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Haïti

Événements de 2020

Un protestataire devant des barricades en feu, lors d'une manifestation pour réclamer la démission du président Jovenel Moïse. Port-au-Prince, Haïti, samedi 17 octobre 2020.

© AP Photo/Dieu Nalio Chery

L’instabilité politique prolongée en 2020 et les violences perpétrées par des gangs– ayant souvent des liens avec l’État – ont aggravé l’incapacité du gouvernement haïtien à répondre aux besoins fondamentaux de sa population, à résoudre des problèmes de droits humains de longue date et à relever les défis humanitaires.

Depuis l’annonce par le gouvernement en juillet 2018 de l’élimination des subventions aux carburants, des troubles civils généralisés ont de fait paralysé Haïti. Les manifestations se sont intensifiées en 2019, après des révélations portant sur des détournements de fonds destinés aux infrastructures et aux soins de santé sous trois gouvernements successifs, dont celui de l’actuel président, Jovenel Moïse. La police a réagi en faisant un usage disproportionné de la force. L’impunité pour les violences commises par les gangs et la police se poursuit.

En octobre 2019, le Conseil électoral provisoire a reporté indéfiniment la tenue des législatives et le président Moïse est au pouvoir par décret depuis janvier 2020, date à laquelle a expiré le mandat de la législature. Moïse a blâmé le parlement pour le report et ne pas avoir approuvé de loi électorale, ses opposants l’accusant en retour de manœuvres pour tenter de détourner le processus à son avantage.

Les premiers cas de Covid-19 ont été confirmés en mars, dans un contexte d’intensification des violences par les gangs. Le nombre de cas relativement faible s’expliquerait en partie par une déclaration insuffisante, la stigmatisation et la violence ciblée à l’encontre des personnes perçues comme infectées dissuadant de rechercher des soins. La pandémie a exacerbé les vulnérabilités des populations marginalisées.

En juin, le président Moïse a décrété un nouveau code pénal, distinct du projet de code soumis au parlement en 2017. Il deviendra loi 24 mois après sa publication.

Violence, anarchie et instabilité

Haïti fait face à l’une de ses pires flambées de violence depuis 1986. Le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) a signalé 944 homicides intentionnels, 124 enlèvements et 78 cas de violences sexuelle et sexiste de janvier au 31 août, avec au moins 159 personnes tuées par des gangs, dont un bébé âgé de quatre mois.

La collusion présumée entre politiciens et gangs a contribué à l’émergence d’un climat d’insécurité. La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a signalé des accusations contre 98 individus, dont deux hauts fonctionnaires, pour un massacre de 71 personnes lié à des gangs en 2018 et des exactions connexes dans le quartier de La Saline à Port-au-Prince. Les auteurs ont agi avec la complicité des autorités, dont le policier Jimmy Cherizier, qui a depuis été limogé et se trouve maintenant à la tête d’une coalition de gangs. L’ONU a appelé les autorités à traduire les responsables en justice.

En 2019, Cherizier et d’autres policiers haïtiens ont également aidé à tuer au moins trois personnes, à en blesser six et à incendier les maisons de 30 familles dans le quartier de Bel-Air, où les habitants protestaient contre la hausse des prix du carburant, selon le BINUH. Cherizier est également soupçonné d’attentats dans le quartier de la Grande Ravine en 2017. À ce jour, aucune procédure pénale n’a été engagée contre les individus impliqués.

Le « Core Group », dont fait partie la Représentante spéciale des Nations Unies, a appelé les autorités à enquêter sur le meurtre, commis le 29 août, de Monferrier Dorval, Bâtonnier de l’0rdre des avocats de Port-au-Prince, devant son domicile, quelques heures après avoir appelé à une réforme constitutionnelle dans un entretien accordé à la radio.

La police n’est pas intervenue le 31 août, lorsque des gangs ont tué au moins 20 personnes et incendié des immeubles dans les quartiers de Bel-Air et de Delmas à Port-au-Prince, provoquant le déplacement d’au moins 1 221 habitants vers des places publiques et un terrain de football.

Des organisations de défense des droits humains telles que le Réseau national de défense des droits de l’homme (RNDDH) et Fondasyon Je Klere (FJKL) ont documenté de nombreuses autres attaques lancée par des bandes armées avec la protection des autorités gouvernementales.

Déplacements

Au moins 12 000 personnes auraient été déplacées en 2020, la majorité en raison de la violence perpétrée par les gangs et un cyclone en juillet. Beaucoup d’autres personnes déplacées n’ont probablement pas été comptabilisées.

