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FMI : Les prêts sous conditions d’austérité risquent de restreindre les droits

Aggravation des inégalités croissantes, insuffisance des efforts d’atténuation

© 2023 Brian Stauffer pour Human Rights Watch

(Washington) – Dans un contexte où une crise mondiale de la dette semble imminente, le Fonds monétaire international (FMI) impose des conditions à l’octroi de ses prêts qui risquent d’entraver les droits économiques, sociaux et culturels des populations, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui. Ces conditions ne font qu’aggraver des problèmes liés à l’accroissement des inégalités.

Ce rapport de 131 pages, intitulé Bandage on a Bullet Wound: IMF Social Spending Floors and the Covid-19 Pandemic (« Comme un pansement sur une blessure par balle : Les seuils de dépenses sociales du FMI dans le contexte de la pandémie de Covid-19 » - résumé et recommandations en français) analyse les prêts approuvés entre mars 2020, au début de la pandémie de Covid-19, et mars 2023, en faveur de 38 pays comptant une population totale de 1,1 milliard de personnes, et il conclut que la grande majorité de ces prêts sont conditionnés à des politiques d’austérité qui réduisent les dépenses publiques ou accroissent les impôts régressifs de sorte que les droits humains sont susceptibles de s’en trouver restreints. Il permet également de constater que de récentes initiatives du FMI, annoncées au début de la pandémie afin d’atténuer ces impacts, telles que les seuils de dépenses sociales, sont défectueuses et inefficaces quand il s’agit de compenser les dommages causés par ces politiques. Le rapport comprend une étude du cas de la Jordanie, où une série de programmes du FMI a permis la mise en place d’importantes réformes économiques au cours de la décennie écoulée, mais où les mesures d’atténuation ont été inadéquates pour éviter les dommages en matière de droits humains.

« Les manifestations de plus en plus fréquentes au Pakistan contre la hausse du coût de la vie liée aux exigences du FMI, qui font suite à des mouvements de protestation similaires dans d’autres pays, devraient servir de sonnette d’alarme au FMI à l’approche de ses réunions annuelles en octobre », a déclaré Sarah Saadoun, chercheuse senior et chargée de plaidoyer auprès de la division Justice et droits économiques à Human Rights Watch. « Malgré ses promesses, au début de la pandémie, de tirer les enseignements de ses erreurs passées, le FMI continue à promouvoir des politiques connues depuis longtemps pour accentuer la pauvreté et les inégalités et pour menacer les droits humains ».

Les recherches internes du FMI indiquent que ces politiques ne sont généralement pas efficaces pour réduire la dette, alors que c’est leur objectif premier. Les Perspectives de l’économie mondiale du FMI, publiées en avril 2023, ont fait apparaître que les mesures d’assainissement budgétaire – expression habituellement associée aux programmes d’austérité – « ne réduisent pas les taux d’endettement, en moyenne ».

Les institutions financières internationales et les gouvernements ont l’obligation en matière de droits humains internationaux de réagir aux crises économiques par des mesures qui protègent et font progresser les droits, à la fois à court et à long terme. Les mesures d’austérité qui réduisent généralement les dépenses du gouvernement consacrées à des services publics essentiels ou qui accroissent de manière significative des impôts régressifs ont la réputation bien établie de porter atteinte aux droits.

Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté des principes directeurs afin d’asseoir l’idée selon laquelle les mesures de redressement économique doivent « bénéficier à l’ensemble de la population, plutôt qu’à une partie seulement ». Ces principes interdisent aux gouvernements de mettre en place des mesures d’austérité si certains critères ne sont pas strictement respectés, notamment si elles n’évitent pas, et quand c’est absolument nécessaire, si elles ne limitent et n’atténuent pas les effets négatifs de ces mesures sur les droits humains. Pour ce faire, ils donnent instruction aux gouvernements et aux institutions financières d’effectuer des études d’impact en matière de droits et d’en rendre les résultats publics.

