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(Ramallah) – L’Autorité palestinienne en Cisjordanie, dominée par le Fatah, ainsi que les autorités du Hamas à Gaza, arrêtent et torturent de façon routinière des détracteurs et des opposants pacifiques, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. La querelle qui oppose l’Autorité palestinienne et le Hamas s'étant aggravée, chaque camp s’est mis à cibler les partisans de l’autre.

Le rapport de 149 pages, intitulé « ‘Two Authorities, One Way, Zero Dissent:’Arbitrary Arrest and Torture Under the Palestinian Authority and Hamas » (« ‘Deux autorités, une façon de faire, zéro dissidence’ : Arrestations arbitraires et torture par l’Autorité palestinienne et le Hamas »), évalue la récurrence des arrestations et les conditions de détention en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, 25 ans après que les Accords d’Oslo ont permis aux Palestiniens d’exercer un degré d’autonomie sur ces zones et plus de 10 ans après que le Hamas s’est emparé du contrôle effectif de la bande de Gaza. Human Rights Watch a rassemblé des documents sur plus de vingt cas de personnes qui ont été détenues sans aucun motif clair, mis à part le fait d’avoir écrit un article critique ou une publication Facebook, ou d’appartenir au mauvais groupe d’étudiants ou mouvement politique.

« Vingt-cinq ans après les accords d’Oslo, les autorités palestiniennes n’ont acquis qu’un pouvoir limité en Cisjordanie et à Gaza. Pourtant, là où elles jouissent de l’autonomie, elles ont développé des États policiers parallèles », a déclaré Tom Porteous, directeur adjoint de la division Programmes à Human Rights Watch. « Les appels à préserver les droits des Palestiniens lancés par les dirigeants palestiniens sonnent creux quand on sait qu’ils écrasent leurs dissidents. »

Une foule de manifestants face à des policiers anti-émeute dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, le 23 juin 2014, lors d'un rassemblement tenu pour protester contre la collaboration en matière de sécurité entre l'Autorité palestinienne et Israël. © 2014 Mohamad Torokman/Reuters

Les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus avec 147 témoins, notamment d’anciens détenus et leurs proches, des avocats et des représentants de groupes non gouvernementaux. Ils ont également consulté des preuves photographiques, des rapports médicaux et des documents judiciaires. Le rapport tient compte des réponses étoffées que nos conclusions ont suscité de la part des corps de sécurité impliqués dans ces abus sous-jacents.

La pratique systématique des arrestations arbitraires et de la torture viole des traités sur les droits humains de premier plan, auxquels la Palestine a récemment adhéré. D’après les informations dont dispose Human Rights Watch, peu d’agents des corps de sécurité ont été poursuivis, et aucun n’a été reconnu coupable, pour les arrestations non justifiées ou les actes de torture.

L’Union européenne, les États-Unis et d’autres gouvernements qui soutiennent financièrement l’Autorité palestinienne et le Hamas devraient suspendre leur assistance en faveur des unités ou des corps qui sont spécifiquement impliqués dans ces arrestations arbitraires et tortures généralisées, et ce jusqu’à ce que les autorités fassent diminuer ces pratiques et veillent à ce que leurs auteurs soient traduits en justice.

« Le fait qu’Israël viole systématiquement les droits fondamentaux des Palestiniens n’est pas une raison de rester silencieux face à la répression systématique et à la torture des dissidents que commettent les forces de sécurité palestiniennes », a déclaré Shawan Jabarin, directeur exécutif de l’organisation palestinienne de défense des droits humains al-Haq et membre du comité consultatif Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.

Human Rights Watch a pu rencontrer les services du renseignement de l’Autorité palestinienne à Ramallah, mais n’a pas été en mesure d’accepter l’invitation des autorités du Hamas, qui proposaient une rencontre à Gaza. En effet, Israël a refusé de délivrer aux cadres supérieurs de Human Rights Watch des autorisations nécessaires pour entrer dans la bande de Gaza à cette occasion. De même, les autorités israéliennes ont rejeté la demande de Human Rights Watch de laisser entrer ses représentants à Gaza en octobre 2018, afin de présenter ce rapport lors d’une conférence de presse.

