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Gaza : Les frappes israéliennes et le blocus sont dévastateurs pour les personnes handicapées

Ces frappes les exposent à des risques élevés, et compliquent leur accès aux articles de première nécessité et aux abris

Trois hommes aidaient un homme en fauteuil roulant à se déplacer parmi les décombres dans un quartier touché par une frappe israélienne, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 octobre 2023.   © 2023 Said Khatib/AFP via Getty Images

(Jérusalem, le 1er novembre 2023) – Les bombardements, le blocus et l’offensive terrestre de grande ampleur lancés par le gouvernement israélien à Gaza ont un impact dévastateur sur les civils palestiniens handicapés, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ces personnes sont confrontées à des difficultés croissantes pour fuir les attaques, et accéder aux articles de première nécessité ainsi qu’à l’aide humanitaire dont elles ont désespérément besoin.

Les graves risques auxquels tous les civils de Gaza sont exposés à cause des opérations militaires israéliennes sont encore plus élevés pour les personnes handicapées. L’ordre d’évacuation donné par Israël le 13 octobre 2023 à tous les civils du nord de la bande de Gaza pour qu’ils se rendent dans le sud du territoire n’a pas pris en compte les besoins des personnes handicapées, dont beaucoup ne peuvent pas partir. Tout en les exposant aux dangers de la guerre, cette exigence d’Israël ne garantissait pas qu’ils bénéficieraient d’un logement convenable et de conditions satisfaisantes une fois déplacés.

« L’offensive terrestre d’envergure lancée par l’armée israélienne à Gaza alourdit considérablement les graves difficultés déjà rencontrées par les personnes handicapées pour fuir, trouver un abri et obtenir de l’eau, des vivres, des médicaments et des équipements en état de marche dont elles ont désespérément besoin », a déclaré Emina Ćerimović, chercheuse senior auprès de la division Droits des personnes handicapées, au sein de Human Rights Watch. « Les États-Unis et les autres alliés d’Israël devraient faire pression sur ce pays pour que toutes les mesures nécessaires soient prises afin de protéger les personnes handicapées et lever le blocus. »

Entre le 18 et le 29 octobre, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 13 personnes handicapées à Gaza, dont 10 disent avoir été déplacées à l’intérieur du territoire, deux membres de familles de personnes handicapées et une psychologue.

Iman (à gauche), 19 ans, et sa sœur Abir, qui vivent à Gaza, sont malentendantes et utilisent la langue des signes pour communiquer. Iman a déclaré : « Je n’ai pas d’appareil auditif, donc je ne sais pas quand [les Israéliens] bombardent. Je sens la vibration sous mes pieds et je vois des gens courir sans savoir exactement ce qui se passe. » © 2023 Feadaa Omar

Celles et ceux qui ont pu être évacués ont décrit la peur de devoir quitter leurs domiciles, aménagés pour répondre à leurs besoins spécifiques d’accessibilité et d’adaptabilité, ainsi que leurs équipements fonctionnels, tels que les fauteuils roulants, déambulateurs et es appareils auditifs. Ces personnes ont également fait part de leurs inquiétudes quant au fait de ne pas avoir accès aux médicaments essentiels et aux conséquences que cette situation a sur leur santé mentale.  Avec des centaines de milliers d’autres, elles ont été contraintes de se réfugier dans des abris d’urgence surpeuplés, principalement des établissements de santé et des écoles, sans accès suffisant à l’eau, à la nourriture et à l’assainissement.

Le manque général d’équipements en état de marche à Gaza, comme les fauteuils roulants, les prothèses, les béquilles et les appareils auditifs, conséquence principalement des restrictions liées à la fermeture illégale de Gaza par Israël depuis 16 ans, affecte également la capacité de la population à fuir. Les personnes ayant une déficience visuelle, auditive, développementale ou intellectuelle peuvent ne pas entendre, savoir ou comprendre ce qui se passe autour d’eux.

Plusieurs personnes handicapées ont déclaré que le manque d’électricité et les coupures d’Internet ont compliqué l’accès à des informations cruciales qui les auraient aidées à décider où, quand et comment fuir pour plus de sécurité.

Les bombardements et l’offensive terrestre des forces israéliennes en cours à Gaza ont débuté à la suite de l’attaque perpétrée le 7 octobre en Israël par le Hamas, lors de laquelle environ 1 400 personnes – dont des centaines de civils – ont été tuées, comme l’ont indiqué les autorités israéliennes. Le Hamas et le Jihad islamique ont pris en otage plus de 230 personnes, dont des enfants, des personnes handicapées et des personnes âgées.

