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Liban : La loi sur le harcèlement sexuel présente d’importantes lacunes

Cette loi ne prévoit pas de mesures de prévention, de réforme du droit du travail ni de mécanisme de suivi

Des activistes manifestent contre le harcèlement sexuel, le viol et les violences conjugales à Beyrouth, la capitale du Liban, le 7 décembre 2019. © 2019 Anwar Amro/AFP pour Getty Images

(Beyrouth) – La loi contre le harcèlement sexuel récemment adoptée par le Liban présente des lacunes par rapport aux normes internationales car elle se limite à traiter le harcèlement sexuel comme un crime en négligeant la prévention, les réformes nécessaires du droit du travail, le suivi et les recours civils, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, à l’approche de la Journée internationale des femmes, le 8 mars 2021. Le gouvernement libanais devrait adopter une approche plus globale, notamment en ratifiant et en mettant en application la Convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la violence et le harcèlement.

Le 21 décembre 2020, le Liban a adopté une « Loi de criminalisation du harcèlement sexuel et [de] réhabilitation de ses victimes » Cette loi constitue une avancée, en faisant du harcèlement sexuel un crime et en prévoyant des protections pour les lanceuses d’alerte. Toutefois, elle reste en-deçà des exigences de la Convention de l’OIT sur la violence et le harcèlement, qui stipule que les gouvernements devraient traiter le problème de la violence et du harcèlement dans le monde du travail par une « approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre », comprenant notamment des aménagements du droit du travail, des lois sur la sécurité et la santé sur les lieux de travail, et des lois sur l’égalité et la non-discrimination, venant s’ajouter aux dispositions du droit pénal.

« Faire du harcèlement sexuel un crime constitue un pas important vers la condamnation de comportements abusifs qui ont été trop longtemps tolérés et normalisés au Liban, mais ce n’est pas suffisant », a déclaré Nisha Varia, directrice du plaidoyer auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Des campagnes publiques d’information, l’introduction dans la loi de l’exigence que les employeurs s’efforcent de prévenir les actes de harcèlement sexuel et d’y répondre, ainsi que des mécanismes de suivi et de contrôle de l’application sont des éléments essentiels pour règler cette grave question, qui affecte la vie personnelle et professionnelle de nombreuses femmes. »

Le harcèlement sexuel est un problème extrêmement répandu au Liban. Dans un rapport publié en 2016, l’Enquête internationale sur les hommes et l’égalité des sexes (« International Men and Gender Equality Survey ») au Liban et ONU-Femmes ont révélé que les deux tiers des femmes ayant répondu à l’enquête avaient affirmé avoir subi des actes de harcèlement sexuel dans l’espace public, nombre d’entre elles précisant les avoir subis au cours des trois mois ayant précédé l’enquête.

La loi définit le harcèlement sexuel comme consistant en « tout comportement négatif et répétitif extraordinaire, non voulu par la victime, à connotation sexuelle et constituant une violation de l’intégrité physique, de l’intimité ou des émotions. » Elle souligne que le harcèlement sexuel peut se manifester dans des paroles, des actes et par voie électronique. La loi considère également comme du harcèlement sexuel des actes isolés ou répétés par lesquels une personne a recours à des « pressions psychologiques, morales, financières ou racistes pour obtenir des faveurs de nature sexuelle ».

Le loi punit le harcèlement sexuel d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an et d’amendes pouvant aller jusqu’à 10 fois le montant du salaire minimum. Dans certains cas, notamment dans celui de la subordination ou d’une relation de travail, le harcèlement sexuel est considéré comme un crime grave et les peines de prison et les amendes peuvent aller jusqu’à 4 ans de prison et 50 fois le salaire minimum.

L’un des aspects positifs de la loi est le fait qu’elle prévoit la protection des victimes contre les représailles, notamment en matière de salaire, de promotion, de transfert, de renouvellement de contrat, et contre les mesures disciplinaires. Elle contient des protections pour les lanceuses d’alerte et interdit les mesures de discrimination, les abus ou les sanctions disciplinaires à l’encontre des personnes qui dénoncent des actes de harcèlement ou apportent un témoignage concernant des abus. De telles représailles peuvent être passibles de peines de prison pouvant aller jusqu’à 6 mois et d’une amende égale à 20 fois le salaire minimum.

Cependant, plusieurs organisations de défense des droits des femmes, dont la plupart ont travaillé pendant une dizaine d’années sur une autre version, plus complète, de la loi qui a été proposée par la Commission nationale de la femme libanaise, se sont déclarées déçues par la portée limitée de la nouvelle loi, ainsi que par l’exclusion des organisations de la société civile des discussions finales et de l‘évaluation de la loi avant sa finalisation. C’est la présidente de la commission parlementaire de la femme et de l’enfant, Inaya Ezzeddine, qui a présenté la version de la loi qui a été finalement adoptée.

