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Renforcer la justice internationale

Le 25ème anniversaire de la CPI devrait donner lieu à un engagement renouvelé en faveur de l’égalité d’accès à la justice

Publié dans: Jurist
Des proches de victimes de la « guerre contre la drogue » menée par Rodrigo Duterte, qui était alors président des Philippines, lors d’une cérémonie commémorative tenue dans une église à Manille, le 17 mars 2019. © 2019 Bullit Marquez/AP Images

Le 17 juillet est la Journée de la justice pénale internationale, qui coïncide cette année avec le 25ème anniversaire de l’adoption du Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI). Les États parties au Statut de Rome se réuniront aujourd’hui au Siège des Nations Unies à New York pour y discuter des moyens de renforcer le soutien politique et concret à la justice internationale, qui ne se limite pas seulement à la CPI, mais comprend aussi des tribunaux nationaux et d’autres mécanismes d’établissement des responsabilités dans l’ensemble du système judiciaire international.

Il y a un an, en collaboration avec d’autres organisations de défense des droits humains, Human Rights Watch a mis les gouvernements du monde entier au défi d’éliminer le système « deux poids, deux mesures » qui limite parfois l’accès des victimes à la justice pour les crimes internationaux graves.

Nous avons défini cinq mesures que les gouvernements peuvent prendre pour renforcer le système judiciaire international et étendre sa portée, indépendamment des lieux et des auteurs des crimes. L’accès des victimes à la justice dépend souvent de calculs politiques, notamment de la volonté politique de soutenir les initiatives de justice avec des ressources suffisantes et une assistance concrète, donnant lieu à des traitements différenciés de la part des principaux acteurs. Éliminer le problème des « deux poids, deux mesures » est un défi central. Il est nécessaire de respecter les droits des victimes, ce qui touche aussi à la légitimité et à la qualité d’un système de justice internationale qui tient la promesse selon laquelle « personne n’est au-dessus des lois ».

Alors, comment les gouvernements ont-ils fait ? Comme prévu, les progrès s’accompagnent de défis.

Cette année, la portée de la CPI a été élargie, avec la reprise des enquêtes en Afghanistan, aux Philippines et au Venezuela. Une évolution substantielle a été constatée depuis l’époque où la Cour était uniquement saisie d’affaires se déroulant en Afrique. Mais une justice équitable tient à bien plus qu’à une question de diversité géographique. Elle exige également un soutien politique constant, un engagement envers une justice impartiale de qualité et des ressources financières dans tous les efforts pour établir les responsabilités. L’année en cours montre à quel point cette tâche reste difficile.

Une affaire historique concernant le Darfour a progressé à la CPI. Et pourtant, la recrudescence du conflit armé au Soudan après des années d’inaction de la communauté internationale pour obtenir une coopération sur l’exécution des mandats d’arrêt en souffrance montre à quel point l’impunité encourage de nouveaux abus. Mais ce n’est pas tout le Darfour : les mandats d’arrêt de la CPI restent en souffrance tout au long de son travail car cette juridiction dépend des États pour arrêter les suspects.

L’attention accordée sur le plan international à l’établissement des responsabilités pour les crimes commis en Ukraine a été importante. Elle a conduit à des innovations en appui à des procédures nationales en Ukraine et par le biais d’autres tribunaux nationaux, aboutissant jusqu’à présent à l’émission de deux mandats d’arrêt importants de la CPI, dont un visant le président russe Vladimir Poutine. Cependant, le soutien très médiatisé à l’enquête ouverte par la Cour en Ukraine – y compris le rejet des tentatives d’obstruction du gouvernement russe – contraste vivement avec le soutien discret apporté au travail de la CPI dans d’autres situations – la Palestine, par exemple. Les États parties au Statut de Rome n’ont pas non plus financé les hausses budgétaires dont a besoin la Cour, risquant de favoriser des approches par trop sélectives des affaires et des situations. À l’initiative du groupe Afrique, les États parties ont reconnu ce risque de sélectivité, adoptant lors de leur réunion annuelle une résolution dans laquelle ils ont exprimé « leur soutien à la mise en œuvre cohérente du mandat de la Cour » dans toutes les situations et affaires relevant de sa compétence.

