduction de demandeurs d'asile vers les pays de transit et les pays voisins, a indiqué Human Rights Watch.

Le 14 septembre, les ministres des affaires étrangères de l'UE ont également annoncé que l'opération EUnavFOR – la mission militaire de l'Union en Méditerranée – passerait à la deuxième phase de ses opérations à compter de mi-octobre. Sa flotte sera autorisée à aborder, voire saisir et détruire, les bateaux de passeurs. Human Rights Watch a encouragé à redoubler d’efforts pour que la sécurité des migrants et des demandeurs soit garantie dans le cadre de ces opérations.

Ces différentes réunions se sont tenues alors que l'Allemagne, l'Autriche, la Slovaquie et les Pays-Bas – pays qui font tous partie de l’espace commun Schengen – ont rétabli les contrôles temporaires à leurs frontières. La Hongrie a introduit un nouveau régime frontalier qui comprend une clôture avec la Serbie, la pénalisation des arrivées irrégulières et la désignation précédemment retenue de la Serbie comme pays tiers sûr. Ces mesures ont suscité des préoccupations quant au fait que la Hongrie pourrait détenir et reconduire sommairement à la frontière de nombreux demandeurs d’asile et migrants entrant dans le pays via la Serbie. Human Rights Watch a documenté les abus perpétrés par la police hongroise contre les migrants et les demandeurs d'asile, de même que les difficultés rencontrées dans les démarches de demande d’asile pour les individus entrant en Hongrie en passant par la Serbie. Le droit de contrôler aux frontières doit se faire dans le respect des règles de demande du droit d’asile et en l’absence de toute violation des droits humains, Human Rights Watch.

Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 430 000 demandeurs d'asile et migrants ont rejoint l'UE jusqu'à présent en 2015 ; 2 700 sont morts ou ont été portés disparus au cours de leur périple. Lors de la dernière tragédie en date, 34 personnes, dont 15 enfants, se sont noyées après que leur embarcation en bois a chaviré au large de l'île grecque de Farmakonisi, le 13 septembre dernier.

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