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girls from the Kalokol Girls Primary School fetch water

Échapper au piège de la pauvreté

Pourquoi pauvreté et inégalité sont bien une question de droits humains

Des élèves de l’Ecole primaire pour filles Kalokol, située près du lac Turkana au Kenya, recueillent de l’eau dans une rivière non loin de leur école, privée d''eau courante. Le fort taux de salinité du lac Turkana – lié au réchauffement climatique – est trop élevé pour être potable. © 2014 Brent Stirton/Reportage by Getty Images

Les rapports de Human Rights Watch mettent depuis longtemps en évidence que lorsque les gens vivent dans la pauvreté, ils subissent aussi un moindre respect de l’ensemble de leurs droits humains. C’est pourquoi nous poussons les gouvernements à mettre fin aux abus qui contribuent à la pauvreté. Nous avons récemment décidé de renforcer ce travail et d’étendre sa portée en y intégrant les inégalités économiques. La chercheuse Komala Ramachandra évoque ce changement avec Amy Braunschweiger, ainsi que la raison pour laquelle le combat contre la pauvreté et les inégalités extrêmes est au cœur de la défense des droits humains.

Quel est le lien entre pauvreté, inégalité et droits humains ?

Lorsque quelqu’un n’est pas en mesure de se nourrir ou de loger sa famille, que cette personne n’a pas accès à l’eau potable ou un à emploi décent, ou encore que les enfants n’ont d’autre choix que d’abandonner l’école ou de se marier parce qu’ils vivent dans la pauvreté, ce sont autant d’exemples d’atteintes aux droits humains. Si les pratiques des gouvernements et des entreprises privent systématiquement les gens des ressources dont ils ont besoin, la pauvreté s’installe et les inégalités économiques s’accroissent. Mais si vous remettez en question les iniquités structurelles et que vous améliorez l’accès aux biens et services essentiels, les gens peuvent vivre dans la dignité, ce qui est fondamental pour le respect des droits humains.

Le recoupement entre pauvreté, discrimination, exclusion et diverses autres atteintes aux droits est un thème qui revient souvent dans notre travail à Human Rights Watch. Par ailleurs, il est fondamental de s’attaquer à l’impact des privations pour protéger les droits humains. Nous enquêtons sur les politiques qui piègent les gens dans la pauvreté afin de pouvoir briser les cercles vicieux de la misère et favoriser un développement plus inclusif. 

Dans quelle mesure la pauvreté est-elle la faute des gouvernements ? 

Les États du monde entier ont l’immense responsabilité d’apporter leur soutien à la population et de l’aider à atteindre un niveau de vie correct, ce qui est un droit humain fondamental. Ils peuvent le faire en veillant à adopter des politiques qui ne favorisent pas les plus riches au détriment des plus pauvres. Or c’est tout le contraire que font les gouvernements lorsqu’ils échouent à serrer la bride à des personnes ou des entreprises puissantes dont les actes ont pour résultat que les gens vivent dans la misère. Lorsque les gouvernements manquent à leur devoir de faire appliquer les normes du monde du travail ou qu’ils font marche arrière sur des politiques de prévention de la déforestation ou de la pollution, ils contribuent à ce que les gens perdent leurs moyens de subsistance ou l’environnement sain où ils vivaient. De même, les lois qui régissent la propriété foncière, l’héritage ou les emprunts, entre autres, peuvent nuire de façon disproportionnée aux personnes qui ont déjà des difficultés financières.

Beaucoup de gouvernements sont par ailleurs défaillants pour ce qui est d’investir dans des ressources et des programmes garantissant que tout le monde puisse obtenir de quoi satisfaire ses besoins. Ils réduisent les budgets des prestations alimentaires et adoptent des politiques ou des lois qui excluent certains enfants de la scolarisation. Par exemple, en Tanzanie, nous nous sommes efforcés de mettre fin aux politiques discriminatoires qui empêchent les filles enceintes d’être scolarisées.

