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Mexique : Des personnes handicapées face à des abus familiaux et à la négligence

Le gouvernement devrait protéger ces personnes, leur assurer l’accès à la justice et les aider à vivre de manière autonome

(Mexico, le 4 juin 2020) – Le gouvernement mexicain n’assure pas la protection des personnes handicapées du Mexique vis-à-vis des graves abus et négligences qu’elles peuvent subir de la part de leurs familles, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le gouvernement devrait protéger de la violence les personnes en situation de handicap, notamment en mettant en place des services les aidant à vivre en autonomie.

Le rapport de 71 pages, intitulé « ‘Better to Make Yourself Invisible’: Family Violence against People with Disabilities in Mexico » (« ‘Mieux vaut pour vous devenir invisible’ : Violences familiales à l’encontre des personnes handicapées au Mexique »), documente les abus et négligences que subissent de nombreuses personnes en situation de handicap aux mains de leur famille, au sein de laquelle elles se trouvent souvent piégées, en l’absence d’appui à une vie autonome de la part du gouvernement. Human Rights Watch décrit par ailleurs les difficultés souvent insurmontables qu’affrontent les personnes handicapées pour obtenir justice et protection vis-à-vis des auteurs de ces abus.

« De nombreuses personnes handicapées au Mexique sont piégées dans des situations familiales violentes, avec peu de choix possibles pour séchapper ou demander justice », a déclaré Carlos Ríos-Espinosa, chercheur senior sur les droits des handicapés à Human Rights Watch et auteur du rapport. « Non seulement le gouvernement na pas su les protéger, mais dans de nombreux cas il a renforcé la dépendance de ces personnes vis-à-vis des familles en ne soutenant pas leur droit à vivre en autonomie. »

Une carte du Mexique montrant les quatre États où HRW a mené des recherches au sujet des personnes handicapées : Mexico, ainsi que Nuevo León, Jalisco et Oaxaca. © Human Rights Watch

Human Rights Watch a interrogé 140 personnes, dont 38 adultes handicapés, dans quatre États : Oaxaca, Jalisco, Nuevo León et Mexico. Parmi eux, se trouvaient des personnes en situation de handicap physique, d’autres sourdes ou aveugles, et d’autres encore présentant des handicaps du développement, comme l’autisme. Les personnes interrogées ont décrit des abus physiques, sexuels et émotionnels, ainsi que des actes de négligence, et certaines ont expliqué qu’elles étaient enfermées dans une pièce, voire entravées sur un lit. Certains adultes vivant chez leurs parents subissent les mêmes abus depuis l’enfance.

Olga, 45 ans, qui présente une paralysie cérébrale et vit avec ses parents et frères et sœurs à Mexico, a témoigné : « Mes parents minsultent et me réprimandent. Mon père me frappe et me fait tomber de mon fauteuil roulant, ce qui m’attriste et me fait pleurer. »

L’absence de politique gouvernementale veillant à ce que les personnes handicapées puissent vivre de façon autonome et choisir où et avec qui elles vivront implique qu’elles n’ont guère d’options, excepté demeurer chez ceux qui commettent des abus à leur égard, parfois durant toute leur vie.

Or l’épidémie de Covid-19 pourrait exacerber les violences familiales, vu que les familles sont confinées chez elles et que beaucoup connaissent des difficultés économiques dues à la perte d’emplois. Le 27 mai, un porte-parole du président mexicain Andrés Manuel López Obrador a reconnu que les violences familiales avaient augmenté lors de la pandémie et annoncé une nouvelle campagne contre ce type de violence.

De nombreuses personnes interrogées étudient dans des établissements spéciaux pour personnes handicapées. Mais les établissements ayant fermé pour empêcher le Covid-19 de se répandre, ils n’ont plus aucun endroit sûr où aller, même pour quelques heures.

Le gouvernement fédéral du Mexique a introduit des allocations pour adultes handicapés, qui s’élevaient en février 2019 à 1 310 pesos (58 USD) par mois. Ce programme a vocation à bénéficier seulement à un million de personnes en situation de handicap, sur les 7 millions vivant au Mexique. Mais ces allocations sont insuffisantes pour vivre en autonomie. Par ailleurs, de nombreuses personnes ne peuvent pas vivre de façon autonome à cause de l’inexistence d’autres services essentiels, comme des logements et transports accessibles ainsi qu’un personnel compétent pour les assister dans leurs tâches de la vie quotidienne.

