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Malaisie : Il faut cesser de criminaliser les critiques

Alors que l’ASEAN se réunit, le gouvernement devrait mettre un terme à la répression croissante contre les caricaturistes, les médias et l’opposants

(Kuala Lumpur, le 27 octobre 2015) – L’espace dévolu au débat public et à la liberté d’expression est en train de régresser rapidement en Malaisie, alors que le gouvernement utilise la législation pénale pour faire taire ceux qui le critiquent et étouffer le mécontentement populaire, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le Président américain Barack Obama et d’autres dirigeants mondiaux se rassembleront le 18 novembre 2015 à Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie. Il s’agit là d’une occasion de faire pression en faveur de réformes des lois draconiennes en vigueur, et pour mettre fin à la censure.

« Le Premier ministre malaisien Najib Razak et son gouvernement ont rompu à de nombreuses reprises leurs engagements en faveur d’une révision des lois qui criminalisent l’expression pacifique. Au lieu de faire cela, la Malaisie s’est mise à enchaîner quantité de procès contre des opposants », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie à Human Rights Watch. « En traitant les critiques comme un crime, le gouvernement est en train de tourner ses ambitions affichées en matière de démocratie et de droits fondamentaux en une véritable parodie. »

Le rapport de 141 pages, intitulé, « Creating a Culture of Fear: The Criminalization of Peaceful Expression in Malaysia » (« Créer une culture de la peur : Criminalisation de l’expression pacifique en Malaisie ») analyse la façon dont le gouvernement use et abuse de toute une gamme de lois vaguement formulées et approximatives pour faire de l’expression pacifique un crime, et notamment tout débat sur des sujets d’intérêt public. Le rapport met également en évidence une tendance inquiétante aux abus dans les procédures judiciaires, tels que des arrestations tard dans la nuit et des placements en détention provisoire sans justification, ainsi qu’un système de poursuites sélectives.



Le rapport s’appuie sur une analyse en profondeur de lois telles que la Loi sur la sédition, la Loi sur la presse écrite et l’édition, la Loi sur les communications et le multimédia, la Loi sur les réunions pacifiques ainsi que diverses dispositions du code pénal. Le rapport comprend également des interviews avec des activistes de la société civile, des journalistes, des avocats, des chercheurs, des politiciens d’opposition, ainsi que différentes déclarations publiques du gouvernement et articles de presse sur des procédures pénales impliquant la liberté d’expression ou de réunion pacifique. Human Rights Watch a écrit au Ministère de l’intérieur malaisien, au procureur général, à l’inspecteur général de la police, et au président de la Commission malaisienne sur les communications et le multimédia, sollicitant leur point de vue sur les questions soulevées dans le rapport ; aucun d’entre eux n’a répondu.

Quand le Premier ministre Najib Razak est arrivé en poste en avril 2009, il s’est engagé à « soutenir les libertés publiques » et à « respecter les droits fondamentaux des personnes ». Cependant, quand la coalition au pouvoir a perdu le soutien de la population lors des élections de 2013, une vague de répression des opposants a commencé. Celle-ci s’est intensifiée l’année dernière, face à de nombreuses critiques dans les médias et un mécontentement populaire croissant, sur des questions telles que l’imposition d’une nouvelle Taxe sur les produits et services, la réponse du gouvernement à un scandale de corruption retentissant impliquant la société « 1 Malaysia Development Berhad » (1MDB), appartenant au gouvernement, et dont le conseil consultatif est présidé par le Premier ministre Najib Razak.

Des manifestants vêtus de t-shirts jaunes soutenant la Coalition pour des élections libres et équitables (Bersih), lors d’un rassemblement à Kuala Lumpur, en Malaisie, le 29 août 2015, au lendemain d’une déclaration du ministère de l'Intérieur interdisant le logo et les t-shirts Bersih. © 2015 Storm Tiv / Human Rights Watch


Plutôt que d’ouvrir le débat sur le bien-fondé de ces questions, le gouvernement a réagi en arrêtant et souvent en poursuivant en justice ceux qui avaient des opinions critiques, notamment des politiciens d’opposition, des activistes, des journalistes et des citoyens ordinaires ; en suspendant trois journaux d’opposition pendant trois mois ; en bloquant des sites web ; et en déclarant les manifestations pacifiques « illégales ». Le gouvernement a été aidé dans ces efforts de répression par l’existence de lois approximatives et vaguement formulées, qui autorisent des sanctions pénales pour des actes d’expression pacifique, en contradiction avec les normes juridiques internationales qui protègent ces droits. « La Malaisie devrait cesser de fermer les médias et de faire taire les critiques, » affirme Brad Adams. « Ces actes sont de plus en plus remarqués par la communauté internationale, et envoient le message que l’État de droit est menacé. »