Les coupures d’électricité et d’eau à Gaza par Israël, qui bloque l’entrée du carburant, de vivres et de presque toute l’aide humanitaire, y compris des médicaments, équivaut à une punition collective et constitue un crime de guerre. Le ministère palestinien de la Santé à Gaza a indiqué que, depuis le début des bombardements israéliens sur Gaza, au moins 8 500 personnes avaient été tuées entre le 7 et le 31 octobre, dont plus de 3 500 enfants.  Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) estime à plus de 1,4 millions le nombre de personnes déplacées dans le territoire.

Les personnes handicapées ayant déclaré avoir été déplacées par les hostilités ont décrit les difficultés rencontrées pour fuir les attaques, notamment en l’absence d’avertissement préalable, ainsi que les innombrables démolitions au milieu desquelles elles doivent se frayer un chemin et leur crainte des affrontements.

Samih Al Masri, un homme âgé de 50 ans qui a déclaré avoir perdu ses deux jambes lors d’une frappe de drone israélien en 2008, a indiqué qu’il compte se réfugier à l’hôpital al-Quds, dans la ville de Gaza, mais qu’il ne se sentait en sécurité nulle part : « S’ils bombardent l’hôpital, je suis mort. Je sais que je ne peux pas bouger. »

Iman, une jeune femme palestinienne malentendante, séchait du linge à l’extérieur d’une école dans le sud de la bande de Gaza. Elle s’y est réfugiée en octobre 2023 avec sa sœur Abir, également malentendante, après que leur quartier ait été attaqué par Israël. © 2023 Feadaa Omar

Plusieurs personnes handicapées ont déclaré avoir perdu leurs équipements fonctionnels lorsque les frappes israéliennes ont détruit ou endommagé leurs foyers, les laissant sans abri et incapables de se procurer les articles de première nécessité. Tous ont déclaré que l’armée israélienne n’avait pas donné d’avertissement préalable. Selon le ministère palestinien du Logement à Gaza, au moins 45% des maisons à Gaza ont été détruites ou endommagées pendant les hostilités.

Le droit international humanitaire et le droit international des droits humains garantissent les droits des personnes handicapées en situation de conflit armé. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CRPD), ratifiée par Israël en 2012, stipule que les États membres, conformément à leurs obligations en vertu du droit international humanitaire, doivent prendre « toutes mesures nécessaires pour assurer la protection et la sûreté des personnes handicapées dans les situations de risque, y compris les conflits armés ».

La résolution 2475 (2019) du Conseil de sécurité de l’ONU exhorte, entre autres, toutes les parties à un conflit armé à prendre des mesures en vue de protéger les civils handicapés ; permettre et faciliter un accès humanitaire sûr, rapide et sans entrave à toutes les personnes en ayant besoin ; et soutenir la fourniture, en temps opportun, d’une assistance durable, adéquate, inclusive et accessible aux civils handicapés.

En vertu du droit international humanitaire, les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils, notamment en annonçant efficacement à l’avance les attaques, sauf si les circonstances ne le permettaient pas. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a noté en 2015 que « le fait de ne pas respecter cette obligation selon des modalités accessibles et inclusives constitue une discrimination fondée sur le handicap. »

Quatre-vingt-trois pays, dont les États-Unis, se sont engagés à s’abstenir de recourir à des armes explosives à « effets de zone étendue » – y compris l’artillerie lourde et les bombes aériennes – dans les zones densément peuplées, en raison de leur risque de tuer et de blesser des civils sans discernement. Les bombardements continus d’Israël sur Gaza, qui ont réduit en cendres des pâtés de maisons et de vastes portions de quartiers, amplifient cette préoccupation à plusieurs reprises.

La situation désastreuse est exacerbée par la fermeture illégale de Gaza par le gouvernement israélien depuis 16 ans, qui fait partie des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution commis par les autorités israéliennes contre les Palestiniens. Human Rights Watch a déjà fait état de violations des droits humains contre les personnes handicapées à Gaza en raison du bouclage prolongé du territoire par le gouvernement israélien, ainsi que de la négligence des autorités du Hamas.

Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et d’autres alliés et gouvernements d’Israël dans la région, tels que les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn, devraient faire pression sur ce pays pour qu’il rétablisse l’électricité et l’eau, et autorise l’arrivée de carburant et d’aide humanitaire, notamment pour permettre aux personnes handicapées d’avoir accès aux médicaments, aux appareils et équipements fonctionnels et à un soutien psychosocial.