Aux États-Unis, le coût des soins médicaux empêche certaines personnes de se faire soigner. De plus, il y a dans ce pays une nette corrélation entre ethnicité et pauvreté, cette dernière touchant de façon disproportionnée les communautés de couleur. La plupart des États du monde n’ont pas de système social protégeant des chocs externes les personnes les plus vulnérables économiquement, alors que la sécurité sociale fait partie des droits humains fondamentaux.

Les États nuisent également à la population lorsqu’ils donnent la priorité à l’efficacité aux dépens des droits, en se servant des technologies pour automatiser les programmes sociaux. Au Royaume-Uni, le gouvernement utilise un algorithme mal conçu afin de calculer les prestations sociales auxquelles ont droit les gens, ce qui génère des retards et fluctuations de paiement qui poussent les personnes vers la faim, les dettes et l’appauvrissement. Et qu’en est-il de ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir Internet à la maison ? L’État exige quand même d’eux qu’ils gèrent leurs prestations sociales en ligne.

En outre, du fait de la pandémie, nous observons ce qu’il se passe lorsque les États n’investissent pas suffisamment dans les programmes de protection sociale afin de veiller à ce que les gens ne soient pas jetés dans l’abîme économique en cas de crise.

Par exemple, au Cambodge, de nombreux travailleurs à faible salaire ont perdu leur emploi lorsque les entreprises et les ateliers ont fermé à cause de la pandémie. Beaucoup se tournent actuellement vers les microprêts afin de pouvoir payer des services essentiels comme les soins médicaux et les frais de scolarité. Malgré les directives adressées aux prêteurs par le gouvernement, ces organismes proposant les microprêts, contre toute éthique, forcent les gens à vendre leurs terres et leurs logements, utilisés comme garanties de prêt, lorsqu’ils ne parviennent pas à rembourser. Le gouvernement cambodgien devrait suspendre les remboursements des prêts et cumuls d’intérêts et apporter aux personnes concernées une protection contre l’endettement.

De quelle autre manière les gouvernements peuvent-ils aider les gens à sortir de la pauvreté ?

Un premier pas crucial est de mettre en place un cadre légal solide qui protège les droits économiques fondamentaux des personnes, comme le droit à un niveau de vie correct, et offre des recours efficaces à ceux dont les droits économiques sont bafoués. Ainsi les lois et réglementations doivent empêcher les gens d’exploiter les systèmes politique et économique à leur profit et aux dépens d’autrui. Il s’agit notamment de mettre en place des protections et politiques en matière de travail, d’environnement, de consommation, de lutte contre la discrimination, ou en matière pénale. Les gouvernements peuvent par exemple relever le salaire minimal de façon à ce qu’il permette réellement de vivre et réponde aux besoins des travailleurs et de leurs familles.

Ces droits sont universels et, dans un système économique mondialisé, ces protections devraient s’appliquer aussi au-delà des frontières. Ce sont les travailleurs de toute une chaîne de valeur mondiale qui doivent être protégés contre les atteintes aux droits des travailleurs. Quant aux États, il leur revient de suivre et d’imposer l’application de ces lois. Si elles ne sont pas appliquées, même les meilleures lois n’ont guère d’impact.

Les États devraient par ailleurs tirer profit de leurs ressources afin d’investir dans les individus et les communautés. Ils peuvent par exemple augmenter leurs dépenses en faveur de divers programmes sociaux comme les soins médicaux, l’éducation, la formation professionnelle et l’accès au crédit. Cela passe aussi par l’amélioration de la transparence et du contrôle afin d’éradiquer la corruption et les pratiques dilapidant les ressources, les détournant ainsi des personnes qui en ont le plus besoin.

Il est crucial que les États intègrent les points de vue de la population lorsqu’ils élaborent ces politiques ainsi que les technologies qu’ils utilisent pour les appliquer. C’est un contrepoids indispensable face aux pouvoirs intéressés qui ne cherchent qu’à s’enrichir.

