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Serbie : Les enfants handicapés victimes de négligence

Le gouvernement devrait fournir des services adaptés au niveau des communautés

 
Une chambre du Centre pour personnes handicapées de Veternik en Serbie, où cohabitent des adultes et enfants handicapés ; huit personnes partagent une chambre dans certains cas. © 2015 Emina Ćerimović pour Human Rights Watch

(Belgrade, le 8 juin 2016) – Dans un certain nombre d’institutions en Serbie, des centaines d'enfants présentant un handicap font face à une négligence et à un isolement susceptibles de retarder leur croissance intellectuelle et émotionnelle ainsi que leur développement physique, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Le gouvernement serbe a accompli des progrès dans la protection des droits des enfants handicapés, mais davantage doit être fait pour mettre fin à leur placement systématique dans des institutions administrées par l’Etat et leur fournir un soutien pour qu’ils puissent vivre avec leur famille ou dans un environnement de type familial.

Intitulé « ‘It is my dream to leave this place’: Children with Disabilities in Serbian Institutions » (« Je rêve d’en partir : Les enfants handicapés dans les institutions serbes »), le rapport de 88 pages documente la pression subie par les familles pour placer les enfants nés avec un handicap dans de grandes institutions résidentielles, souvent éloignées de leurs foyers, créant de facto une séparation. Sur place, les enfants peuvent être victimes de négligences, de traitements inadaptés, d’une absence d’intimité et d'un accès insuffisant à l'éducation.

« Les familles ne devraient pas subir de faux ultimatum, au terme duquel le seul choix acceptable pour leur enfant serait la vie dans une institution », a déclaré Emina Cerimovic, chercheuse de Human Rights Watch sur des droits des personnes handicapées. « Un internement à long terme des enfants handicapés dans les institutions n’est que rarement voire jamais dans l'intérêt de l'enfant lui-même. »

Les familles ne devraient pas subir de faux ultimatum, au terme duquel le seul choix acceptable pour leur enfant serait la vie dans une institution. Un internement à long terme des enfants handicapés dans les institutions n’est que rarement voire jamais dans l'intérêt de l'enfant lui-même.
Emina Ćerimović

chercheuse des droits des personnes handicapées

Human Rights Watch a également documenté l'échec du gouvernement à investir, à l’échelle des communautés, dans la prestation de services auprès de familles ayant besoin d’être soutenues pour élever à domicile et leurs enfants ayant un handicap et les aider à s’intégrer. La Serbie a préféré investir des millions d'euros dans la construction de nouvelles institutions pour les personnes handicapées ou rénover des locaux vétustes.

Human Rights Watch a interrogé 118 enfants et jeunes présentant un handicap, des membres de leurs familles, des avocats et des personnels d’institutions. Des recherches ont également été menées auprès de cinq grandes institutions résidentielles et trois petits foyers de groupe dans différentes régions de la Serbie.

D’après les données gouvernementales, près de 80 % des enfants placés en institutions en Serbie en 2014 présentent un handicap, une hausse de 62,5 % par rapport à 2012. La plupart des enfants handicapés placés dans des institutions en Serbie y restent aux soins de l'Etat leur vie entière. La plupart d’entre eux ont au moins un parent vivant.

Les professionnels de santé recommandent souvent aux parents de placer en institution un enfant ayant un handicap, affirmant que c’est la meilleure option pour lui. Le manque de soins de santé adéquats et de services tels que les soins de jour ou des écoles inclusives et de qualité accessibles dans la communauté, mais aussi la pauvreté, la stigmatisation et la discrimination sont les principales raisons pour lesquelles les parents peuvent considérer que la seule option viable est de placer leur enfant dans une institution spécialisée.

Ana, mère célibataire d'une fillette de 12 ans présentant une déficience intellectuelle et physique, a déclaré : « Aucun centre de soins de jour n’a voulu l'accepter. Ils ont expliqué l’avoir également trouvée trop hyperactive. J'ai passé un an et demi à les supplier de trouver une alternative…Il y a trois ans, en l’absence d’autre option, je l'ai placée en institution ».

 

Dans ces institutions, Human Rights Watch a établi que les enfants handicapés prennent des médicaments, y compris des psychotropes, souvent pour traiter des problèmes de comportement. La surveillance est minimale quand ce n’est pas la formation des personnels soignants qui s’avère insuffisante pour administrer les traitements, tandis qu’une opacité persiste quant aux personnes dont le consentement préalable est requis, selon l’ONG.

