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Biens mal acquis : les victimes de la corruption ont droit à la justice

Publié dans: Libération

Façade de la résidence parisienne de Teodorin Nguema Obiang, fils du président de la Guinée équatoriale Teodoro Obiang, située sur l’avenue Foch et photographiée le 14 février 2012. Le camion stationné devant l’entrée a fait l’objet d’une fouille par la police française, ce jour-là, dans le cadre d'une enquête anti-corruption. © 2012 Eric Feferberg/AFP/Getty Images

Le procès en appel contre le vice-président de la Guinée-Equatoriale, Teodorín Nguema Obiang, est essentiel et salutaire. La France peut être fière que ses tribunaux aient porté un coup à l’impunité d’un kleptocrate mais il est impératif que les avoirs soient restitués de manière responsable aux victimes.

Tribune. Après qu’un tribunal parisien a condamné, il y a deux ans, le vice-président de la Guinée-Equatoriale, Teodorín Nguema Obiang, pour avoir blanchi plus de 150 millions d’euros en France et que les autorités ont saisi ces avoirs, le gouvernement français a été confronté à la décision suivante : que faire de cet argent ? Une question toujours sans réponse alors que le procès en appel de Nguema contre sa condamnation doit s’achever ce mardi.

La condamnation par contumace de Nguema, également fils du président équato-guinéen, et la confiscation de ses biens mal acquis constituent une victoire marquante dans la lutte mondiale contre la corruption. Elles ont contrecarré les efforts éhontés de Nguema pour détourner les richesses pétrolières de son pays à des fins d’enrichissement personnel en France et ont servi de catalyseur pour faire de la France un partenaire clé pour que des dirigeants corrompus rendent enfin des comptes. En effet, les deux organisations, Transparency International France et Sherpa, qui ont incité la justice française à enquêter sur Nguema ont initié des cas contre d’autres dignitaires étrangers pour blanchiment d’argent, dont Rifaat al-Assad, oncle de l’autocrate syrien.

Siphonnage des ressources publiques

Mais cette victoire sera en partie vaine tant que la France ne veillera pas à ce que l’argent soit restitué de manière responsable au peuple de Guinée équatoriale, qui aurait dû être le premier à en bénéficier. La grande majorité de la population de cet Etat d’Afrique centrale n’a guère profité de la richesse pétrolière du pays, alors même que son président et sa famille exhibent sans vergogne des hôtels particuliers de luxe, des voitures de sport rutilantes et des montres ornées de diamants. Mon organisation, Human Rights Watch, a documenté comment les combines d’enrichissement rapide de l’élite politique ont siphonné les ressources publiques au détriment d’investissements dans la santé et l’éducation dont le pays a désespérément besoin.

Le problème est que même si la France reconnaît les Équatoguinéens comme les victimes de la corruption de Nguema, il n’existe pas de loi française qui facilite le rapatriement de ces avoirs par le gouvernement. Cela n’est pas surprenant car les cas portant sur ce type de blanchiment d’argent sont relativement récents et les normes et bonnes pratiques en la matière sont en cours d’élaboration. Le gouvernement français a mandaté une mission parlementaire chargée d’étudier la question. Dans un rapport publié le 27 novembre, cette dernière a proposé que les fonds soient transférés à travers une ligne budgétaire spécifique de l’Agence française de développement (AFD) pour les investir dans des projets sociaux «au plus près des populations dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’accès à l’eau» dans le pays d’où provient l’argent.

Impunité officielle

Bien que cette proposition constitue un pas important vers l’établissement d’un cadre juridique pour la restitution d’avoirs, le fait de procéder sur cette seule base pourrait compromettre dangereusement la crédibilité des dossiers en matière de blanchiment d’argent. La France, en particulier, doit se garder de donner l’argent à sa propre agence de développement. Pour une population confrontée à l’impunité officielle, les procès pour corruption comme celui d’Obiang ont un pouvoir extraordinaire. En levant le voile sur les agissements frauduleux d’un gouvernement, ils mettent en lumière non seulement les crimes d’un individu, mais aussi le système élaboré qui les rend possibles et les protège. Le fait que la procédure judiciaire se déroule dans un pays étranger peut en soi rappeler que la communauté des nations n’est pas aveugle à ces déprédations et que les frontières ne peuvent protéger totalement même les officiels les plus puissants de l’application du droit.

Le gouvernement équatoguinéen, comme d’autres se trouvant dans la ligne de mire de telles investigations, a répondu à ce pouvoir symbolique en présentant cette affaire comme une attaque néocolonialiste contre sa souveraineté, un effort moderne dissimulé derrière le langage du droit pour assujettir le gouvernement et piller les richesses de l’Afrique. Permettre au gouvernement français de garder le contrôle des biens spoliés ne peut que conforter cette manière dangereuse de présenter les choses et risque de transformer une victoire du droit sur le pouvoir en la perception du droit comme un instrument de pouvoir.

Pour un mécanisme transparent

Au lieu de cela, la France devrait s’inspirer des bonnes pratiques en place ailleurs pour s’assurer qu’elle contribue à l’établissement de normes internationales en matière de versement responsable des fonds. Tout d’abord, la France devrait adopter une loi conforme aux principes énoncés par le Forum mondial sur le recouvrement d’avoirs, initiative intergouvernementale soutenue par la Banque mondiale, qui modélise la bonne gouvernance en exigeant un mécanisme transparent, responsable et inclusif pour la restitution des fonds spoliés.

Elle devrait ensuite envisager de prendre exemple sur un modèle considéré comme l’un des meilleurs en matière de rapatriement responsable d’avoirs : la Fondation Bota. La Suisse et les États-Unis ont créé conjointement cette fondation, avec l’aide de la Banque mondiale, pour restituer 115 millions de dollars à la population du Kazakhstan. La fondation était indépendante et ses comptes entièrement transparents. Elle a travaillé en étroite collaboration avec des organisations kazakhes et internationales pour investir dans l’éducation des plus défavorisés, principalement par l’octroi de versements en espèces sous conditions à près de 100 000 familles ayant des enfants admissibles.

Transparence et traçabilité

En plus de verser les fonds indépendamment d’un organisme gouvernemental, le processus devrait être consultatif et transparent du début à la fin. Il s’agit notamment de veiller à la traçabilité des fonds par le public et de mettre en place un mécanisme de plainte pour enquêter sur toute irrégularité. Le processus devrait également inclure de manière formelle la participation d’organisations non gouvernementales internationales et nationales sélectionnées à travers un processus de mise en concurrence ouvert et transparent examinant de possibles conflits d’intérêts.

La restitution des avoirs volés devrait contribuer à la lutte contre la corruption et offrir un recours aux victimes. Elle ne devrait pas remplacer les financements gouvernementaux existants ni être utilisée pour permettre au gouvernement de s’acquitter de ses obligations sociales et économiques fondamentales. Les bénéficiaires des fonds ne devraient pas non plus comprendre de hauts responsables gouvernementaux ni leurs familles.

La France peut être fière que ses tribunaux aient porté un coup à l’impunité d’un kleptocrate. Mais la justice laissera un goût amer si les avoirs ne sont pas restitués de manière responsable aux victimes de Nguema.

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