Pourtant, alors que 32 des 39 programmes étudiés par Human Rights Watch comprenaient au moins une mesure susceptible de porter atteinte aux droits, un seul cherchait explicitement à évaluer l’impact de son contenu sur les revenus réels des personnes :

  • Vingt-deux programmes comprennent des mesures visant à contenir ou à réduire la facture des salaires du secteur public, généralement par le gel des embauches ou le plafonnement ou la réduction des salaires, ce qui compromet la capacité des gouvernements à fournir des services publics de qualité, lesquels constituent pourtant des droits garantis. De telles mesures persistent en dépit d’une directive du FMI, approuvée en 2007, qui décourage l’imposition de plafonds aux salaires du secteur public sauf dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’elles sont « justifiées de manière transparente ». Peu de programmes incluent une telle justification.
  • Vingt-trois programmes comprennent des recommandations ou des mesures visant à accroître les revenus tirés des taxes sur la valeur ajoutée, impôt indirect qui tend à être régressif et qui accentue les inégalités puisque son taux est le même pour tout contribuable, quel que soit son revenu.
  • Vingt programmes suppriment ou réduisent les subventions basées sur la consommation de carburant ou d’électricité ou développent des plans pour le faire, sans investir de manière adéquate dans les systèmes de sécurité sociale ou dans d’autres mesures compensatoires, ou dans les sources d’énergie propres. Les subventions aux carburants d’origine fossile consacrent des montants énormes de ressources publiques à la réduction artificielle des coûts de l’énergie d’origine fossile, alors que leur suppression est nécessaire pour faire face à la crise climatique et évoluer vers un contrat social qui permette de mieux réaliser les droits économiques et sociaux. Cependant, à moins que des mesures compensatoires adéquates soient mises en place à l’avance, la suppression de ces subventions a un impact particulièrement fort sur les personnes à bas revenu puisqu’elle les contraint à consacrer une part plus importante de leurs revenus à réaliser leurs droits aux transports et aux biens et services dont les coûts sont liés à ceux de l’énergie.


Les mesures visant à atténuer l’impact des politiques d’austérité incluent habituellement ce que le FMI appelle des « seuils de dépenses sociales », qui d’ordinaire établissent des objectifs minimas de dépenses gouvernementales dans des secteurs comme l’éducation, la santé et la protection sociale, ainsi que certains efforts visant à améliorer les protections sociales, qui sont des programmes destinés à combattre la précarité de revenus.

Quoique porter une plus grande attention aux dépenses et aux protections sociales soit un élément positif, ces seuils ne comportent pas de critères objectifs ou cohérents pour être efficaces, a déclaré Human Rights Watch. Les seuils varient grandement, entre ceux qui incluent des dizaines de programmes répartis entre plusieurs ministères et ceux qui se limitent à des programmes sélectifs de transferts monétaires. La plupart ne contiennent pas d’informations permettant d’établir des comparaisons avec de précédents programmes de dépenses. En outre, à de rares exceptions près, ils n’établissent que des objectifs de dépenses, que le personnel du FMI peut lever sans chercher à obtenir l’approbation du Conseil d’administration de l’institution.

Par ailleurs, les mesures visant à améliorer la protection sociale, généralement élaborées en collaboration avec la Banque mondiale, tombent en-deça des normes en matière de droits humains. La protection sociale est essentielle pour réaliser le droit à la sécurité sur le plan social mais, plutôt que de promouvoir des systèmes universels, qui garantissent une sécurité de revenus à chacun tout au long de la vie, chaque programme du FMI examiné qui visait à améliorer la protection sociale était soumis à des critères de revenus, limitant les bénéfices aux personnes vivant dans la pauvreté, voire même dans l’extrême pauvreté. Des études ont montré que les systèmes axés sur la pauvreté se caractérisent par des taux d’erreur élevés et sont une porte ouverte vers la corruption et la défiance sociale. Les programmes soumis à des conditions de revenus excluent de larges segments de la population qui vivent dans des conditions précaires mais ne peuvent prouver qu’ils remplissent les critères d’éligibilité, de même que beaucoup des personnes qu’ils cherchent à atteindre.

Le FMI devrait effectuer de profondes réformes pour aider effectivement les gouvernements à bâtir des économies qui permettent à chaque citoyen de réaliser ses droits économiques, sociaux et culturels. Il devrait réviser ses seuils de dépenses sociales pour remédier à leurs lacunes systémiques, s’engager résolument dans le soutien à des programmes universels de protection sociale et cesser de promouvoir des programmes soumis à des conditions de revenus. Il devrait également reconnaître officiellement son devoir de respecter, protéger et faire réaliser tous les droits humains, y compris les droits socioéconomiques, dans tous ses travaux, sans discrimination.

« La méthode du FMI consistant à tenter de compenser les dommages causés par les programmes d’austérité ne fonctionne tout simplement pas », a affirmé Sarah Saadoun. « Il est temps qu’il adopte une approche nouvelle qui prenne comme point de départ la réalisation des droits économiques et sociaux ».