Les deux autorités nient que ces abus puissent être autre chose que des affaires isolées faisant l’objet d’enquêtes et dans le cadre desquelles les responsables rendent des comptes. Les preuves collectées par Human Rights Watch contredisent ces affirmations.

Les autorités palestiniennes se servent souvent de lois beaucoup trop générales, qui pénalisent le fait d’insulter « les plus hautes autorités », de créer des « querelles sectaires » ou de « porter atteinte à l’unité révolutionnaire », afin de détenir des dissidents pendant des jours ou des semaines, avant de finir par libérer la plupart sans les déférer devant un tribunal, préférant laisser les inculpations en suspens. Les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont également arrêté 221 Palestiniens, pour des durées variées, entre janvier 2017 et août 2018. D’après la Commission indépendante pour les droits humains, organe officiel de suivi, ils ont été placés en détention administrative, sans inculpation ni procès, sur simple décret du gouverneur régional.

Un certain nombre de personnes ayant été détenues par l’Autorité palestinienne que Human Rights Watch a interrogées avaient aussi déjà été détenues par Israël, qui collabore avec les forces de l’Autorité palestinienne sur des questions de sécurité. À Gaza, les autorités du Hamas soumettent parfois la libération d’un détenu à la condition qu’il signe un engagement à cesser toute critique ou protestation.

Le 27 septembre, la Commission indépendante pour les droits humains a rapporté que les forces de sécurité du Hamas à Gaza avaient arrêté plus de 50 personnes affiliées au Fatah et que les forces de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie en avaient détenu plus de 60 affiliées au Hamas, en quelques jours seulement.

Dans les dossiers que Human Rights Watch a étudiés, les forces palestiniennes ont souvent menacé, battu et forcé les détenus à demeurer dans des positions très pénibles et douloureuses pendant de longs moments, notamment en utilisant des câbles ou des cordes pour soulever leurs bras derrière le dos. Les policiers utilisaient souvent des techniques similaires pour arracher des aveux aux personnes détenues pour des inculpations criminelles, notamment liées aux stupéfiants. Les forces de sécurité forçaient également de façon routinière les détenus à les laisser accéder à leurs téléphones portables et à leurs comptes sur les médias sociaux. Ces mesures semblent avoir pour unique objectif de punir les dissidents et de les dissuader, ainsi que d’autres personnes, de poursuivre leur activisme.

Même si les autorités reçoivent régulièrement des plaintes des citoyens et sont dotées des systèmes nécessaires pour enquêter, seule une minorité de ces plaintes ont donné lieu à une conclusion d’infraction, d’après les données fournies par les corps concernés. Un nombre encore plus faible a débouché sur des sanctions administratives ou des poursuites judiciaires pénales.

Les autorités palestiniennes devraient respecter les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels elles ont adhéré ces cinq dernières années. Les autorités du Hamas ont déclaré, dans un courrier à Human Rights Watch, qu’elles se considéraient comme engagées vis-à-vis de tous les traités internationaux que l’État de Palestine a ratifiés. Pour se conformer à ces traités, les autorités palestiniennes ont l’obligation de garantir qu’un organe indépendant inspecte les lieux de détention et que les autorités enquêtent de façon crédible sur les plaintes et infligent les sanctions adéquates si elles se justifient.

La pratique systématique de la torture par les autorités palestiniennes constitue peut-être un crime contre l’humanité, susceptible d’être poursuivi devant la Cour pénale internationale (CPI). Il y a longtemps que Human Rights Watch encourage la Procureure de la CPI à ouvrir une enquête officielle sur le comportement des Israéliens et des Palestiniens en Palestine, qui est partie à la CPI.