Ces États devraient également condamner les violations du droit international humanitaire commises par toutes les parties, y compris toute attaque aveugle ; souligner la nécessité d’établir les responsabilités, y compris à la Cour pénale internationale (CPI) ; et mettre fin à toutes les formes de complicité dans les abus graves, notamment l’assistance militaire. Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU devraient faire pression de toute urgence sur Israël pour qu’il protège les personnes handicapées à Gaza, conformément à la résolution 2475 du Conseil de sécurité et à la CDPH.

« L’indifférence d’Israël à l’égard des civils de Gaza frappe tout particulièrement les personnes handicapées », a conclu Emina Cerimović. « Les États membres de l’ONU devraient agir de toute urgence pour garantir qu’Israël et les autres parties belligérantes à Gaza respectent leurs obligations légales afin de prévenir de nouvelles atrocités et souffrances, y compris celles subies par les personnes handicapées. »

Informations complémentaires

Des pseudonymes ont été utilisés pour protéger l’identité de certaines personnes.

Difficulté à fuir les attaques

Des personnes handicapées de Gaza ont décrit leurs difficultés à échapper aux attaques, en particulier en l’absence d’avertissements efficaces, ainsi que les lourdes destructions qui rendent la fuite extrêmement difficile, à cause de leur dépendance à leurs fauteuils roulants et à d’autres équipements en état de marche. Le manque d’électricité a empêché les ascenseurs de fonctionner, empêchant les personnes vivant avec certains handicaps physiques dans des immeubles de plusieurs étages de quitter leurs foyers.

Samih Al Masri, l’homme qui a déclaré avoir perdu ses deux jambes à cause d’une frappe de drone israélien en 2008, a déclaré qu’il se trouvait chez lui avec son fils de 17 ans, sa fille de 26 ans et ses petites-filles de trois et cinq ans, lorsqu’une frappe israélienne a touché son domicile, dans le quartier résidentiel de Tel-Hawa, au sud de la ville de Gaza, le 17 octobre :

Mon fils était en état de choc, il hurlait. Ma fille ne savait pas qui aider en premier, moi ou ses enfants. Elle criait à son frère : « Aide ton père ! » Un voisin a entendu ses cris et est venu m’aider à sortir de la maison, ce qui n’a pas été facile : il y avait des décombres partout.

Al Masri a déclaré que l’armée israélienne n’avait donné aucun avertissement préalable à cette attaque.

Jamal Al Rozzi, le père d’un homme de 27 ans atteint de paralysie cérébrale, a décrit les difficultés auxquelles il s’est heurté pour aider son fils à sortir de chez lui lorsque leur quartier résidentiel de Rimal, dans la ville de Gaza, a été pilonné par de violents bombardements israéliens le 10 octobre :

Habituellement, mon fils peut marcher avec l’aide d’une béquille, mais quand le bombardement a commencé, il s’est pétrifié. Il était figé comme une statue, s’est bouché les oreilles et s’est mis à crier. Je lui ai juste demandé de se lever pour m’aider à le déplacer, mais il n’a pas pu. J’ai dû le déposer par terre et le traîner de l’autre côté de l’appartement, dans un coin potentiellement plus sûr.

Al Rozzi a déclaré que l’armée israélienne n’avait donné aucun avertissement préalable de l’attaque.

À la suite de ce bombardement, et en raison des ascenseurs en panne à la suite des coupures d’électricité, Al Rozzi a déménagé avec sa famille au rez-de-chaussée chez un parent alors qu’il se trouvait au troisième étage de leur immeuble. Il est toujours profondément préoccupé par leur sécurité :

Déménager est très risqué. Rester à la maison est risqué. Nous ne savons jamais quand un bombardement aura lieu, de quel côté aller, où se cacher. Il n’y a nul endroit où se mettre à l’abri.

Et si moi, je ressens cela, imaginez ce que c’est pour les personnes âgées ou les personnes handicapées ? Avec ce genre de tours sans ascenseur en état de marche pour le moment, comment les gens s’échapperont-ils ?

Abu Shaker, un homme de 49 ans vivant avec un handicap physique dans le quartier résidentiel de Zeitoun, dans la ville de Gaza, a dit qu’une frappe israélienne avait touché un bâtiment à côté de sa maison le 10 octobre, tuant 19 personnes. Juste avant l’attaque, deux de ses enfants, âgés de 8 et 26 ans, achetaient de la nourriture dans un supermarché voisin. Abu Shaker a déclaré que son handicap rendait plus difficile pour lui de venir en aide à ses enfants :

Quand nous avons été bombardés, j’ai commencé à pleurer. Tout le monde autour de moi courait, je restais là et je ressentais mon handicap. Deux de mes enfants manquaient à l’appel, je ne savais pas quoi faire, comment les chercher. J’ai arrêté mes voisins en pleine rue, des gens que je ne connaissais pas, tout le monde criait et j’ai continué en leur demandant : « Où est Shaker [son fils] ? » J’étais tellement perdu. Je suis resté là pendant une heure à hurler les noms de mes enfants parce que quelqu’un m’avait dit qu’ils pourraient être sous les décombres. Au bout d’une heure et demie, j’ai reçu un message indiquant qu’ils étaient blessés et se trouvaient à l’hôpital.

