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Inde : La nouvelle loi sur la citoyenneté déclenche manifestations et affrontements

Les musulmans sont visés par une politique discriminatoire, et des manifestants ont été victimes de violences

Ces femmes indiennes participaient à une manifestation contre la nouvelle loi sur la citoyenneté et les processus de vérification de la nationalité, dans le quartier de Shaheen Bagh (à majorité musulmane) à Delhi. en janvier 2020.   © 2020 Md Meharban

(New York) – L’imposition récente par l’Inde d’une nouvelle politique discriminatoire et d’une nouvelle loi sur la citoyenneté a déclenché des violences à l’encontre des musulmans, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le gouvernement dominé par le parti nationaliste hindouiste Bharatiya Janata (BJP) a adopté en décembre 2019 la nouvelle Loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Act) qui, pour la première fois, base la citoyenneté sur la religion. Cette loi, accompagnée d’un processus prévu de vérification nationale visant à identifier les « immigrants illégaux », menace potentiellement les droits découlant de la citoyenneté pour des millions de musulmans indiens. 

Ce rapport de 82 pages, intitulé « ‘Shoot the Traitors’: Discrimination Against Muslims Under India’s New Citizenship Policy » (« ‘Abattez les traîtres’: discrimination à l’encontre des musulmans dans le cadre de la nouvelle politique de l’Inde concernant la citoyenneté »), montre que la police et d’autres responsables se sont régulièrement abstenus d’intervenir quand des partisans du gouvernement ont attaqué les manifestants qui protestaient contre la nouvelle politique en matière de nationalité. En revanche, la police a été prompte à arrêter les détracteurs de cette politique et à disperser leurs manifestations pacifiques, y compris en ayant recours à une force excessive, voire létale.

« Le Premier ministre indien a lancé un appel à l’unité pour combattre le virus COVID-19, mais il n’a toujours pas appelé à l’unité dans la lutte contre les violences et les discriminations anti-musulmanes », a déclaré Meenakshi Ganguly, directrice pour l’Asie du Sud à Human Rights Watch. « La politique du gouvernement a ouvert la voie à des violences collectives et à une inaction de la part de la police qui ont instillé la peur parmi les musulmans et les autres communautés minoritaires dans tout le pays. »

Le rapport est basé sur plus de 100 entretiens avec des victimes d’abus et des membres de leurs familles vivant à Delhi ou dans les États d’Assam et d’Uttar Pradesh, ainsi qu’avec des experts juridiques, des universitaires, des activistes et des responsables de la police.

La nouvelle loi amendée sur la citoyenneté permet d’accélérer le traitement des demandes d’asile d'immigrants illégaux en provenance des pays voisins majoritairement musulmans comme l'Afghanistan, le Bangladesh et le Pakistan, mais elle en exclut les musulmans. Elle a été promulguée dans le contexte d’un effort du gouvernement BJP pour organiser un processus national de vérification de la citoyenneté, par le biais d’un Recensement national de la population (National Population Register, NPR) et d’un Recensement national des citoyens (National Register of Citizens, NRC), visant à déceler « les immigrants illégaux. » Bien que le travail de recensement de la population ait été reporté afin d’éviter la propagation du COVID-19, certaines déclarations faites par le ministre de l’Intérieur et par d’autres dirigeants du BJP ont suscité la crainte que des millions de musulmans indiens, dont un grand nombre appartiennent à des familles qui vivent dans le pays depuis des générations, pourraient se voir privés des droits découlant de la citoyenneté et marginalisés.

Les Nations Unies et plusieurs gouvernements ont publiquement critiqué la loi sur la citoyenneté comme étant discriminatoire car fondée sur des critères religieux. Mais les responsables du BJP ont tourné en dérision et menacé les protestataires, tandis que certains de leurs partisans se sont livrés à des agressions collectives contre les détracteurs du gouvernement et les manifestants. Certains dirigeants du BJP sont même allés jusqu’à appeler à abattre les manifestants, qualifiant ceux-ci de « traîtres ».