Les États-Unis et les États européens apportent leur soutien aux forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. Même si en 2018 les États-Unis ont fortement diminué les subventions aux services de santé et d’éducation destinés aux Palestiniens, et notamment la totalité de son soutien à l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), ils ont toujours laissé de côté les subventions destinées aux forces de sécurité, allouant notamment à l’Autorité palestinienne 60 millions USD en « aide non létale » en vertu du programme International Narcotics Control and Law Enforcement (INCLE) pour l’année fiscale 2018, et 35 millions pour l’année fiscale 2019. Quant au Qatar, à l’Iran et à la Turquie, ils soutiennent financièrement les autorités du Hamas. Tous ces pays devraient suspendre leur assistance aux corps sécuritaires qui torturent les dissidents de façon routinière – notamment, pour l’Autorité palestinienne, les services du renseignement, de la Sécurité préventive et du Comité conjoint de sécurité, et du côté du Hamas, celles de la Sécurité intérieure.

« Les agressions de dissidents, manifestants, reporters et blogueurs, que commettent aussi bien l’Autorité palestinienne que le Hamas, sont systématiques et pourtant impunies », a conclu Tom Porteous. « Les gouvernements qui veulent aider le peuple palestinien à instaurer l’état de droit ne devraient pas soutenir les forces de sécurité qui y portent activement atteinte. »

Témoignages d’anciens détenus

« Je rentrais chez moi. Au point de contrôle d’Einab, j’ai aperçu par hasard le convoi du Premier ministre qui était retardé par les contrôles. J’ai filmé cette scène. Une fois que la voiture dans laquelle je me trouvais et le convoi ont été autorisés à franchir le point de contrôle, nous avons été arrêtés par un des véhicules de l’escorte. J’ai été arrêté et emmené au poste des forces de la Sécurité préventive à Tulkarm. On m’a détenu à Tulkarm et à Ramallah pendant quatre jours. »

-- Jihad Barakat, 29 ans, journaliste, à propos de son arrestation par les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie en juillet 2017.

« Un jour d’été où il faisait très chaud, j’avais écrit : ‘Est-ce que vos enfants [il s’agit des dirigeants du Hamas] dorment par terre comme les nôtres ?’ Je pense que cette publication a énervé les forces de sécurité, du coup j’ai été convoqué devant la Sécurité intérieure, puis inculpé du crime d’‘usage abusif de la technologie’... J’ai été détenu pendant 15 jours... Plus tard j’ai été libéré, après avoir passé un accord avec le ministère de l’Intérieur. Dans cet accord, je m’engageais à ne plus écrire contre le gouvernement ni inciter autrui à s’opposer à lui. »

-- Amer Balousha, activiste et journaliste de 26 ans, à propos de son arrestation en juillet 2017 par les autorités du Hamas à Gaza.

« Un agent en civil est venu vers moi à la porte [de la prison des services du renseignement à Jéricho]. Il m’a bandé les yeux, menotté les mains derrière mon dos et a commencé à me frapper et à me percuter contre les murs... ça a duré environ dix minutes. Puis l’agent m’a amené au bureau du directeur de la prison et m’a enlevé le bandeau, en me disant que c’était pour me souhaiter la ‘bienvenue’... [Un agent] a alors dit : suspendez-le, ce qui voulait dire : amenez-le au shabeh. J’ai été transféré du bureau aux toilettes, où ils m’ont à nouveau bandé les yeux et remis les menottes derrière le dos. Ils ont fait passer un bout de tissu et de corde au milieu de mes menottes et l’ont tiré vers le haut le long de la porte. Il y avait un crochet entre la porte et le plafond. Ils ont tiré le tissu vers le haut, ce qui soulevait mes mains très haut derrière mon dos. Mes jambes n’étaient pas ligotées et le bout de mes pieds touchait le sol. J’ai été maintenu dans cette position insupportable pendant 45 minutes. Un agent m’a frappé dans le dos avec un gros bâton, entre mes omoplates, plusieurs fois... Quand ils m’ont fait descendre, je sentais que mes mains étaient engourdies, jusqu’aux épaules même, et je ne pouvais pas tenir debout... [Le lendemain], le ‘Presse-citron’ [surnom de son interrogateur à Jéricho] m’a dit : ‘Je te jure que tu ne sortiras pas d’ici avant d’être en fauteuil roulant.’ »

-- Alaa Zaqeq, étudiant de troisième cycle de 27 ans, détenu par les forces de sécurité de l’AP pendant trois semaines, en avril 2017, en raison de son activisme au sein d’un groupe d’étudiants affiliés au Hamas.