Abu Shaker a déclaré que l’armée israélienne n’avait donné aucun avertissement préalable à l’attaque.

Même lors des hostilités précédentes, lorsque les forces israéliennes prévenaient à l’avance d’une attaque, ces avertissements n’étaient pas toujours efficaces, en particulier s’agissant des personnes handicapées.

Lateefa Al Jabari, une femme handicapée âgée de 40 ans, a déclaré que les avertissements de l’armée israélienne se sont avérés inefficaces pour de nombreuses personnes handicapées. « Certaines maisons recevront un appel et vous aurez trois à cinq minutes pour évacuer les lieux », a-t-elle expliqué. « Pour de nombreuses personnes handicapées, c’est insuffisant : elles ont besoin de deux personnes pour se déplacer. »

Certaines ont décrit la peur qu’elles ressentaient en sachant qu’elles ne pourraient pas fuir en toute sécurité si leur maison était attaquée.

Eman, 33 ans, a dit craindre de devoir fuir les frappes aériennes, notamment pour mettre en sûreté sa sœur Afaf, âgée de 24 ans et atteinte de paralysie cérébrale. Pendant les hostilités de 2019, a-t-elle relaté, elle a dû porter sa sœur et se cacher avec elle sous les escaliers de leur immeuble, incapable d’aller plus loin. « Cette fois-ci, nous ne pourrions pas fuir… Elle ne peut plus s’asseoir dans son vieux fauteuil roulant pas et elle est trop lourde pour que je la porte. Je ne saurais même pas où aller. »

Eman a déclaré que, même si sa sœur possède un fauteuil roulant adapté, fuir serait une épreuve en raison des décombres considérables à proximité immédiate et du manque général d’accessibilité.

En 2020, Human Rights Watch a documenté les effets qu’ont les infrastructures inaccessibles à Gaza sur la capacité des personnes handicapées à exercer leurs droits humains sur un pied d’égalité avec les autres. Les destructions actuelles ont exacerbé une situation déjà désastreuse, a observé Human Rights Watch.

Il est difficile pour de nombreuses personnes à Gaza d’évacuer vers des lieux plus sûrs. Le 15 octobre, la chaîne américaine NBC a indiqué qu’un orphelinat dans le nord de Gaza – où vivent 22 enfants, dont 12 handicapés – n’avait pu être évacué en raison des besoins importants de soutien de certains d’entre eux.

Saad G. (pseudonyme), un homme âgé de 33 ans atteint d’un handicap physique, qui se sert d’un fauteuil roulant et vit dans un appartement dans le centre de Gaza, a déclaré avoir peur de devoir fuir. « Ce quartier n’est pas équipé pour les personnes handicapées », a-t-il expliqué. « S’il était bombardé ou si les combats éclataient ici, je ne pourrais aller nulle part. »

Bader Mosleh, un défenseur des droits des personnes handicapées âgé de 39 ans, qui vit avec un handicap visuel et est le père de trois enfants âgés de deux, huit et 10 ans, héberge chez lui, dans le centre de Gaza, cinq familles ayant fui le nord du territoire. « Je sens que je ne peux pas protéger ma famille ou les personnes que j’héberge à cause de mon handicap », a-t-il déclaré. « Que dois-je faire si je dois prendre une décision rapide ? Je ne saurais pas non plus où me rendre. Il n’y a pas de lieu sûr. »

Mosleh a expliqué pourquoi il a décidé de ne pas fuir après que les frappes aériennes israéliennes :

Je suis non-voyant, habitué à mon domicile et j’ai peur d’aller dans un endroit inconnu, où je ne saurai pas m’orienter… Et puis, pour aller où ? Toutes les écoles autour de moi sont surpeuplées… Elles ont beaucoup de problèmes, notamment en matière d’eau et d’assainissement.