Human Rights Watch a constaté que les institutions ne disposent pas des personnels suffisants pour s’occuper des très nombreux enfants et adultes handicapés, en particulier ceux qui ont des besoins élevés, ce qui est facteur négligences. Tous les enfants, en particulier ceux qui sont handicapés, ont besoin d'attention et de soins individualisés pour réaliser un développement et une croissance harmonieux, a déclaré Human Rights Watch.

Les enfants présentant certains handicaps – généralement ceux qui ne peuvent ni marcher ni parler –, sont isolés dans des pièces spécifiques, où ils passent leurs journées allongées et où leur interaction avec les autres est minimale. Beaucoup ont rarement l'occasion de se rendre dehors, de recevoir une éducation ou de jouer avec d'autres enfants.

Près de 60 % des enfants handicapés placés en institutions ne sont pas scolarisés, toujours d’après le gouvernement serbe. Ceux qui le sont fréquentent des écoles exclusivement réservées aux handicapés. Dans certains cas, les enseignants se rendent, quelques heures par semaine, dans les institutions pour donner des cours à certains enfants, en groupes.

La plupart des adultes handicapés placés dans des institutions serbes sont également privés de moyens juridiques ou de prendre des décisions relatives à l’exercice de leurs droits fondamentaux. Ils sont placés sous tutelle, celle-ci souvent déterminée par l'État. Ainsi, Human Rights Watch a conclu à des cas où de jeunes femmes handicapées sans recours juridique ont été soumises à des interventions médicales invasives, dont l'interruption de grossesse, avec le consentement de leur tuteur, mais sans pris en considération du leur.

Le gouvernement serbe s’est publiquement engagé à renoncer à l’institutionnalisation des enfants, y compris de ceux qui sont handicapés. En 2011, il a proclamé l’interdiction de placer les enfants de moins de trois ans dans les institutions sans « raisons justifiées », et généralement pour une période n’excédant pas deux mois. Mais les autorités continuent de placer les enfants handicapés, y compris les bébés, dans des institutions spécialisées, a affirmé Human Rights Watch.

« Institutionnaliser des bébés peut nuire à leur santé et à leur équilibre social et émotionnel, avec des conséquences de long terme sur leur avenir », a souligné Emina Cerimovic.

La Serbie est partie à un certain nombre de traités de droits de l'homme, y compris la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la Convention relative aux droits de l'enfant, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumain ou dégradants, ainsi que la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH). En vertu de ces instruments juridiques, la Serbie est tenue de protéger les droits des enfants handicapés et d’assurer leur pleine participation à la société. Elle a à ce titre pour obligation de veiller à ce qu'aucun enfant ne soit séparé de sa famille pour cause de handicap.

En avril 2016, le Comité de l’ONU des droits des personnes handicapées a exprimé de profondes préoccupations « quant au nombre d'enfants handicapés placés dans des institutions » en Serbie et sur les « conditions de vie très médiocres dans ces établissements ». Les experts de cet organe ont exhorté la Serbie à « retirer les enfants de ces institutions […] et à prévenir tout nouveau placement de nourrissons de moins de trois ans ».

La Serbie est également candidate pour intégrer l'Union européenne (UE). En vertu de l'Accord de stabilisation et d'association, qui constitue une étape clé vers l'adhésion à l'UE, la Serbie devrait mettre progressivement ses lois en conformité avec celles de cette organisation régionale, notamment s’agissant du traitement des personnes handicapées. Dans le dernier rapport de mise en œuvre sur la Serbie, la Commission européenne a pris fermement position sur le traitement des problèmes des enfants handicapés dans les institutions serbes, exhortant les autorités à éviter le placement en institution.

Le gouvernement serbe doit immédiatement prendre des mesures pour mettre fin aux négligences, à l'isolement, à la ségrégation et aux traitements psychiatriques inadéquats, ainsi qu’à la discrimination contre les enfants handicapés dans les institutions serbes, et leur fournir à la place des services de soutien communautaire, a affirmé Human Rights Watch. Dans les cas où il est impossible de restituer les enfants à leurs familles d’origine, par exemple lorsque des abus et des cas de négligence y ont été constatés, les enfants devraient avoir la possibilité de vivre dans un environnement familial avec d’autres parents, des parents adoptifs ou au sein de familles d'accueil.

« Alors que la Serbie s’est fermement engagée sur la voie de l'adhésion à l'UE, celle-ci devrait veiller à ce que ce pays mette fin au placement systématique des enfants handicapés derrière les murs d’institutions », a conclu Emina Cerimovic. « Un enfant ne doit pas être séparé de sa famille ou de sa communauté ou se voir refuser la chance de vivre sa vie d’enfant, sous prétexte qu'il présente un handicap. »

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