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Les crises de santé mentale nécessitent une réponse communautaire

Les gouvernements devraient investir dans des services respectueux des droits, plus efficaces que les traitements punitifs et coercitifs

(Toronto) – Les gouvernements devraient investir dans des services de soins de santé mentale qui aident les personnes de manière humaine et respectueuse des droits, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et le  Centre de crise Gerstein (Gerstein Crisis Centre), en publiant un rapport recommandant des réponses communautaires aux crises de santé mentale. Ce rapport, sous forme d’étude de cas, peut servir de feuille de route pour soutenir les personnes confrontées à une crise de santé mentale sans recourir à la police, à l’hospitalisation involontaire ou au traitement forcé.

Les inégalités systémiques, les pratiques coercitives et la violence policière restent des problèmes omniprésents à l’échelle mondiale qui exposent particulièrement les personnes confrontées à une crise de santé mentale. Cela est particulièrement vrai pour les groupes autochtones, noirs et racialisés, ainsi que pour les personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queer+ (2SLGBTQ+). La pratique courante dans un grand nombre de pays consistant à envoyer des policiers comme premiers intervenants, notamment pour des « contrôles de santé », augmente le risque de blessures ou de décès. Même les interventions non policières auprès des personnes en crise peuvent les « pathologiser » de manière excessive et les conduire à un traitement coercitif ou forcé.

« Dans de nombreuses communautés, les personnes qui en situation de crise de santé mentale se retrouvent confrontées à la police ou contraintes de suivre un traitement contre leur gré, et il existe une autre solution », a déclaré Samer Muscati, directeur adjoint de la division Droits des personnes handicapées à Human Rights Watch. « Les gouvernements devraient investir dans des réponses efficaces fondées sur le droit des personnes à décider du type de soutien qu’elles reçoivent et à choisir ce qui est le mieux pour elles. »

Pour démontrer une approche alternative efficace, Human Rights Watch a collaboré avec le Centre de crise Gerstein, un centre communautaire de réponse aux crises de santé mentale à Toronto qui fournit des services non médicaux fondés sur le consentement, , tenant compte des traumatismes et axés sur la réduction des préjudices. Le rapport de 33 pages, intitulé « Un soutien en cas de crise en santé mentale ancré dans la communauté et les droits humains », présente un cadre viable et reproductible pour une approche holistique de la réponse aux crises de santé mentale qui favorise l'autonomie de l'individu en crise.

L’étude de cas présentée dans le rapport propose, en tant qu’alternative aux réponses surmédicalisées et dirigées par la police, une vision respectueuse des droits et basée sur la communauté. Ce document fournit une description détaillée des approches du Centre et comprend les leçons apprises, ainsi que les bonnes pratiques issues de décennies de soutien en santé mentale.

« Plus de trois décennies de soutien communautaire aux personnes en crise de santé mentale ont prouvé l'efficacité et l'importance des voies accessibles et non coercitives pour aborder la santé et le bien-être de nos communautés », a déclaré Susan Davis, directrice générale du Centre de crise Gerstein. « Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer nos systèmes de santé et nos systèmes sociaux, notamment des investissements et des stratégies coordonnées en matière de santé mentale et de toxicomanie à tous les niveaux de gouvernement. »

L’étude de cas offre un exemple de ce qui a bien fonctionné dans la plus grande ville du Canada avec les principes d’autonomie, de dignité et de non-intervention policière applicables aux communautés et aux pays du monde entier.

Depuis 1989, le Centre de crise Gerstein offre aux communautés de Toronto des services de crise sûrs, humains et fondés sur l'équité. Ce cadre comprend des services de soutien personnalisés gratuits et confidentiels 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour les personnes confrontées à une crise de santé mentale ou de toxicomanie, notamment à des pensées suicidaires, qui peuvent toutes être exacerbées par ou émaner d'un traumatisme, de l'insécurité du logement et de la pauvreté, entre autres facteurs. L’objectif est de fournir un soutien rapide aux personnes confrontées à une crise de santé mentale, de les mettre en contact avec d’autres services dont elles ont besoin et de leur éviter d’interagir inutilement avec la police et les urgences des hôpitaux.

L'étude de cas documente l'expérience vécue par Kaola Baird, une femme qui a reçu du soutien au Centre de crise Gerstein et qui travaille elle-même actuellement dans le cadre de « soutien par des pairs » (« peer support ») pour aider d'autres personnes en crise de santé mentale.