Mosleh et Feadaa Omar, psychologue et interprète en langue des signes, ont décrit les difficultés rencontrées par les personnes malentendantes pendant les grèves. « Même avant la guerre, il y avait un énorme problème d’accès aux prothèses auditives et aux piles », a déclaré Mosleh. « Aujourd’hui, cela met encore plus en danger la vie des personnes dépendantes de ce type d’appareils pour pouvoir entendre ce qui se passe autour d’elles afin de se protéger. »

Iman, une jeune femme malentendante âgée de 19 ans, a cherché refuge à l’école primaire pour filles de Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, après l’attaque contre son quartier d’al-Fukhkhari, dans le sud du territoire. Elle a déclaré que le manque d’équipements en état de marche a un impact direct sur sa sécurité : « Je ne porte pas de prothèse auditive, donc je ne peux pas savoir quand ils bombardent ! Je sens la vibration sous mes pieds et je vois des gens courir sans comprendre ce qui se passe ! »

Plusieurs personnes handicapées ont déclaré que le manque d’électricité et les perturbations de l’accès à Internet étaient dus aux dommages causés aux infrastructures et aux coupures manifestement imposées par Israël, rendant d’autant plus difficile pour eux l’accès à des informations cruciales qui les auraient aidées à décider où, quand et comment fuir pour plus de sécurité.

Les coupures d’Internet et de réseaux téléphoniques peuvent causer des dommages considérables à la population civile, voire entraîner des blessures et des décès, en empêchant les civils de communiquer entre eux sur des questions de sécurité et d’accès aux installations médicales, aux vivres et aux abris. Les restrictions entravent la capacité des agences humanitaires à évaluer et fournir une assistance aux populations à risque. Le manque d’informations sur les conditions et circonstances auxquelles est confrontée la population touchée peut également accroitre le risque de blessures et de décès.

Impact de l’ordre « d’évacuation »

Plus de 1,4 million de Palestiniens de Gaza ont fui leurs foyers depuis le début des hostilités le 7 octobre, selon les estimations de l’ONU. Donné le 13 octobre par Israël à tous les civils du nord de la bande de Gaza, l’ordre d’évacuation implique un déplacement forcé de populations, soit une violation du droit humanitaire international et un crime de guerre. Les déplacements forcés affectent de manière disproportionnée les personnes handicapées. Pour aider les civils à se protéger, les parties belligérantes sont encouragées à émettre des avertissements efficaces, ce qui n’est pas le cas d’un ordre d’évacuation adressé à un million de personnes alors qu’il n’existe aucun lieu sûr où aller ni aucun moyen sûr d’y parvenir. Pour les personnes handicapées, être contraint de quitter le domicile est particulièrement stressant et beaucoup ne peuvent se plier à une telle exigence.

Des personnes handicapées du nord de Gaza ont dit se sentir obligées de quitter leur domicile ou leur hébergement temporaire sans aucun égard pour leur handicap.

Zahra Al Madhoun, une femme âgée de 39 ans atteinte d’un handicap physique, a d’abord décidé de rester sur place lorsque sa famille a fui.

« Ils ne nous ont pas donné de lieu sûr où nous rendre », a-t-elle déclaré. Cependant, elle s’est enfuie quelques jours plus tard après avoir reçu un appel d’une personne prétendant appartenir aux services de renseignement israéliens qui l’exhortait à se rendre dans le sud. « Ma maison, c’était mon lieu sûr. Je ne suis parti qu’à cause de l’appel. J’avais peur d’être la seule à rester. »

Al Madhoun, qui vit actuellement dans un camp de personnes déplacées dans des conditions déplorables, envisage de rentrer chez elle.

Abu Shaker est hébergé dans une école de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), située dans le quartier de Zeituni, à Gaza. Il a déclaré ne pas pouvoir se réinstaller dans le sud du territoire avec sa femme de 43 ans, qui souffre d’une maladie chronique, ses sept enfants, dont deux ont été blessés par des frappes aériennes, et ses parents septuagénaires : « Israël bombarde la zone où nous sommes, à proximité des écoles pour nous effrayer, tout en ordonnant à quiconque se trouvant dans le nord de se rendre vers le sud. Mais où ? Comment ? Les routes sont-elles seulement sûres ? »

Les personnes handicapées qui vivent dans le centre de la bande de Gaza redoutent que le gouvernement israélien ne donne un ordre d’évacuation similaire dans le sud du territoire. Saad, âgé de 33 ans, qui utilise un fauteuil roulant, a déclaré que sa plus grande crainte est de devoir évacuer son domicile dans le centre de la bande de Gaza :

Il n’y a pas de lieu sûr pour moi [en tant que personne handicapée]. Devoir quitter ma maison est ma plus grande peur.… Le quartier dans lequel je vis n’est pas équipé pour les personnes handicapées, pas plus que les endroits où mes amis [handicapés] ont été forcés de se rendre.