En février 2020 à Delhi, plus de 50 personnes ont été tuées dans des affrontements intercommunautaires et des attaques de musulmans par des foules hindouistes. Des séquences vidéo montrent que la police s’est rendue complice de ces violences, ce qui est confirmé par des récits de témoins. Lors d’un de ces incidents, des agents de police ont passé à tabac un groupe de cinq hommes musulmans qui avaient été blessés dans une attaque de rue, les ont nargués et leur ont ordonné de chanter l’hymne national en guise d’humiliation. L’un de ces hommes est par la suite décédé.

Au moins 30 personnes, pour la plupart des musulmans, ont été tués lors de manifestations dans des États gouvernés par le BJP, en particulier en Uttar Pradesh. Lors d’autres manifestations, dont certaines organisées par des étudiants, la police s’est abstenue d’intervenir quand des partisans du gouvernement ont attaqué les manifestants. « La police était présente sur le campus lorsque les violences ont éclaté », a déclaré un étudiant d’une université de Delhi qui a été blessé quand un groupe pro-BJP s’est attaqué à des étudiants qui manifestaient. « Nous avons demandé leur protection mais quand nous avons fui devant les assaillants, les policiers ne sont pas venus à notre aide. »

Le Recensement national des citoyens a déjà mis près de deux millions de personnes en danger de devenir apatrides et d’être placées arbitrairement en détention dans l’État d’Assam, dans le nord-est de l’Inde. En août 2019, l’Assam a été le premier État à achever le recensement. Human Rights Watch a constaté que le processus suivi en Assam n’était pas normalisé, ce qui pouvait conduire à des prises de décision arbitraires et discriminatoires par les responsables, et imposer des difficultés indues aux habitants les plus pauvres qui n’ont pas accès à des documents d’identité – depuis des décennies – pour étayer leurs revendications de citoyenneté. Les femmes, qui sont plus susceptibles que les hommes de n’avoir pas accès à ces documents, ont été affectées de manière disproportionnée. Le processus en Assam a accru les inquiétudes au sujet d’un recensement national des citoyens.

Les Tribunaux pour étrangers (Foreigners Tribunals), qui statuent en matière de citoyenneté en Assam, manquent de transparence et leurs procédures ne sont pas uniformes, a observé Human Rights Watch. Les organisations de défense des droits et les médias ont signalé que les musulmans étaient jugés par ces tribunaux en nombres beaucoup plus élevés et qu’ils étaient déclarés étrangers en proportion bien supérieure par rapport aux hindouistes, apparemment en raison de pressions politiques. Même certains responsables gouvernementaux et personnels militaires ont été déclarés immigrants illégaux.

« Nous avons vendu deux vaches, des poules et des chèvres », a déclaré une femme dont la famille ne pouvait pas payer les frais de procédure juridique et les documents nécessaires pour établir leur revendication de nationalité devant un Tribunal pour étrangers. « Maintenant, nous n’avons plus rien à vendre. »

La nouvelle Loi sur la citoyenneté constitue une violation de l’obligation internationale de l’Inde d'empêcher le déni de citoyenneté sur la base de la race, de la couleur de la peau, de la parenté ou de l’origine nationale ou ethnique. Le gouvernement indien devrait abroger cet amendement et faire en sorte que toute future politique nationale en matière d’asile et d’octroi du statut de réfugié n’établisse pas de discrimination sur quelque base que ce soit, y compris religieuse, et soit conforme aux normes juridiques internationales. Il devrait également renoncer à tout projet de vérification de la citoyenneté à l’échelle nationale avant que des consultations publiques n’aient permis d’établir des normes de procédure et des protections de la régularité de ces procédures, afin d’assurer qu’il n’impose pas de difficultés indues aux communautés minoritaires pauvres, aux populations migrantes ou déplacées à l’intérieur des frontières et aux femmes, a affirmé Human Rights Watch.