Parmi les nombreux cas inquiétants sur lesquels Human Rights Watch a enquêté, figure celui d’ Azmi Sharom, professeur de droit à l’Université de Malaya, qui est poursuivi pour sédition pour avoir exprimé un avis juridique, selon lequel les actions entreprises par le gouvernement dans le Perak il y a plus de six ans étaient illégales. Le Dr Sharom a été surpris que ce qu’il a dit puisse être considéré comme un acte de sédition, remarquant : « J’étais un professeur de droit, qui exprimait un avis juridique. » Le plus haut tribunal du pays, la Cour fédérale malaisienne, a rejeté il y a deux semaines la question de constitutionnalité soulevée par le Dr Sharom par rapport à la Loi sur la sédition, et a conclu que celle-ci respectait les dispositions de la constitution malaisienne sur la liberté d’expression. Son cas ira donc au procès.

L’un des plus célèbres dessinateurs politiques d’Asie est Zulkiflee Anwar Ulhaque – mieux connu sous son nom de plume, Zunar. Ses dessins et ses livres de caricatures traitent de problèmes politiques d’actualité, tels que la corruption ou les violences policières, et il est depuis longtemps la cible de harcèlement de la part du gouvernement. Zunar est poursuivi pour neufs chefs d’accusations de sédition, un pour chacun des neuf tweets qu’il a publié pour critiquer la décision de la Cour fédérale malaisienne de confirmer la condamnation pour sodomie de l’ancien vice-premier ministre Anwar Ibrahim. Les autorités malaisiennes ont utilisé diverses lois pour interdire et saisir des centaines de copies de ses livres, ont menacé les imprimeurs qui sortaient ses livres de leur faire perde leur licence de publication, et ont enquêté non seulement sur Zunar, mais aussi sur ceux qui travaillaient avec lui. S’il est condamné pour tous les chefs d’accusation, il risque jusqu’à 43 ans de prison.
Manifestation de soutien à la Coalition pour des élections libres et équitables (Bersih), à Kuala Lumpur, en Malaisie, le 30 août 2015. © 2015 Phil Robertson / Human Rights Watch

Maria Chin Abdullah, Présidente de la Coalition pour des élections libres et équitables (Bersih), a été inculpée pour avoir participé à une « manifestation de rue » illégale en février, lors d’un rassemblement dans le cadre d’une série de manifestations visant à protester contre la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Anwar Ibrahim. Les charges ont été déposées une semaine après que Bersih ait organisé un rassemblement pacifique de 34 heures, qui a eu beaucoup de succès, et qui appelait à des réformes institutionnelles pour lutter contre la corruption et demandait au Premier ministre Najib Razak de s’expliquer sur sa gestion de l’affaire 1MDB, ou de démissionner. Le gouvernement a déclaré ce rassemblement « illégal », a interdit le logo de Bersih ainsi que les tee-shirts jaunes officiels du mouvement, et a convoqué Maria Chin Abdullah et six autres personnes impliquées dans l’organisation du rassemblement pour un interrogatoire, sur des présomptions d’ « activités préjudiciables à la démocratie parlementaire », en violation de la section 124 du code pénal – une loi qui prévoit des peines allant jusqu’à 20 ans de prison.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement malaisien a abandonner toutes les accusations en instance dans ce type de dossiers, ainsi que toutes les enquêtes et poursuites abusives contre des personnes ayant exprimé des critiques ou participé à des réunions pacifiques. La Malaisie devrait mettre un terme aux abus de procédures judiciaires qui permettent de harceler et d’emprisonner les opposants, et amender ou abroger les lois qui imposent des sanctions pénales pour s’être exprimé ou réuni avec d’autres, afin de mettre ces lois en conformité avec les normes internationales.


« En mars 2014, le gouvernement malaisien avait déclaré au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies être déterminé à prendre des mesures pour améliorer le respect des normes internationales des droits humains, » a conclu Brad Adams. « Pour être pris au sérieux en tant que membre de la communauté international respectant les droits humains, il doit honorer cet engagement et mettre un terme à la criminalisation des opinions critiques ou dissidentes telle qu’elle existe actuellement. »

 

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