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Après avoir passé la majeure partie des deux dernières semaines à Calais, je peux dire que bien que l'opération de démantèlement du camp de migrants en France connu sous le nom de « la Jungle » puisse à terme bénéficier aux adultes, cette opération a négligé les enfants non accompagnés.

Mercredi, la police a évacué le reste des résidents vers la lisière du camp. Plusieurs heures plus tard, la préfecture a annoncé qu'elle n’accepterait plus aucune autre inscription pour la relocalisation d'adultes ou d'enfants non accompagnés.

Cette décision a laissé des centaines d'enfants et d'adultes livrés à eux-mêmes.

Blottis sous des couvertures, un groupe de jeunes Afghans passent la nuit dehors après que les autorités françaises ont brusquement mis fin à l’enregistrement et à la relocalisation des enfants non-accompagnés qui vivaient dans le camp de migrants de Calais, le 26 octobre 2016. © 2016 Zalmaï/Human Rights Watch

Entre 1 300 et 1 600 enfants non accompagnés – originaires pour la plupart d'Afghanistan, du Soudan et d'Érythrée – s’étaient réfugiés dans le camp, dont des centaines étaient admissibles pour un transfert au Royaume-Uni sur la base de liens familiaux. Un grand nombre d’entre eux ont vécu dans le camp pendant des mois.

Enfants laissés en attente

Les enfants non accompagnés étaient censés bénéficier d’une file réservée pour leur permettre de s'inscrire et de recevoir un logement temporaire dans une partie du camp, tandis que le gouvernement français recherchait des solutions à plus long terme. Mais chacun des trois jours d’enregistrement s’est terminé sur un grand nombre d'enfants toujours en attente d'être reçus.

Mercredi, les autorités ont arrêté l'inscription des enfants vers midi, en indiquant à au moins 150 enfants non-inscrits de revenir au camp. La plupart avaient commencé à faire la queue avant l'aube après avoir été refoulés à la fin de la journée le mardi.

Chaque jour, leur sentiment de sécurité a diminué. Plus de 4 000 adultes ont accepté d’être relocalisé au cours des deux premiers jours, perturbant les structures déjà fragiles de soutien social dans le camp. Comme un bénévole me l'a expliqué : « Un grand nombre de ces adultes élevaient, de fait, les enfants d'autres personnes et maintenant ces adultes sont partis, laissant les enfants privés du peu de protection dont ils disposaient. »

Voilà pourquoi près de 100 enfants sont restés devant l'entrepôt servant de point de réception pour l'enregistrement jusqu'à 21 heures mardi, insistant pour être inscrits ou, au moins, pour passer la nuit devant le portail afin d’être les premiers dans la file le lendemain matin.

Les autorités ont rejeté une autre solution évidente : l'entrepôt contenait 300 lits et des travailleurs humanitaires ont demandé la permission d’y abriter les enfants pendant la nuit. « Ils ont répondu ‘Vous savez, c’est plutôt difficile de s’occuper d’enfants’ », m’a confié un bénévole.

Finalement, une trentaine d’enfants ont dormi dans une école improvisée à la lisière du camp. Cinquante ou soixante autres se sont abrités dans une mosquée dans le camp jusqu'à ce que des incendies les ont forcés à partir. Ils ont passé le reste de la nuit sous un pont, pendant que des bénévoles se relayaient pour veiller sur eux.

Aucune information, aucune organisation et de la méfiance

L'enregistrement des enfants non accompagnés a été marqué par trois autres problèmes importants :

Tout d'abord, tous les enfants n’ont pas reçu d’informations précises. Après deux jours entiers d’enregistrements, je parlais encore à des enfants qui ne savaient pas où aller pour s’assurer d’être enregistrés et de se voir attribuer un endroit sûr pour passer la nuit.

Deuxièmement, les enfants ont été confrontés à des obstacles pratiques pour s’enregistrer. La file affectée aux enfants a disparu peu de temps après le début de l'enregistrement lundi. Les enfants m’ont confié qu'ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils devaient faire lorsqu’ils ont vu des centaines d'adultes en train de faire la queue devant eux.

Lorsque les travailleurs humanitaires ont demandé aux autorités de permettre aux enfants d'attendre dans un espace spécialement dédié, la police a répondu en les parquant : un imposant barrage de policiers anti-émeute en gilet pare-balles a poussé les enfants les uns contre les autres, leur ordonnant de s'asseoir.

Alors que j’observais la scène, certains enfants se sont relevés lorsque la police les a poussés. D'autres leur ont emboîté le pas, ne sachant pas s’ils étaient invités à entrer dans l'entrepôt. « Attendez ! » a hurlé un policier en français. Quelques policiers anglophones ont finalement réussi à préciser que le groupe n'avait pas été invité à se déplacer.

Troisièmement, l’évaluation arbitraire de l'âge a eu pour effet que la police a écarté des enfants en fonction de leur apparence, et dans certains cas pour n’avoir pas suivi des consignes hurlées en français, que la plupart d’entre eux ne comprenaient pas. « Cela fait dix ans que je travaille avec les migrants et je sais ce que je fais », a déclaré un membre du personnel à un travailleur humanitaire qui a objecté que des enfants ont été refoulés.

L’évaluation de l'âge est délicate, avec une grande marge d'erreur. La malnutrition, le stress et l'exposition aux éléments laissent des traces. Le HCR et d'autres autorités appellent à accorder le bénéfice du doute dans les cas litigieux.

« La Jungle » n’existe plus, mais à quel prix ?

Lorsque nous avons rencontré des responsables du ministère de l'Intérieur français en milieu de semaine, ils nous ont assuré qu'ils appliqueraient le principe du bénéfice du doute. Ils ont également reconnu que des enfants passaient encore à travers les mailles du filet et ont déclaré qu'ils prévoyaient des efforts intensifs de sensibilisation tout au long du reste de la semaine afin d’identifier et d’enregistrer tous les enfants non accompagnés restants.

En fin de compte, d'autres considérations ont eu la priorité sur les enfants. Par exemple, la préoccupation que prendre plus de temps aurait attiré davantage de migrants à Calais, ainsi que selon toute vraisemblance le désir de faire pression sur le gouvernement britannique pour qu’il accepte des enfants le plus rapidement possible.

Il y a quelque raison à cela. Cela fait des mois que le gouvernement britannique est au courant que des centaines d'enfants dans les camps étaient probablement admissibles pour un transfert, mais jusqu'à la semaine dernière il avait fait peu d'efforts pour les admettre. Une autre voie juridique pour le transfert vers la Grande-Bretagne, un amendement à la loi sur l'immigration adopté cette année visant à accepter des enfants non accompagnés sur une base humanitaire, n'a pas été utilisée jusqu'à ce mois-ci. Au cours des deux dernières semaines, le Royaume-Uni a accepté environ 200 enfants non accompagnés en provenance de Calais.

Mais mercredi soir, un grand nombre d’enfants non accompagnés n’étaient toujours pas enregistrés à Calais, et certains d'entre eux dormaient dehors. Ils étaient sans doute encore plus vulnérables qu’avant le début de l'opération.

L’impasse de Calais a peut-être été dénouée, mais à un prix extrêmement élevé.

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