« Le gouvernement indien a tenté de disjoindre la loi sur la citoyenneté des processus de vérification de la nationalité, mais il n’a pas réussi à rassurer les communautés minoritaires, à cause des déclarations contradictoires, discriminatoires et haineuses faites par des dirigeants du BJP », a affirmé Meenakshi Ganguly. « Le gouvernement devrait immédiatement renoncer à une politique qui viole les obligations juridiques internationales de l’Inde, enquêter sur les allégations d’exactions policières, et protéger les libertés d’expression et de réunion. »

Exemples de cas cités dans le rapport

Aslam (nom modifié), Assam

Aslam, un musulman bengali qui travaillait comme chauffeur à Guwahati, a été exclu du Recensement national des citoyens en Assam alors même que ses parents, sa femme et ses enfants y sont inclus. Son nom en a été écarté très probablement parce qu’il était épelé différemment dans différents documents, chose très commune à travers le pays. Il a indiqué que l'orthographe de son nom sur sa carte d’électeur et sur sa carte de contribuable fiscal, aussi appelée Numéro de compte permanent (Permanent Account Number, PAN), étaient différentes. « Le formulaire pour la carte du PAN est en anglais, mais nous remplissons les formulaires pour les cartes d’électeur en assamais », a-t-il dit. « Et quand ils les transcrivent en anglais, souvent l’orthographe du nom change. »

Salima (nom modifié), Assam

Salima, 45 ans, une musulmane bengalie vivant dans le district de Barpeta, a été déclarée étrangère en situation irrégulière en février 2019. Cependant, les membres de sa famille, munis des mêmes documents, ont obtenu leur certification. Selon son avocat, la raison en est que lorsque Salima a donné oralement ses arguments au tribunal, elle n’a pas pu expliquer son cas correctement, comme cela se produit souvent dans les communautés rurales où les gens peuvent être peu sûrs de leur âge et de certains autres détails. « Les plaideurs sont pauvres, ils ne comprennent pas les conséquences », a déclaré son avocat. « Elle n’a pas pu dire au tribunal qu’elle avait une belle-mère, combien elle avait de frères et sœurs, ainsi que leur âges exacts. »

Asad Raza, religieux musulman, Uttar Pradesh

Le 20 décembre, la police du district de Muzaffarnagar est prétendument entrée dans une madrassa, un séminaire islamique, l’a saccagé et a arrêté le responsible religieux et 35 élèves, dont 15 avaient moins de 18 ans. Le religieux, Asad Raza, a affirmé que de nombreux policiers étaient venus après la prière de l’après-midi, ostensiblement à la recherche de manifestants, mais qu’en fait, ils se sont déchaînés, passant les gens à tabac et détruisant des biens:

Quand j’ai ouvert le portail, les policiers ont commencé à me frapper. Ils ont défoncé toutes les portes pour trouver les élèves. Ils ne nous ont jamais dit pourquoi ils nous arrêtaient. Ils ont simplement commencé à nous passer à tabac. Ils nous ont pris nos téléphones portables et ne nous les ont pas rendus. Ils ont aussi pris de l’argent dans le bureau. Une telle chose ne s’était jamais produite ici auparavant.

SR Darapuri, agent de police à la retraite, Uttar Pradesh

SR Darapuri, un ancien policier de haut rang devenu un activiste bien connu, a été placé en résidence surveillée en décembre pour l’empêcher de participer à des manifestations contre la loi de citoyenneté. La police l’a quand même arrêté sous de fausses accusations, peut-être pour faire un exemple. « S’ils se permettent de faire cela à un inspecteur général de la police à la retraite, je n’ose imaginer ce qu’ils font à un homme ordinaire », a-t-il dit.

Darapuri a affirmé que la police en Uttar Pradesh se comportait de manière ouvertement discriminatoire: « Ils ne se soucient même pas de cacher leur parti-pris, car ils savent qu’ils sont totalement protégés. »

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