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Jeunes activistes sénégalaises, photographiées dans la salle de classe d'une école au Sénégal. © 2018 Human Rights Watch

En octobre 2017, je me suis rendue dans un petit village du sud du Sénégal. Mon objectif était d’enquêter sur des allégations persistantes d’abus sexuels commis dans des établissements du secondaire.

J’y ai rencontré Aïssatou, 16 ans, qui m’a expliqué que son professeur l’avait abordée en début d’année scolaire. « Il m’a dit : ‘Comment tu t’appelles ? Tu viens d’’où  ? Tu me plais beaucoup’. Je lui ai dit : ‘Moi je ne t’aime pas. Je ne sors pas avec les enseignants.’ » Les jeunes filles que j’ai interrogées m’ont confié qu’il s’agissait vraisemblablement d’une pratique courante. Du reste, tout le monde n’avait pas le courage d’être aussi direct que l’avait été Aïssatou en repoussant l’enseignant.

Nous avons entendu des récits similaires dans d’autres régions du Sénégal alors que nous cherchions à savoir ce qui empêchait de nombreuses filles et adolescentes de poursuivre leur enseignement secondaire – et d’y réussir. Nous avons ainsi découvert que de nombreuses filles étaient fort préoccupées par l’exploitation sexuelle et le harcèlement que leur faisaient subir des enseignants. Certains professeurs abordent leurs élèves – pendant les cours ou lors d’activités organisées en soirée – en leur demandant des faveurs ou leur numéro de téléphone. L’exploitation et le harcèlement durent souvent plusieurs mois – voire plusieurs années, comme dans le cas d’une fille que j’ai interrogée.

Partout où nous nous sommes rendus, des jeunes filles nous ont expliqué que si elles venaient à signaler un harcèlement, elles avaient du mal à convaincre les adultes de les croire. Pire, certains adultes – dont certains occupent un poste d’autorité dans un établissement scolaire, voire dans un bureau gouvernemental local ou national – nous ont confié que les adolescentes inventaient souvent des histoires ; que les filles cherchaient à attirer des ennuis aux enseignants ; ou qu’elles les accusaient de commettre des actes répréhensibles parce qu’elles n’avaient pas obtenu une note suffisamment bonne.

« Si les filles accusent un enseignant [de harcèlement] et le disent au principal [de l’école], l’enseignant va tout nier», m’a expliqué Penda, âgée de 17 ans. « Les filles ont peur de dénoncer – ils [l’administration et les enseignants] peuvent même détruire notre carrière. »

Mais pourquoi les adultes croient-ils que les adolescentes inventent de tels actes ? Pourquoi les personnes en position d’autorité n’écoutent-elles pas ce que disent ces jeunes filles ?

Cette question n’est pas uniquement pertinente au Sénégal. Comme nous l’ont montré les mouvements #MeToo ou #BalanceTonPorc, les filles et les adolescentes connaissent ce problème dans de nombreux pays et de nombreux environnements. Au Sénégal, le mouvement discret #Nopiwouma – « Je ne me tairai pas » en wolof – a amené des Sénégalaises à décrire les actes de harcèlement sexuel, d’exploitation et d’abus dont elles faisaient l’objet à l’école, à l’université et au travail – mais ces cas demeurent invisibles et ignorés.

Lorsqu’une fille prend conscience du harcèlement que lui inflige une personne d’autorité, que ce soit parce que cet individu lui envoie des SMS, se livre à des attouchements sexuels entre deux cours ou lui murmure des mots obscènes à l’oreille quand elle se lève pour aller au tableau, elle se demande longuement s’il lui faut dénoncer cet acte ou continuer « comme si de rien n’était ».

Mais ce que ces enfants subissent en milieu scolaire ne devait pas être perçu comme étant normal, et aucune fille ne devrait avoir l’impression que cela l’est. Au lieu de les encourager à garder le silence, les parents, les enseignants et les fonctionnaires devraient encourager une ouverture et mettre en place des moyens sécurisés pour signaler les comportements inappropriés et non professionnels – pour ne pas dire illicites – qui ne sauraient en aucun cas être tolérés.

C’est précisément ce que font certains enseignants que j’ai eu la chance de rencontrer. Je pense notamment à Laila Mané, enseignante en secondaire et ambassadrice en charge de l’éducation des filles dans la ville de Kolda. Elle s’est fixé pour mission de veiller à la réussite scolaire des filles, y compris en promouvant un esprit d’ouverture et de sécurité dans son établissement.

Les enseignants et les fonctionnaires ne devraient pas se faire complices de pratiques visant à réduire au silence les enfants qui tentent de signaler des abus. Les filles et les adolescentes qui ont subi des actes de harcèlement, d’exploitation ou des abus de la part d’enseignants devraient être en mesure de signaler ces exactions de manière confidentielle. Les établissements scolaires doivent veiller à disposer d’un système propice – qu’il s’agisse de former des enseignants désignés afin qu’ils puissent transmettre les plaintes en toute confidentialité ou d’instaurer une ligne de communication confidentielle avec les points focaux en charge de la protection de l’enfance mis en place par le gouvernement.

Cela exige bien évidemment des efforts concertés afin de s’attaquer aux stéréotypes qui donnent l’impression aux filles qu’elles sont responsables de l’exploitation sexuelle et des abus qu’elles subissent. Les formations et ateliers à l’attention des enseignants et des élèves sont essentiels, mais le gouvernement devrait intégrer les questions de genre dans son programme scolaire complet tant attendu axé sur l’éducation sexuelle et la santé reproductive.

Le Sénégal devrait écouter ce qu’ont à dire les adolescentes et faire face aux pratiques abusives. Quant aux parents, aux enseignants, aux chefs religieux et communautaires et aux jeunes gens, ils devraient unir leurs forces afin de faire savoir aux enfants qu’il n’est pas normal que l’on abuse d’eux.

Le gouvernement a clairement fait comprendre qu’il souhaitait la réussite scolaire des enfants du Sénégal. Il lui faut désormais instaurer des dispositifs pour protéger les adolescentes en milieu scolaire afin qu’elles puissent réussir sans harcèlement ni abus.

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 Elin Martínez est chercheuse auprès de la division Droits des enfants à Human Rights Watch.

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