Informations complémentaires

Jordanie : Augmentation de la pauvreté et persistance de la dette

La Jordanie, qui a mis en œuvre une série de programmes du FMI depuis 2012, est un des premiers exemples des efforts de l’institution pour compenser les dommages causés par l'austérité en installant des seuils de dépenses sociales et des transferts monétaires soumis à des conditions de revenus. Dans le cadre de ces programmes, le gouvernement a cessé de subventionner les carburants et le pain, accru les taxes à la consommation et les impôts sur le revenu, et révisé les tarifs d’électricité.

Un rapport du gouvernement a établi que l’investissement dans l’aide sociale a diminué entre 2011 et 2017 après que le gouvernement a mis fin aux subventions, ce qui a généré 788 millions de JD (1,1 milliard de dollars) d’économies budgétaires lors de cette période.

En 2019, le gouvernement, avec le soutien de la Banque mondiale, a créé un programme de transferts monétaires soumis à des conditions de revenus, qui a été intégré dans un seuil de dépenses sociales du FMI. Et pourtant, en 2022, ce programme n’a bénéficié qu’à environ 120 000 ménages, soit 5% de la population de la Jordanie, qui est d’environ 11 millions d’habitants. Avec un taux de pauvreté qui s’est accru, passant de 15% à 24% entre 2018 et 2022, le programme n’a touché qu’environ un cinquième des Jordaniens vivant en-dessous du seuil de pauvreté. Des recherches effectuées par Human Rights Watch ont montré que les algorithmes de ciblage de la pauvreté sur lesquels le programme repose pour sélectionner les bénéficiaires sont arbitraires, discriminatoires et minés par des erreurs.

Une travailleuse agricole, mère de six enfants, a déclaré à Human Rights Watch qu’elle avait posé deux fois sa candidature pour recevoir de l’aide et avait été rejetée à chaque fois. Elle et son mari gagnent 10 JD (14 dollars) chacun pour une journée de travail (soit l’équivalent de 280 dollars pour 20 jours de travail par mois) ; le salaire minimum en Jordanie est de 260 JD (367 dollars) par mois et un salaire de subsistance pour une famille typique, selon une estimation de 2020, se situe autour de 600 JD (846 dollars) par mois. « En gros, nous mourons de faim », a-t-elle dit. « Il y a eu une période où nous n’avions que deux sacs de riz et nous devions le rationner ».

Une circonstance aggravante est que la dette publique de la Jordanie, exprimée en ratio du PIB, est maintenant supérieure à ce qu’elle était quand le FMI a approuvé le premier programme de cette série il y a dix ans.

Principales recommandations

Le FMI devrait prendre des mesures concrètes pour donner la priorité à la réalisation des droits économiques et sociaux. Il devrait notamment :

  • Effectuer systématiquement des études d’évaluation d’impact en matière de droits humains des politiques proposées avant leur approbation et en publier les résultats, afin de s’assurer de pouvoir choisir celles qui sont les plus efficaces en termes de réduction de la pauvreté et des inégalités et de promotion des droits humains. Ces évaluations devraient être rendues publiques avant que les prêts ne soient approuvés afin de faciliter un débat public significatif, en particulier parmi les catégories les plus susceptibles d’être affectées. Le FMI devrait continuer d’effectuer et de publier de telles évaluations lors de chaque examen de cas.
  • Redéfinir les seuils de dépenses sociales, en particulier :
    • Éviter les compromis en matière de dépenses sociales (par exemple accroître les dépenses dans le domaine de l’éducation au détriment de celles du secteur de la santé) en incluant deux seuils distincts :
      • Un seuil de dépenses sociales à large définition, ventilé par secteur, qui assure que les dépenses consacrées, par exemple, à la santé, à l’éducation et à la protection sociale soient, au minimum, conformes aux normes internationales en pourcentage du PNB et des budgets nationaux.
      • Un seuil qui garantisse une compensation adéquate pour tout impact négatif inévitable sur les droits résultant des programmes, démontrant comment une mesure d’atténuation, telle qu’une augmentation des dépenses ou un élargissement de la couverture de sécurité sociale, évite, au minimum, toute régression du niveau de jouissance des droits.
    • Envisager de remplacer les « seuils », qui sont réexaminés ponctuellement à chaque étape, par des « objectifs » à atteindre à la fin de la période couverte par le programme, ainsi qu’un plan établi dès le début pour l’accomplissement d’objectifs spécifiques à chaque étape d’évaluation.
  • S’engager à promouvoir des systèmes de protection sociale universelle.

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