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Philippines : La « guerre antidrogue » fait subir des dommages durables aux enfants

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU devrait exiger que justice soit rendue pour les meurtres commis

 
Ce dessin a été réalisé par Jennifer M., une jeune fille philippine qui a vu des policiers abattre son père dans leur domicile à Quezon City en décembre 2016, dans le cadre de la thérapie qu’elle a par la suite suivie pour soigner sa détresse psychologique. © 2016 Kiri Dalena pour Human Rights Watch

 

(Manille, le 27 mai 2020) – Des milliers d’enfants aux Philippines ont subi des dommages durables sur les plans physique, émotionnel et économique du fait de la « guerre antidrogue » abusive menée par le président Rodrigo Duterte, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui, et dans une vidéo qui l’accompagne. Les gouvernements qui siègent au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies devraient soutenir, en juin 2020, l’ouverture d’une enquête internationale indépendante sur les meurtres commis aux Philippines dans le cadre de la « guerre antidrogue », y compris sur les violations des droits des enfants.

Ce rapport de 48 pages, intitulé « ‘Our Happy Family Is Gone’: Impact of the ‘War on Drugs’ on Children in the Philippines » (« ‘Dans notre famille, le bonheur a disparu’: Impact de la ‘guerre antidrogue’ sur les enfants aux Philippines » ), expose en détail la détresse des enfants dont les parents ou les tuteurs ont été tués. De nombreux enfants ont souffert de détresse psychologique et tous ont connu des difficultés économiques qui ont été accrues par la mort d’un membre de leur famille jouant un rôle de gagne-pain. L’aggravation de la pauvreté et du traumatisme qu’elle cause a poussé de nombreux enfants à quitter l’école ou les a contraints à travailler. Des enfants qui ont perdu un membre de leur famille ont subi des brimades à l’école et dans leur communauté. Certains ont été contraints de vivre dans la rue.

« Les enfants philippins ont terriblement souffert de la décision du président Duterte de déchaîner la police et ses hommes de main contre les personnes soupçonnées de recourir à la drogue », a déclaré Carlos Conde, chercheur sur les Philippines à Human Rights Watch. « Le gouvernement doit cesser cette violence permanente qui bouleverse la vie de nombreux enfants et orienter une assistance vers ceux qui en ont été affectés. »

Lors des recherches effectuées pour ce rapport, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 49 personnes : 10 enfants, 23 parents, proches ou tuteurs, ainsi que 16 responsables gouvernementaux, membres d’organisations non gouvernementales et chefs de communauté. Human Rights Watch a précédemment documenté l’impact de 23 meurtres commis dans le cadre de la « guerre antidrogue » sur les familles des victimes dans six villes et provinces, dont le Grand Manille.

L'Agence philippine de lutte contre la drogue a annoncé que 5 601 personnes soupçonnées de consommation ou de trafic de drogue sont mortes lors d’opérations de police entre le 1er juillet  2016 et le 31 janvier 2020. La police affirme que ces personnes ont été tuées parce qu’elles avaient résisté à leur arrestation. Ce nombre n’inclut pas les milliers d’autres personnes tuées par des tireurs non identifiés ou par des milices, dont la plupart ont des liens avec la police.

Les défenseurs des droits des enfants aux Philippines ont documenté le fait que 101 enfants ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires ou tués dans des circonstances liées à leur simple présence, lors d’opérations antidrogue effectuées entre le milieu de 2016 et la fin de 2018. Selon les médias, les meurtres d’enfants ont continué en 2019 et se poursuivent en 2020.

L'impact des violences liées à la « guerre antidrogue » va au-delà des simples meurtres, a constaté Human Rights Watch. Des enfants ont décrit les épreuves qu’ils ont subies en conséquence du meurtre d’un membre de leur famille. Jennifer M. a déclaré qu’elle avait cessé de s’alimenter, était devenue dépressive et avait subi des brimades à l’école, après le meurtre de son père par la police à Quezon City en 2016. « J’étais furieuse contre les policiers parce que mon père avait imploré leur pitié, mais ils ne l’ont pas écouté », a déclaré Jennifer, qui avait 12 ans à l’époque. Les policiers, a-t-elle affirmé, l’ont abattu sous ses yeux.