Saad a déclaré que les frappes aériennes ont détruit les maisons de plusieurs de ses amis handicapés et que certains ont perdu leurs équipements fonctionnels. Un ami paralysé a été relocalisé à quatre reprises. « La dernière fois que nous avons parlé, l’endroit où il s’était réfugié a été bombardé et il a passé toute la nuit dans la rue », a déclaré Abdelkareem. « Chaque fois qu’il doit se déplacer, il doit être porté. »

Pénurie de médicaments

Le blocage par Israël de l’aide humanitaire à Gaza a entrainé de graves pénuries d’équipements médicaux et de médicaments. Le bombardement de Gaza a également rendu plus difficile pour la population l’accès à ses médicaments et à ses appareils en état de marche. Le 25 octobre, l’UNRWA a indiqué que ses stocks de médicaments « s’amenuisaient dangereusement ».

Le Dr Mustafa, un homme vivant avec un handicap physique, a fui son domicile dans le nord de Gaza après l’ordre d’évacuation d’Israël en date du 13 octobre. Il était hébergé à l’hôpital al-Hilal à Khan Yunis avec ses six enfants, dont deux ont un handicap, et sa mère âgée de 75 ans, qui est paralysée. Il a déclaré ne pas avoir assez de médicaments contre l’hypertension et le diabète, aussi pour lui que pour sa mère. Celle-ci, qui a besoin d’un fauteuil roulant, n’y a pas accès.

Samih Al Masri prend des médicaments depuis qu’il a perdu l’usage de ses jambes et il ne lui restait plus qu’une seule dose de Neurontin, un médicament anticonvulsif et antiépileptique pour traiter ses lésions nerveuses et atténuer ses douleurs pendant son déplacement forcé. L’arrêt soudain de Neurontin peut entraîner, entre autres symptômes, des tremblements, de la tachycardie et de l’hypertension.

Lorsque notre maison a été bombardée la nuit dernière et que j’ai dû fuir, je n’avais que deux pilules sur moi. Demain, je serai à court et ne sais pas comment en obtenir plus. Sans ce médicament, je ne peux pas respirer et je commencerai à avoir des palpitations cardiaques.

Saad G. a dit être à court de Baclofène – un médicament utilisé pour traiter la spasticité musculaire – et de Neurontin, qu’il prend habituellement trois fois par jour.

Il a déclaré ne pas se sentir en sécurité lorsqu’il se rend au ministère de la Santé de la ville de Gaza, où il reçoit habituellement ses médicaments, car il s’agit d’un bâtiment gouvernemental situé dans la zone d’évacuation. Il a décrit les effets liés au fait de ne pas prendre ses médicaments : « Mes muscles et mes nerfs s’en ressentent. Mes muscles tremblent et je suis incapable d’empêcher mon corps de réagir. Cela pourrait également me donner de l’hypertension et je pourrais tomber très malade avec une forte fièvre. »

Al Madhoun, une femme de 39 ans vivant avec un handicap et réfugiée dans un camp de personnes déplacées, a déclaré ne pas prendre ses médicaments contre l’hypertension et le diabète depuis le début des hostilités : « D’habitude, je reçois les médicaments de l’UNRWA, mais il n’y a actuellement aucune organisation présente sur le terrain pour les distribuer. »

Surpopulation dans les abris

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), la surpopulation dans 150 abris d’urgence administrés par l’UNRWA est une préoccupation croissante, alors que le nombre moyen de personnes déplacées par abri excède deux fois et demie la capacité prévue.  L’OCHA a déclaré que ces lieux ne sont pas aménagés pour répondre aux besoins des personnes handicapées, qui représentent plus de 15% de la population déplacée.

Le ministère palestinien de la Santé a signalé une augmentation des cas de maladies épidémiques, tandis que Médecins Sans Frontières a mis en garde contre l’exiguïté et les mauvaises conditions d’hygiène dans les abris de fortune, associés au manque d’accès à l’eau potable, ce qui accroit le risque d’apparition de maladies d’origine hydrique.

Les personnes handicapées déplacées dans des hôpitaux, des écoles et des camps de fortune ont déclaré être affectées par la surpopulation excessive, de conditions de vie sur place déplorables et le manque d’accès, voire l’inaccessibilité, aux services de base. « Je n’ai qu’un mètre d’espace pour moi. Je ne peux pas bouger et il n’y a pas assez de toilettes pour que tout le monde puisse y aller à son tour », a indiqué Al Masri, réfugié dans un hôpital.