Éliminer les deux poids deux mesures signifie aussi de faire en sorte que davantage de pays rejoignent les 123 États parties actuels au Statut de Rome. Malgré toute l’attention bienvenue portée à la question de la responsabilité en Ukraine, aucune pression véritable n’a été exercée sur Kiev pour qu’elle rejoigne la Cour, une recommandation majeure demandée depuis des années par les organisations de la société civile ukrainienne.

L’égalité d’accès à la justice dépend également de la capacité des tribunaux nationaux à effectuer leur travail. Et sur ce point, nous avons vu des avancées considérables depuis 2022, notamment en Guinée, où un procès tant attendu sur les crimes commis lors d’un massacre en date de 2009 progresse lentement. En République centrafricaine, un premier verdict a été rendu devant un tribunal spécialisé dans les crimes de guerre. Et en Australie, la première accusation pour crimes de guerre en Afghanistan a été rendue publique. Mais ces efforts juridictionnels restent l’exception plutôt que la règle s’agissant des crimes graves.

Les tribunaux nationaux peuvent également intervenir en dehors des frontières en invoquant la « compétence universelle ». Le nombre de ces saisines est en hausse et les gouvernements ont adopté un nouveau traité pour promouvoir la coopération en ce sens. Des progrès aux États-Unis, avec une nouvelle législation, et en France, avec une décision de justice décisive, pourraient conduire à invoquer plus souvent la notion de compétence universelle dans ces pays. Les États-Unis, bien sûr, n’ont pas encore établi de responsabilités pour les abus commis par leurs propres ressortissants dans leur « guerre mondiale contre le terrorisme », tandis que le Procureur de la CPI a déclassé les crimes présumés commis par les forces américaines et les forces gouvernementales afghanes dans l’enquête ouverte par son bureau en Afghanistan.

Compte tenu des difficultés d’accès à la justice, les gouvernements doivent également adopter une vision à long terme. Le soutien et la protection des défenseurs des droits humains et des activistes aux avant-postes de la justice sont importants, tout en veillant à ce que les preuves des crimes internationaux soient collectées et conservées jusqu’à ce que les responsabilités pénales soient possibles.

Cela peut également vouloir dire d’emprunter des voies non traditionnelles. Des manières créatives de saisir la Cour internationale de Justice (CIJ), qui met l’accent sur la responsabilité des États, ont été invoquées. Ainsi, le Canada et les Pays-Bas ont déposé auprès de cette juridiction une demande d’ouverture de poursuites pour actes de torture en Syrie, et l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé un avis consultatif de la CIJ sur les conséquences juridiques de l’occupation prolongée par Israël de la Cisjordanie et de Gaza. Bien que ces initiatives n’aboutissent pas à des procès criminels, elles peuvent constituer des processus importants pour les efforts parallèles visant à établir les responsabilités.

Les impacts historiques tels que les effets persistants de l’esclavage et du colonialisme doivent également être pris en compte, dans la mesure où ils favorisent les déséquilibres de pouvoir inhérents à l’inégalité dans l’accès à la justice. Cette année, Human Rights Watch a rendu compte des crimes contre l’humanité en cours commis par le Royaume-Uni dans les îles Chagos. Les autorités britanniques devraient ouvrir des poursuites judiciaires et respecter le droit de retour des Chagossiens dans leur pays d’origine, verser également des réparations complètes et présenter des excuses dignes de ce nom pour les pertes endurées en raison de ces crimes coloniaux. À cette fin, des consultations véritables doivent avoir être menées pour s’assurer que les communautés affectées peuvent prendre part à ce processus. Les mouvements communautaires redonnent de l’espoir dans les efforts visant à réparer des torts historiques qui continuent d’avoir un impact sur la réalisation des droits humains.

L’élimination du problème des « deux poids, deux mesures » en matière d’accès à la justice ne se fera pas du jour au lendemain, ni même en un an ou une décennie. Mais des progrès sont possibles, si la communauté internationale le souhaite. Avec l’ensemble de nos collègues de la société civile à tous les niveaux, nous continuerons d’appeler les gouvernements à prendre des mesures concrètes pour garantir l’égalité d’accès des victimes à la justice partout, aujourd’hui et à l’avenir. 

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