Plus de 140 000 familles déplacées par l’ouragan Matthew en 2016 ont toujours besoin d’un abri décent.

Depuis le séisme de 2010, près de 33 000 personnes vivent encore dans des camps de personnes déplacées et au moins 300 000 dans un campement informel en l’absence de contrôle gouvernemental. Les autorités n’ont pas fourni d’assistance pour les rapatrier ou les réinstaller, ni pour garantir le respect de leurs droits fondamentaux sur ce site.

Droits à la santé, à l’eau et à l’alimentation

Les communautés les plus vulnérables du pays sont confrontées à des risques environnementaux, notamment la déforestation généralisée, la pollution industrielle et l’accès limité à l’eau potable et à l’assainissement. Selon les agences internationales, environ 4,1 millions d’Haïtiens – soit plus d’un tiers de la population – vivent dans l’insécurité alimentaire et 2,1 % des enfants souffrent de malnutrition sévère. Les faibles précipitations, exacerbées par la hausse des températures due au changement climatique, affectent de manière durable une grande partie du pays.

Depuis son introduction par les Casques bleus de l’ONU en 2010, le choléra a infecté plus de 819 000 habitants et fait près de 10 000 morts. Des efforts de contrôle redoublés – notamment une campagne de vaccination ambitieuse – ont permis de parvenir à une absence totale de cas confirmés depuis la dernière semaine de janvier 2019. Mais plus d’un tiers de la population n’a pas accès à l’eau potable et deux tiers bénéficient de services d’assainissement limités, livrant les Haïtiens à l’éventualité d’un retour de la maladie, et maintenant au Covid-19.

Système de justice pénale

Les prisons haïtiennes restent excessivement surpeuplées, de nombreux détenus vivant dans des conditions inhumaines. La surpopulation est en grande partie imputable aux arrestations arbitraires et aux détentions avant jugement, a indiqué un expert indépendant de l’ONU sur Haïti en 2017.

En septembre 2020, près de 11 000 détenus de trouvaient en prison, 78 % d’entre eux en attente de jugement. Une suspension de six semaines des audiences judiciaires au plus fort des manifestations en 2019 a provoqué une hausse du nombre de détentions provisoires.

Sept des dix femmes violées par des prisonniers lors d’une émeute au centre de détention des Gonaïves en novembre 2019 se trouvaient en détention provisoire prolongée.

Au moins 140 détenus dans les prisons haïtiennes ont été testés positifs au Covid-19 entre mars et juillet. Selon un rapport de l’ONU en date du 25 septembre, les autorités ont libéré 1 042 détenus dans l’ensemble du système carcéral, dont 80 femmes et 25 enfants, loin des 5 000 remises en liberté jugées nécessaires pour endiguer la propagation du Covid-19 parmi les détenus, a mis en garde le Secrétaire général de l’ONU. Plusieurs des personnes libérées faisaient face à de graves accusations et ont obtenu la clémence de l’exécutif sans consultation du BINUH ou des organisations de défense des droits humains.

Analphabétisme et obstacles à l’éducation

Un peu moins de la moitié des Haïtiens âgés de 15 ans et plus sont analphabètes. La qualité de l’éducation est généralement faible et 85 % des écoles sont privées, avec des frais d’inscription souvent trop élevés pour les familles disposant de faibles revenus.

Les troubles et la pandémie ont empêché 70 % des enfants haïtiens de se rendre en classe tout au long de l’année scolaire. De septembre à novembre 2019, l’instabilité a empêché environ trois millions d’entre eux d’être scolarisés et, en mars, la pandémie a contraint à la fermeture les écoles pendant cinq mois. Avant la pandémie, Haïti comptait déjà 500 000 enfants en âge d’être scolarisés mais qui ne l’étaient pas.

Abus commis par les forces de sécurité

Lors des manifestations d’octobre 2018, des policiers ont commis trois exécutions sommaires et fait 47 blessés en raison d’un usage disproportionné de la force, selon la Mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH). Le mois suivant, le recours à une force excessive a fait six morts et 15 blessés.

Au cours des huit premiers mois de 2020, le BINUH a signalé 184 cas de violations des droits humains et d’abus de la police, dont l’utilisation aveugle de gaz lacrymogènes.