Selon Abu Shaker, il y a 4 000 personnes dans l’école où il est accueilli : « Chaque recoin de l’école est occupé, que vous alliez à droite ou à gauche, il y a toujours quelqu’un. La plupart des gens essaient de se poser sur le sol. Ils n’ont rien pour se couvrir et il n’y a aucune intimité. »

Iman, une malentendante âgée de 19 ans, a déclaré que le manque d’accès à un appareil auditif contribue à son anxiété : « Je me sens seule, isolée… Je ne peux contacter personne, il n’y a pas d’électricité dans les écoles, ni d’Internet et de téléphone. J’ai quitté ma maison sans rien. »

La sœur d’Iman, Abir, qui a 30 ans et vit également avec un handicap auditif, s’est dit étouffée par la surpopulation dans le refuge : « Cette expérience est douloureuse, je ne peux pas penser ou faire attention, je ne peux pas respirer. Je ne me sens à l’aise que dans ma propre maison, c’est tout. »

Manque d’accès à l’eau

Israël, dans le cadre de son bouclage total, a coupé le 11 octobre tout approvisionnement en eau à Gaza. Les personnes handicapées ont déclaré avoir un accès limité à l’eau potable, plusieurs d’entre elles affirmant ne pas avoir d’autre choix que d’utiliser les eaux souterraines. Par le passé, l’OCHA avait indiqué que ces eaux étaient presque totalement « impropres à la consommation humaine ».

Pour Abu Shaker, il est plus difficile pour les personnes handicapées comme lui d’avoir accès à de l’eau potable. Souvent, a-t-il confié, il n’a pas d’autre choix que de boire l’eau municipale, qui n’est généralement utilisée que pour les toilettes.

Cependant, même les eaux souterraines peuvent être inaccessibles en raison du manque d’électricité pour les pomper.

Mosleh, qui est non-voyant et hébergeait 40 déplacée en plus de sa famille de cinq personnes, a déclaré devoir marcher trois kilomètres chaque jour pour aller chercher de l’eau : « Comme je suis aveugle, j’emmène ma fille avec moi. Nous marchons trois kilomètres pour arriver au point de distribution d’eau. […] L’eau qu’ils nous donnent est insuffisante pour les besoins de 40 personnes. »

Al Madhoun, une femme de 39 ans vivant dans un camp, a déclaré : « Je n’ai personne ici que je connais, je n’ai pas accès à l’eau ni à la nourriture et je ne me sens pas en sécurité. »

Manque d’accès à la nourriture

Avant le 7 octobre, 80 % de la population totale de Gaza dépendait de l’aide humanitaire, et beaucoup avaient du mal à obtenir de la nourriture en quantité adéquate. Le 21 octobre, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a qualifié les conditions de vie dans le territoire de « catastrophiques », la nourriture étant « désespérément nécessaire ».

Les personnes handicapées interrogées ont toutes fait état de difficultés à satisfaire leurs besoins alimentaires de base, expliquant que leur handicap affectait leur capacité à se procurer de la nourriture pour elles et leurs familles.

Avant le 7 octobre, Abu Shaker et sa famille dépendaient de l’aide de l’UNRWA. Il doit désormais redoubler d’efforts pour trouver de la nourriture : « Habituellement, pour les personnes handicapées, un membre de leur famille se charge d’aller chercher ce dont elles ont besoin. Mais comme je suis le père et que je ne veux mettre aucun membre de ma famille en danger, je vais moi-même – malgré mon handicap – chercher tout le nécessaire. »

Abu Shaker a déclaré qu’il était de plus en plus difficile de se procurer de la nourriture chaque jour : « Les boulangeries ont été bombardées ou sont à court de farine. Nous sommes 11 personnes dans ma famille et je n’ai eu le droit aujourd’hui d’acheter que 25 morceaux de pita, ce qui est insuffisant. Je suis aussi à court d’argent. »

Mosleh a déclaré qu’il n’y a pas de nourriture pour les enfants ou adultes handicapés qui ont un régime alimentaire spécifique. L’OCHA a signalé que celle qui est distribuée après l’arrivée des camions transportant de l’aide ne répond pas aux besoins des personnes souffrant de dysphagie, des difficultés à avaler qui peuvent affecter les personnes présentant un large éventail de handicaps et de problèmes de santé.

Accès aux sanitaires

Les personnes handicapées qui ont été déplacées ont toutes déclaré ne pas avoir accès aux toilettes dans les écoles, les hôpitaux et autres refuges. Al Masri a déclaré : « L’hôpital où nous nous sommes réfugiés n’est pas conçu pour les personnes handicapées ; les toilettes ne sont pas faites pour les personnes en fauteuil roulant. C’est une situation très difficile pour moi de m’y rendre. »

Mosleh a déclaré que la plupart des toilettes des hôpitaux et des écoles de l’UNRWA sont des toilettes à la turque, totalement inaccessibles à de nombreuses personnes handicapées physiques.