Les lois des États et les pratiques gouvernementales renforcent également la dépendance des personnes handicapées vis-à-vis de leur famille. À Oaxaca et Mexico, les familles ont l’obligation légale de soutenir leurs proches handicapés adultes et c’est à elles que les autorités versent souvent l’allocation, leur en donnant ainsi le contrôle.

Les responsables de la principale administration des services sociaux assurant des services destinés aux personnes handicapées, Desarrollo Integral de la Familia (DIF), interviennent dans certains cas de violences familiales. Dans les cas de négligence ou d’abus extrême, ils peuvent placer les personnes handicapées dans des institutions ou chez d’autres membres de la famille, mais n’apportent aucun soutien à la vie en autonomie.

Les personnes handicapées rencontrent aussi d’énormes obstacles pour avoir accès à la justice, soit parce que de nombreux bureaux des procureurs, auprès desquels ils doivent déposer plainte, ne leur sont pas accessibles, soit parce qu’ils ne reçoivent pas d’assistance en matière de communication lors des procédures. De nombreux procureurs ont d’ailleurs une connaissance limitée des aménagements procéduraux qui sont nécessaires pour les assister. L’accès aux refuges est extrêmement limité pour les femmes handicapées et leurs enfants, tandis qu’il n’existe aucun refuge pour les hommes.

L'une des femmes interrogées, Guadalupe Huerta Mora, qui a actuellement 55 ans, est devenue handicapée en 2010 lorsque les trois sœurs de son mari l’ont rouée de coups de poing et de pied, lui causant une grave lésion dorsale qui l’a rendue incapable de marcher. Obligée de se réinstaller chez ses agresseurs, elle a fini par s’enfuir de Mexico avec l’appui de son fils, alors âgé de 13 ans.

Le gouvernement fédéral mexicain a créé un nouveau système national pour protéger les femmes de la violence, appelé Puerta Violeta (Porte Violette). Il est en train de revoir certaines politiques existantes, notamment les directives de fonctionnement des refuges d’urgence. Le gouvernement devrait consulter activement les personnes handicapées lors de la mise en place et de l’application de ces politiques.

En vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, que le Mexique a ratifiée en novembre 2007, ces personnes ont le droit de vivre en autonomie, avec, au même titre que les autres, la possibilité de choisir où, comment et avec qui vivre. Elles ne devraient pas être obligées de vivre avec leur famille ni dans des institutions où elles subissent une ségrégation. Les personnes en situation de handicap ont également le droit d’être protégées de la violence et de la négligence, y compris de la part de leur famille, et les États doivent garantir qu’elles puissent avoir accès aux mécanismes de protection et de justice.

Le gouvernement mexicain fédéral et les gouvernements des États devraient protéger les personnes handicapées de la violence en veillant à ce que la législation et les politiques fassent expressément référence à elles et garantissent l’accessibilité et l’aménagement des procédures de tout le système judiciaire pénal, a déclaré Human Rights Watch. Une mesure clé est de garantir que les personnes handicapées puissent dénoncer les abus et actes de négligence familiaux via des mécanismes de plainte accessibles. Le gouvernement devrait également revoir sa collecte de données sur la violence, et notamment les violences familiales, afin d’y intégrer des données ventilées sur les personnes handicapées, avec notamment un classement par type de handicap.

Les entités publiques devraient par ailleurs mettre en place un plan exhaustif, assorti de dates-butoirs, visant à étendre le soutien et les services en faveur d’une vie autonome, en particulier grâce à de meilleures opportunités d’emploi, des logements et transports abordables et accessibles ainsi que l’assistance d’un personnel compétent destinée aux personnes qui en ont besoin pour les tâches de la vie quotidienne.

« Le gouvernement mexicain doit agir davantage afin dinclure pleinement les personnes en situation de handicap dans sa lutte contre les violences familiales, surtout au moment où le Covid-19 menace dexposer davantage dentre elles à des risques accrus », a déclaré Carlos Rios-Espinosa.

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