La famille de Renato A., tué à Mandaluyong City en 2016, a eu à faire face à des difficultés extrêmes depuis sa mort. Ses 3 enfants – âgés de 13 ans, 10 ans et 1 an à l’époque où il a été tué – ont cessé d’aller à l’école et vivent depuis lors dans la rue. « J’ai dû travailler plus dur quand mon père est mort », a déclaré l’aîné, Robert, qui travaillait comme éboueur pour soutenir sa famille. « Je suis devenu un père pour mes frère et sœur. »

L'absence de soutien de la part du gouvernement a rendu la situation de ces enfants encore plus grave, a déclaré Human Rights Watch. L’administration Duterte n’a pas de programme visant à subvenir aux besoins des enfants devenus victimes collatérales des violences, qui sont souvent réticents à demander de l’aide au gouvernement à cause du traumatisme de la « guerre antidrogue. » Quoique le Département des affaires sociales et du développement fournisse une assistance classique, telle que le financement du coût de l’enterrement du défunt, il n’a pas mis en place de véritable campagne de sensibilisation pour ces familles et leurs enfants, laissant aux organisations religieuses, non gouvernementales et communautaires le soin d’intervenir sur les plans économique, psychosocial ou de la santé mentale.

En février 2018, la Cour pénale internationale a entamé un examen préliminaire des plaintes déposées contre le président Duterte dans le cadre de la « guerre antidrogue », décision à laquelle le gouvernement philippin a réagi en se retirant de la Cour. En juin 2019, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution demandant au Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme de lui remettre un rapport complet sur la situation aux Philippines en matière de droits humains. Le Haut-Commissariat est censé présenter ce rapport au Conseil des droits de l’homme lors de sa session de juin à Genève.

« Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU devrait lancer une enquête internationale et insister auprès du gouvernement des Philippines pour qu’il mette fin à sa ‘guerre antidrogue’ meurtrière », a affirmé Carlos Conde. « Si le gouvernement n’agit pas en ce sens dès maintenant, c’est toute une génération d’enfants philippins qui sera exposée aux violences de la campagne antidrogue de Duterte. »

Extraits de témoignages cités dans le rapport

Jennifer M., fille de Benigno M., tué en décembre 2016 :

J’étais désorientée parce que je ne comprenais pas pourquoi. Pourquoi mon papa? Parmi tous les gens dehors, pourquoi ont-ils choisi mon père? J’étais furieuse contre les policiers parce que mon père avait imploré leur pitié, mais ils ne l’ont pas écouté. C’est pourquoi j’étais très en colère.

Je ne peux pas l’expliquer parce qu’il y a tellement de gens qui sont tués ici à Payatas, que votre esprit devient confus. Comment en parler autrement? À quoi pensez-vous quand vous vous remémorez ce qui s’est passé? C’est comme si votre esprit était en désordre.

Malou M., mère de Jennifer :

C’est dur parce que vous ne savez pas comment commencer, comment vous allez pourvoir aux besoins de vos enfants, comment vous allez les envoyer à l’école et comment vous allez payer leurs dépenses quotidiennes et leurs repas. Il y a des jours où ils ne peuvent pas aller à l’école parce qu’ils n’ont pas d’allocation scolaire. Nous avons perdu l’eau courante parce que nous ne pouvions pas payer la facture d’eau, et aussi l’électricité et beaucoup d’autres choses.

Randy delos Santos, oncle de Kian delos Santos, 17 ans, tué en août 2017 :

S’il n’y avait pas eu de caméras de surveillance, la vérité sur la mort de mon neveu n’aurait sans doute pas été connue et il n’y aurait jamais eu d’action judiciaire contre les policiers.

Robert A., dont le père a été tué en décembre 2016 :

Nous étions sortis pour acheter des cacahuètes. Mon cousin et moi avons vu arriver quatre hommes sur deux motos sans plaques d’immatriculation, le visage recouvert et portant des blousons. J’ai essayé de les éloigner, de m’interposer. J’ai tout fait pour arriver le premier près de mon père, mais c’était trop tard. Je les ai vus abattre mon père.

John [frère de Robert] a été le plus affecté par la mort de mon père parce que depuis que c’est arrivé, je ne le vois plus jamais heureux. Si je le vois sourire, c’est un sourire forcé. Il cherche encore notre père parce qu’il était son préféré. Maintenant, il se met facilement en colère et il n’a plus confiance en personne.

J’ai dû travailler plus dur quand mon père est mort. Je suis devenu comme un père pour mon frère et ma sœur parce que je ne veux pas les voir souffrir … donc je fais tout ce que je peux. Je me force à travailler, même quand je n’en ai pas envie. Je me force pour moi-même, et pour mon frère et ma sœur.

Karla A., sœur de Robert :

J’étais là quand c’est arrivé, quand mon papa a été abattu. J’ai tout vu, j’ai vu comment il a été tué.… Dans notre famille, le bonheur a disparu. Il n’y a plus personne que nous pouvons appeler père. Nous voudrions être avec lui, mais nous ne pouvons plus.

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Gavroche-Thailande      LaPresse

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