Le Dr Mustafa a déclaré que c’était particulièrement difficile pour sa mère âgée de 75 ans, qui ne peut utiliser les toilettes de l’hôpital où elle s’est réfugiée. Il ne peut pas non plus accéder aux sous-vêtements pour incontinence dont elle a besoin et l’hôpital est également à court de papier toilette : « Assurer l’hygiène est très difficile. Je n’ai pas pu prendre de douche depuis le début de la guerre, ni ma mère. Personne dans ma famille ne l’a fait. »

Al Madhoun a déclaré que l’accès aux sanitaires est son plus gros problème, d’autant plus qu’elle n’a pas de fauteuil roulant ni de déambulateur : « Je rampe par terre pour aller aux toilettes ».

Toutes les personnes interrogées ont déclaré ne pas avoir accès à des articles d’hygiène de base, comme du papier toilette ou du savon, et craindre l’apparition d’épidémies.

 

Impact sur la santé mentale

 

En septembre 2022, l’OCHA a signalé qu’un tiers de la population de Gaza avait besoin de services psychosociaux en raison de la détresse psychologique et des problèmes de santé mentale croissants dans le territoire. Human Rights Watch a conclu en décembre 2020 que les personnes handicapées éprouvaient une détresse psychologique en raison du bouclage d’Israël et des expériences traumatisantes, notamment l’incapacité de fuir et la crainte de futures attaques.

Les bombardements et le siège actuels ont aggravé les conséquences sur la santé mentale des civils de Gaza, les enfants en particulier étant traumatisés.

Abu Shaker a déclaré que sa fille de huit ans n’était plus elle-même après avoir été blessée dans une frappe aérienne : « Chaque fois que nous entendons un missile ou une bombe, ma benjamine se bouche les oreilles. Elle a une réaction émotionnelle très forte. En tant qu’adultes, nous sommes tellement désorientés que nous ne savons pas comment gérer tout ce qui se passe. »

Des experts de la santé ont décrit l’impact des bombardements et du siège sur la santé mentale des personnes handicapées. Feadaa Omar, une psychologue, travaille à l’école primaire pour filles de Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, où sont hébergées 3 000 familles, dont de nombreuses personnes handicapées :

Ce que je vois, c’est beaucoup de peur. Beaucoup de tristesse et de déception. Chaque jour, des gens meurent, et rien ne change. Quand je suis à l’école, beaucoup de gens pleurent. Certains enfants et adultes ont arrêté de parler, on ne peut obtenir aucune réponse de leur part. Et puis il y a d’énormes réactions à tout type de bruit, surtout chez les enfants, ils essaient de se boucher les oreilles pour ne pas entendre les bombardements. Si un adulte ou un enfant est handicapé, c’est encore plus difficile. Surtout pour ceux qui ont des problèmes auditifs.

Feadaa Omar a déclaré que de nombreuses personnes malentendantes ont fui leur domicile sans leurs appareils auditifs et ne peuvent communiquer avec les milliers d’autres personnes abritées dans cette école surpeuplée et inconnue. Nisrine, une femme malentendante âgée de 40 ans, qui s’est réfugiée dans l’école où travaille Feadaa Omar, a déclaré : « Ma maison a été bombardée, de nombreux enfants ont été tués, ma famille est sans abri, j’ai perdu tout contact avec mes amis. J’ignore tout de leur sort et je n’ai pas mon appareil auditif avec moi. Je ne peux pas communiquer et je ne sais même pas de quoi parler. »

« Les personnes qui ont un handicap physique ont également dû fuir sans leur fauteuil roulant ni leur déambulateur, et l’école n’a pas été aménagée pour ces handicaps …Cela suscite des réactions très variées sur la façon de gérer la situation au quotidien », a ajouté Feadaa Omar.

Feadaa Omar a décrit les mesures qu’elle prend pour leur venir en aide à ces personnes :

Bien qu’ayant moi-même mes propres pensées sur la situation actuelle, je fais de mon mieux pour aider les gens sur place. Par exemple, j’emporte mon lecteur MP3 avec moi et mets de la musique pour leur changer les idées, les empêcher de penser à la guerre. J’essaie aussi d’organiser des séances de dessin, en espérant que cela améliore l’ambiance, comme écrire et raconter des histoires [aussi].

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