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En Côte d’Ivoire, des agriculteurs confrontés à une nouvelle vague d'expulsions de forêts classées

Le gouvernement devrait s'assurer que les petits agriculteurs reçoivent des préavis adéquats et des indemnités

Deux jeunes garçons photographiés parmi les décombres de maisons incendiées lors d’une opération d’expulsion menée en janvier 2016 dans la forêt classée de Goin-Débé, en Côte d'Ivoire. © 2016 Human Rights Watch
 

La Côte d’Ivoire, qui tente de contenir une déforestation rapide et généralisée, s'est lancée dans un projet ambitieux visant à récupérer et restaurer ses forêts. Mais alors qu'il entreprend de protéger une ressource nationale essentielle, le gouvernement devrait veiller à ne pas piétiner les droits des milliers de agriculteurs à petite échelle qui vont maintenant faire l'objet de procédures d'expulsion.

La Côte d’Ivoire a vu la superficie de ses forêts décliner de 50 % de son territoire en 1900 à moins de 12% en 2015. Le pays a perdu 85% de ses forêts depuis 1990. L'essentiel de la déforestation a été provoquée par l'industrie ivoirienne du cacao – la première du monde – le gouvernement estimant qu'entre 30% et 40% du cacao provient de forêts en principe classées. La plupart du cacao est produit par de petits agriculteurs qui ne reçoivent qu'une fraction des profits des ventes d'une récolte.

En juin 2018, la Côte d’Ivoire a publié une nouvelle politique forestière par laquelle la plupart des forêts classées défrichées de Côte d’Ivoire seraient converties en « agro-forêts », des compagnies multinationales – essentiellement liées à la lucrative industrie mondiale du chocolat – étant chargées d'y développer des méthodes durables agroforestières d'exploitation du cacao. Pour les forêts restantes, le ministère des Eaux et Forêts propose de faire respecter strictement des lois longtemps ignorées qui interdisent de faire de l'agriculture et d'occuper des forêts et des parcs nationaux protégés. L’Assemblée nationale examine actuellement [un nouveau code forestier]  OR un projet de loi intégrant un nouveau code forestier qui constituerait la fondation juridique pour la nouvelle politique.

La mise en œuvre de la nouvelle politique conduira probablement à l'expulsion de milliers de petits cultivateurs de cacao, avec entre 1,5 et 2 millions de cultivateurs de cacao vivant dans des parcs nationaux et des zones en principe classées de Côte d’Ivoire et de son voisin le Ghana. La forêt classée ivoirienne de Scio, par exemple, où vivent des milliers de personnes, aurait reçu notification d'une opération d’expulsion (« déguerpissement ») prévue pour juillet.

Bien que le gouvernement ivoirien ait le droit de récupérer les forêts censées être conservées, le droit international protège quiconque occupe une terre contre toute manœuvre d'expulsion forcée qui ne respecte pas la dignité et les droits des personnes affectées, où qu'elles vivent.

De précédentes opérations d'expulsion en Côte d’Ivoire ont placé des familles d'agriculteurs dans une situation où elles n'ont ni abri adéquat, ni nourriture, ni accès à l'éducation, et Human Rights Watch a documenté des cas d’extorsion de fonds, de corruption et  de sévices physiques commis par des agents du gouvernement lors d’opérations d'expulsions. Dans une lettre d'octobre 2017 relative à la création des agro-forêts, Human Rights Watch a aussi mis en garde contre le fait que les grandes compagnies agricoles s'abstiennent souvent de protéger les droits des petits agriculteurs, surtout quand les règlementations nationales ne sont pas claires ou ne sont pas suffisamment appliquées.

Le gouvernement ivoirien a certes raison de vouloir protéger et restaurer les forêts du pays. Mais il devrait s'assurer que les explusions ne soient effectuées qu'en dernier ressort et que les agriculteurs reçoivent un préavis raisonnable, des indemnités adéquates pour leurs biens et récoltes perdus, ainsi qu'une aide pour trouver de nouvelles terres ou de nouveaux moyens d'existence. Les mesures destinées à protéger l'environnement, telles que la défense des forêts classées, devraient être mises en œuvre tout en respectant les droits de personnes qui vivent dans ces zones.

Cet article a été cosigné par Etelle Higonnet, directrice de campagne et d’affaires juridiques de l’ONG Mighty Earth.

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