Au moins huit journalistes ont été blessés lors de manifestations qui se sont déroulées du 16 septembre au 17 octobre 2019, selon le RNDDH. En octobre 2019, un journaliste de la radio couvrant les manifestations a été abattu. La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a imputé aux forces de sécurité au moins 19 décès sur 42 lors des manifestations du 15 septembre au 1er novembre 2019.

Responsabilité pour les abus passés

Six mois après la mort de l’ancien président Jean-Claude Duvalier en 2014, une cour d’appel a jugé qu’il n’y avait pas de prescription possible pour les crimes contre l’humanité, ordonnant la poursuite des enquêtes pour ceux qui furent commis sous la présidence Duvalier (1971-1986). En octobre, les enquêtes rouvertes sur les détentions arbitraires, les actes de torture, les disparitions, les exécutions sommaires et l’exil forcé se poursuivaient toujours.

Le 23 juin, l’ancien chef d’escadron de la mort haïtien Emmanuel « Toto » Constant a été expulsé des États-Unis et placé en détention. Alors qu’il était salarié de la CIA, Constant a fondé une organisation paramilitaire qui s’est rendue complice du meurtre d’au moins 3 000 Haïtiens entre 1991 et 1994. En 2000, il avait été condamné par contumace pour son implication dans un massacre commis en 1994 dans le quartier Raboteau des Gonaïves. En vertu de la loi haïtienne, Constant a droit à un nouveau procès. Compte tenu du climat d’impunité qui caractérise la présidence Moïse, avocats et organisations de défense des droits humains ont exprimé leur inquiétude quant à la remise en liberté de Constant. La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a exhorté Haïti à le tenir pour responsable de ses actes.

Jean-Robert Gabriel a également été reconnu coupable en 2000 d’implication dans le massacre de Raboteau alors qu’il faisait partie de la chaîne de commandement. En 2018, le président Moïse a nommé Gabriel chef d’état-major adjoint des forces armées haïtiennes réintégrées.

Droits des femmes et des filles

La violence sexiste est répandue. Le nouveau code pénal identifie le harcèlement sexuel et la violence sexiste comme des infractions punies par la loi. Le viol est passible d’une peine d’emprisonnement à vie.

Jusqu’à son entrée en vigueur en juin 2022, il n’y avait pas de législation spécifique contre la violence domestique, le harcèlement sexuel ou d’autres formes de violence visant les femmes et les filles. Le viol n’a été explicitement criminalisé qu’en 2005, par décret ministériel.

Le nouveau code pénal légalisera également l’avortement en toutes circonstances jusqu’à la douzième semaine de grossesse, en cas de viol ou d’inceste, ou si la santé mentale ou physique de la femme enceinte est en danger. L’avortement était auparavant interdit en toutes circonstances. Le code pénal abaisse également l’âge légal des rapports sexuels consensuels à 15 ans tout en n’autorisant l’avortement légal qu’à partir de 18.

En novembre, la Commission d’éthique de la Fédération internationale de football association (FIFA) a imposé au président de la Fédération haïtienne de football (FHF), Yves Jean-Bart, une interdiction à vie d’exercer une activité dans ce domaine, suite à une enquête ayant révélé des preuves d’abus sexuels systématiques à l’encontre de certaines joueuses. Des témoins et des survivantes ont déclaré avoir été suivis ou menacés lors de cette enquête, pour les dissuader de coopérer avec les autorités judiciaires. Au mois d’octobre, la FIFA avait déjà suspendu quatre autres hauts responsables de la FHF impliqués dans des abus.

Droits des personnes handicapées

Malgré la ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le cadre législatif d’Haïti n’est pas encore harmonisé avec les normes de cet instrument. Les personnes handicapées, y compris les femmes et les filles, continuent d’être victimes de discrimination. Le pays n’a pas de cadre institutionnel de base pour mettre en œuvre les droits de ces personnes. Dans la société haïtienne, le handicap est souvent perçu comme une malédiction, exposant les personnes qui en sont atteintes à un risque plus élevé de violences.

Le nouveau code pénal comprend des dispositions interdisant la violence ou l’incitation à l’encontre des personnes handicapées.

Orientation sexuelle et identité de genre

Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) continuent de souffrir de de discriminations considérables en Haïti, et aucune loi civile complète ne les interdit.

Le nouveau code pénal fait de tout crime motivé par l’orientation sexuelle réelle ou perçue de la victime une infraction aggravée. Il punit également de la réclusion à perpétuité tout meurtre motivé par l’orientation sexuelle d’une victime, et alourdit les peines pour de nombreux autres crimes lorsque ceux-ci ont pour mobile l’orientation sexuelle de la victime.