« J’ai été forcé à rester debout avec un bandeau sur les yeux toute la journée dans une pièce appelée ‘le bus’. Il y avait 5 à 10 personnes avec moi. Une fois, ils nous ont assis sur de petites chaises, mais nous devions demander la permission pour tout, même pour dormir ou parler. J’y ai passé 30 jours... Après le premier jour, les coups ont commencé, ils m’ont demandé de tendre les mains et se sont mis à les frapper avec un câble et à me fouetter la plante des pieds. »

-- Fouad Jarada, journaliste de 34 ans travaillant pour la Palestinian Broadcasting Corporation, arrêté en juin 2017 par les forces du Hamas, trois jours après avoir publié sur Facebook une critique d’un allié du Hamas et une série d’articles d’actualité critiques. Les autorités l’ont détenu pendant plus de deux mois, inculpé d’« atteinte à l’unité révolutionnaire », le libérant seulement lorsque l’AP a accepté d’arrêter des journalistes considérés comme proches du Hamas en Cisjordanie.

« Je fais toujours des cauchemars... [Je rêve que] la cellule m’étrangle et [que] je ne peux plus respirer. »

-- Fares Jbour, 24 ans, détenu pendant 24 jours en janvier 2017 en raison de ses activités au sein d’un groupe d’étudiants affilié au Hamas, à l’université de Hébron en Cisjordanie.

« Les gars ont peur d’écrire. Ils n’essaient pas. Ils ne partagent pas. Ils ne ‘likent’ même pas quand quelqu’un publie quelque chose qui critique le gouvernement. Ils sont effrayés. »

-- Mohammad Lafi, rappeur de 24 ans du camp de réfugiés de Jabalia à Gaza, détenu cinq jours en janvier 2017 par les autorités du Hamas après avoir mis en ligne un clip vidéo intitulé « C’est ton droit », qui appelait les gens à protester et à participer à des manifestations au sujet de la crise touchant l’électricité.

<« J’ai le sentiment d’être observé, c’est comme si j’étais dans un microscope. J’ai été libéré, mais jusqu’à aujourd’hui, je ne me sens pas libre. Ils ont cassé notre désir de défendre les droits des citoyens. »

-- Taghreed Abu Teer, journaliste de 47 ans travaillant pour la Palestinian Broading Corporation, détenu pendant 11 jours en avril 2017 par les autorités du Hamas après avoir assisté à des conférences en faveur du Fatah rival à Ramallah.

« Je vis dans un pays où il m’est interdit d’exprimer mon opinion. Ce pays n’est pas celui dont nous rêvons, loin de là. Je ne crois pas qu’il y ait un seul Palestinien qui accepterait de voir filer tout ce combat, toutes ces années de notre vie, pas juste nous, mais aussi ceux avant nous, pour qu’à la fin nous nous retrouvions avec un système de gouvernement qui a pris la forme d’une dictature. Cela ne se peut pas... Ça fait très mal de penser que nous avons un régime avant d’avoir un État. Notre problème, avec l’AP, c’est qu’ils sont en train de mettre en place des forces de sécurité et de contrôler les gens, alors que nous ne maîtrisons même pas le point de contrôle. »

-- Hamza Zbeidat, 31 ans, travaillant pour un groupe non gouvernemental de développement, détenu pendant deux jours par les forces de sécurité de l’AP en mai 2016, pour une publication Facebook appelant les Palestiniens à « lutter contre l’AP exactement comme nous luttons contre Israël ».

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Dans les médias

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