Karim Nammour, avocat auprès de Legal Agenda, une organisation de surveillance du respect des droits, a soulevé plusieurs préoccupations suscitées par la loi qui, a-t-il affirmé, pourraient réduire son efficacité en termes de protection des victimes de harcèlement, en particulier dans le monde du travail. « Il va aussi être important d’élaborer des moyens de protection réalistes pour les plaignantes », a-t-il déclaré à Human Rights Watch. « Comment pouvez-vous continuer d’aller au travail si vous avez porté plainte au pénal contre votre employeur? Les tribunaux mettent trois à quatre ans à statuer. Vous obtiendrez peut-être des réparations plus tard mais, entretemps, vous aurez probablement perdu votre emploi. »

Les victimes de harcèlement et de violences sexuelles risquent souvent de revivre leur traumatisme et de subir une forme d’ostracisme lorsqu’elles cherchent à obtenir réparation par voie judiciaire, à cause des attitudes discriminatoires courantes dans les commissariats de police et de la part des procureurs et des juges, du fait que la charge de la preuve leur incombe et à cause du caractère public des audiences pénales. La Commission internationale de juristes a constaté que de nombreux obstacles dans l’administration du système judiciaire pénal libanais entravent l’accès des femmes à la justice dans les affaires de violences sexuelles et sexistes. Parmi ces obstacles, figurent l’absence d’enquêtes efficaces et tenant compte de considérations de genre, le manque de compétences des personnes chargées des enquêtes, le manque de ressources et les politiques et pratiques discriminatoires et les stéréotypes relatifs aux questions de genre dont font souvent preuve les personnels judiciaires.

Bien que l’article 3 de la nouvelle loi note que des mesures doivent être prises pour protéger la victime et les témoins lors de l’enquête et de la procédure judiciaire, cet article demeure vague. Une formation qui tienne compte des considérations de genre pour les membres des agences de sécurité, les procureurs et les juges est essentielle pour que les victimes soient traitées avec sensibilité et pour leur offrir un environnement sûr pour déposer et poursuivre leurs plaintes.

Élément également important, la nouvelle loi libanaise stipule que l’ouverture de poursuites criminelles n’empêche pas de chercher à obtenir réparation au civil, notamment pour licenciement abusif, et que les victimes ont droit à être indemnisées pour les dommages subis sur les plans psychologique, moral ou financier. Cependant, la loi n’établit pas de cadre juridique dans lequel les victimes peuvent chercher à obtenir réparation devant les tribunaux civils.

Le Liban devrait offrir une voie d’accès à des réparations au civil aux femmes qui ne souhaiteraient pas recourir au système de justice pénale ou qui souhaiteraient combiner une action au civil et une plainte au pénal, a déclaré Human Rights Watch.

La Convention de l’OIT sur les violences et le harcèlement impose des obligations minimales aux gouvernements en termes de prévention et de réponse aux violences et aux actes de harcèlement au travail. Elle met l’accent sur les mesures de prévention, notamment sur l’obligation de mettre en place des politiques adaptées au lieu de travail et des programmes de formation. Dans une étude réalisée en 2018, la Fondation arabe pour les libertés et l’égalité (Arab Foundation for Freedoms and Equality) a montré que 15% seulement des employeurs ayant participé à l’étude au Liban avaient mis en place des politiques visant à protéger contre le harcèlement au travail – et la nouvelle loi ne remédie pas à cela.

La Convention de l’OIT traite également de la prévention en exigeant des gouvernements d’identifier les secteurs à haut risque et les populations marginalisées particulièrement vulnérables aux abus. Par exemple, au Liban, ceci pourrait inclure les travailleuses domestiques immigrées, qui sont isolées dans des maisons privées et liées à leurs employeurs par le système du kafala (parrainage), ainsi que les réfugiées syriennes et palestiniennes, qui ne sont pas considérées juridiquement comme résidentes du Liban ou qui ne possèdent pas les permis de travail nécessaires. Ceci concerne aussi les femmes trans, dont l'accès à l'emploi est déjà limité. Les profonds déséquilibres en termes de pouvoir contribuent au phénomène du harcèlement et aux attitudes discriminatoires. En outre, l’isolement et la précarité du statut juridique constituent des obstacles supplémentaires pour celles qui souhaitent dénoncer des abus.

Le Liban devrait également mener des campagnes de sensibilisation du public. Les critères établis par le traité de l’OIT et les revendications du mouvement mondial #MeToo ont révélé l'importance de telles campagnes pour faire évoluer les normes sociales, élever le niveau général d’information au sujet de ces droits et encourager les victimes à s’exprimer.  

L'article 6 de la loi charge le ministère des Affaires sociales de créer un fonds destiné à soutenir les victimes de harcèlement sexuel, prévenir le harcèlement et permettre la réhabilitation (réadaptation sociale) des auteurs d’abus, grâce à des allocations budgétaires annuelles, à des donations et à l’affectation de 10 % des amendes infligées aux personnes condamnées en vertu de la loi. Toutefois, Karim Nammour a rappelé que certains fonds précédemment créés sur des bases similaires, notamment ceux qui étaient destinés à protéger des victimes de violences conjugales ou de la traite de personnes, n’ont jamais été activés ou leur mise en œuvre a pris des années, en raison de retards dans l’adoption des décrets législatifs ou règlementaires nécessaires.

« Les femmes libanaises méritent de travailler en sécurité et dans la dignité, à l’abri du harcèlement et des violences sexuelles », a affirmé Nisha Varia. « Le gouvernement devrait prendre des décrets visant à élaborer des systèmes de recours civil et mettre sur pied une stratégie nationale, avec un apport de la société civile, pour lancer des campagnes publiques afin de briser les tabous et instaurer des politiques applicables au monde du travail afin de traiter tous les actes de harcèlement sexuel qui se produisent, et pas seulement les plus graves. »

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