Deux projets de loi anti-LGBT adoptés par le Sénat en 2017 étaient encore en cours d’examen par la Chambre des députés au moment de la rédaction de ce chapitre. L’une ajouterait l’homosexualité aux raisons de refuser la délivrance d’un « Certificat de Bonne Vie et Mœurs », exigé par de nombreux employeurs et universités comme preuve qu’une personne n’a pas commis de crime. L’autre interdit le mariage homosexuel, prévoyant des peines de prison allant jusqu’à trois ans et une amende d’environ 8 000 dollars pour les « parties, co-parties et complices » d’un mariage homosexuel. Elle interdit également tout soutien public ou plaidoyer en faveur des droits des personnes LGBT.

En novembre 2019, Charlot Jeudy, un homosexuel fondateur de Kouraj, une organisation de défense des personnes LGBTQ en Haïti, a été retrouvé mort à son domicile. En octobre, les circonstances entourant son décès et les résultats d’une autopsie n’avaient pas été rendues publics.

Déportation et apatridie des Dominicains d’origine haïtienne

La précarité du sort des Dominicains d’ascendance haïtienne et des migrants haïtiens en République dominicaine demeure un sujet de grave préoccupation.

En réponse au Covid-19, la République dominicaine avait suspendu le statut juridique temporaire de plus de 150 000 travailleurs haïtiens. Plus de 50 000 sont rentrés en Haïti entre le 17 mars et le 28 juin, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM).

En tout, au moins 250 000 Haïtiens sont rentrés entre 2015 et 2018, après que les autorités dominicaines ont commencé à les expulser du pays, conformément à un plan controversé de régularisation des étrangers. Beaucoup ont été victimes d’expulsions arbitraires et sommaires. D’autres sont partis sous la pression ou la menace de violences.

Exploitation minière et accès à l’information

Haïti est l’un des pays les plus densément peuplés du monde occidental, et la dégradation de l’environnement y est préoccupante. Au cours de la dernière décennie, les investisseurs étrangers ont poursuivi le développement du secteur minier naissant. La résistance est généralisée, car les communautés craignent que l’industrie n’abîment leurs terres arables et leur eau.

Un projet de loi de 2017 que le gouvernement a présenté au parlement fait l’impasse sur les droits des personnes déplacées par les activités minières, selon la Global Justice Clinic de la faculté de droit de l’Université de New York, et ne prévoit pas suffisamment de temps pour évaluer les conséquences environnementales. Ce texte contient en outre des dispositions qui pourraient rendre les documents des compagnies minières, y compris ceux ayant trait aux impacts environnementaux et sociaux, confidentiels pendant 10 ans, empêchant une consultation significative des communautés. Le projet de loi était toujours à l’étude en octobre.

Principaux acteurs internationaux

Le gouvernement américain et l’Organisation des États américains (OEA) ont tous deux appelé Haïti à organiser des élections, bien que, d’après les militants prodémocratie, les conditions actuelles ne seraient pas propices à la tenue d’élections libres et équitables. En septembre, malgré l’opposition de la Cour suprême, le président Moïse a nommé un Conseil électoral provisoire de neuf membres chargé d’organiser les scrutins et de préparer un référendum constitutionnel. Les défenseurs des droits humains et d’autres jugent le décret présidentiel illégal et inconstitutionnel.

En octobre, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour Haïti a déclaré que le pays « lutte à nouveau contre le spectre de l’instabilité », mettant en garde contre les risques de contestations électorales et de nouvelles violences.

En 2016, le Secrétaire général de l’ONU a présenté ses excuses pour le rôle de l’ONU dans l’épidémie de choléra, annonçant la création d’un fonds d’affectation spéciale destiné à recueillir 400 millions de dollars afin de fournir une « assistance matérielle » aux personnes les plus touchées. En octobre 2020, seuls 20,7 millions de dollars avaient fait l’objet de promesses de contribution. Les défenseurs des droits humains ont critiqué l’ONU pour avoir bloqué la participation des victimes à la formulation de l’assistance.

Les États-Unis ont poursuivi les expulsions vers Haïti tout au long de la pandémie. Du 18 mars au 16 octobre, Haïti a accueilli 24 vols avec à bord des ressortissants haïtiens expulsés, dont plusieurs testés positifs au Covid-19 à leur arrivée.

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