Dans le contexte des projets de développement, par exemple, les communautés affectées devraient être consultées afin de garantir qu’elles reçoivent les bénéfices promis et ne se retrouvent pas à y perdre davantage qu’elles n’y gagnent. En Guinée, nous avons rapporté le cas de mines de bauxite fondées à la fois par des investisseurs chinois et par la branche Secteur privé du Groupe Banque mondiale. Les mines étaient censées créer des emplois et améliorer la situation des communautés. Au contraire, elles ont mis en péril les moyens de subsistance de milliers de personnes en détruisant des terres agricoles ancestrales et en endommageant des sources d’eau. Les sociétés impliquées affirment qu’elles ont consulté les communautés, mais en réalité, celles-ci n’ont guère d’autre choix que de laisser les activités minières suivre leur cours selon les conditions fixées par les entreprises. Les communautés, au contraire, devraient pouvoir prendre part aux décisions portant sur la façon dont leurs terres sont exploitées, et tirer des bénéfices significatifs des activités minières et des autres projets de développement.

Et si les gouvernements n’ont pas les moyens d’apporter tout cela à leur population ?

C’est vrai, les États n’ont pas des fonds illimités, particulièrement au lendemain de la pandémie, alors que beaucoup font face à une chute de leurs revenus. Pourtant, en respectant les droits humains, les gouvernements s’assurent que des personnes et des entreprises puissantes ne rendent pas encore plus difficile pour les gens d’atteindre la sécurité financière. Cela ne nécessite pas des dépenses massives de la part de l’État.

D’ailleurs, il y a beaucoup de choses que les gouvernements peuvent faire pour optimiser les ressources dont ils disposent. Cela implique d’éliminer la corruption et les opérations entre initiés orchestrées par des politiciens, qui peuvent causer des dépenses mal employées ou dilapidées. Les États devraient donner la priorité aux besoins des plus pauvres, garantissant que tout le monde reçoive l’appui nécessaire pour avoir accès à la nourriture, au logement, à l’eau, à l’éducation et aux autres conditions essentielles d’une vie décente. Ils devraient aussi chercher à apporter des protections sociales universelles, comme un système d’allocations, et aider les personnes à atteindre une meilleure sécurité économique. Par exemple, fournir un accès Internet abordable aux familles à faible revenu peut les protéger de l’appauvrissement, de même qu’offrir une éducation publique de qualité ainsi que d’autres cursus de formation continue conçus pour donner accès à de meilleurs emplois. Tout cela profiterait à la société toute entière.

De plus, les gouvernements devraient faire en sorte d’avoir les ressources nécessaires pour financer des programmes, mettant en place à long terme des programmes stables axés sur les besoins de la population. Enfin ils devraient prendre des mesures pour prévenir l’évasion fiscale et envisager des politiques fiscales progressistes, qui taxent les personnes ayant le plus de biens à un taux plus élevé que les plus modestes, ce qui permet d’alléger le fardeau des pauvres.

Que répondriez-vous à ceux qui disent que si les gens vivent dans la pauvreté, c’est de leur faute ? 

Tout le monde est doté de droits fondamentaux comme le droit à la nourriture ou au logement – la question n’est pas de savoir qui les « mérite » ou non. Il existe indéniablement des forces systémiques qui font qu’il est beaucoup plus difficile pour certaines personnes de gagner assez d’argent pour satisfaire leurs besoins fondamentaux ou d’économiser suffisamment pour être à l’abri de la ruine en cas de dépenses imprévues. Cela a contribué au fort accroissement des inégalités dans le monde : plus de 70 % de la population mondiale vit dans des pays qui ont vu récemment les inégalités augmenter. Or il n’y a aucune raison qu’une personne soit obligée de cumuler de multiples travaux ou emplois pour pouvoir joindre les deux bouts.

Les gens devraient avoir un certain contrôle sur leur vie et pouvoir décider de leur avenir. Nous voulons modifier les politiques qui privent les personnes de ces choix et des opportunités dont ils ont besoin pour se bâtir une vie meilleure.

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