« Je pense que lorsque vous traversez une crise… parfois, vous perdez le sentiment de qui vous êtes », a-t-elle déclaré. « Et je pense qu'il y a beaucoup à dire sur le fait de ne pas vouloir être perçu juste comme votre crise parce qu'il y a toujours une personne en dessous. Et comme je suis passée par là moi-même, je pense que cela vous donne simplement une compréhension plus profonde… J'ai beaucoup d'empathie… J'essaie de rendre ce que j'ai reçu et ce que je reçois encore. La boucle est bouclée, mais pour moi, je pense toujours que la boucle s’agrandit. »

Le Centre emploie une centaine de personnes, dont la majorité ont vécu ou vivent des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

Le Centre de crise Gerstein gère une ligne de crise téléphonique 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, à la disposition des membres de la communauté. Le Centre exploite également une équipe de crise mobile qui assure le suivi des appels dans la communauté à la demande de l’appelant. Les agents de crise portent des vêtements ordinaires pour garantir l’intimité et réduire la stigmatisation et les déséquilibres de pouvoir que pourraient évoquer les uniformes ou les vêtements portant un logo.

Le Centre comprend des chambres privées avec des lits, dans deux maisons qui offrent un environnement sûr et favorable ; elles sont dotées de personnel 24 heures sur 24, et conçues pour des séjours de courte durée pouvant aller jusqu'à 30 jours. L’équipe du Centre offre un soutien de suivi à court terme, notamment des références vers d’autres services de santé et sociaux, ainsi que des programmes de rétablissement dirigés par des personnes ayant une expérience en matière de santé mentale, de toxicomanie et du système judiciaire criminel.

L'étude de cas intègre les lignes directrices de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment des détails sur le consentement éclairé dans la réponse à une crise de santé mentale, des plans de traitement et de rétablissement dirigés par la personne en crise et axés sur ses points forts, ainsi que la compréhension des relations de pouvoir et des stratégies pour éviter et désamorcer les conflits.

Selon l’OMS, en 2019, on estime qu’une personne sur huit dans le monde – soit 970 millions de personnes – vivait avec un problème de santé mentale et pourtant, en moyenne, seulement deux pour cent des budgets nationaux de santé étaient consacrés à la santé mentale.

Les services de santé mentale omettent souvent de respecter les normes internationales relatives aux droits humains en raison de la stigmatisation, du recours à la coercition et des déséquilibres de pouvoir entre le prestataire de services et la personne qui recherche ou reçoit du soutien. Dans un grand nombre de juridictions, des protections juridiques et politiques inadéquates renforcent la discrimination et le traitement abusif des personnes ayant des problèmes de santé mentale. La situation est particulièrement désastreuse pour les personnes confrontées à des crises de santé mentale, notamment dans des circonstances liées à la consommation de substances, aux pensées suicidaires, aux traumatismes, à l’insécurité du logement et à la pauvreté. Cela est particulièrement vrai pour les communautés autochtones, noires, racialisées et 2SLGBTQ+, qui continuent de connaître un accès inéquitable aux soins de santé et sont surreprésentées dans les systèmes judiciaires.

Selon Human Rights Watch et le Centre de crise Gerstein, la fourniture de services de santé mentale peut – et doit – respecter les droits humains des personnes qui recherchent ou reçoivent des soins. Les éléments nécessaires des services de santé mentale respectueux des droits humains comprennent le consentement éclairé, le respect des souhaits et des points de vue des individus, ainsi que la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des services de santé mentale. Human Rights Watch et le Centre de crise Gerstein exhortent les gouvernements à examiner cette étude de cas afin de concevoir et de financer leurs propres programmes visant à fournir un soutien communautaire et respectueux des droits aux personnes confrontées à des crises de santé mentale.

L'étude de cas fait partie d'une initiative de Human Rights Watch visant à promouvoir des approches orientées vers des solutions afin d'encourager les gouvernements et les organisations communautaires à développer des politiques et des pratiques qui respectent les droits humains et se conforment aux principes de la Convention des Nations Unies relative aux droits humains des personnes handicapées (CRPD). Dans la première partie de cette série, Human Rights Watch a documenté l'approche innovante de TANDEMplus, une équipe mobile basée à Bruxelles qui fournit des services de santé mentale aux personnes atteintes de handicaps psychosociaux à leur domicile ou dans un lieu de leur choix, où elles travaillent main dans la main pour trouver des solutions et aider la personne à reprendre le contrôle de sa vie quotidienne.

« Les intervenants policiers et les traitements coercitifs ont été la réponse prioritaire aux personnes confrontées à des crises de santé mentale », a conclu Samer Muscati. « Les gouvernements devraient opérer un changement de paradigme et adopter une nouvelle approche respectueuse des droits et centrée sur la dignité, l'expertise et l'autonomie des personnes vivant ayant des troubles de santé mentale. »

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