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Analyses de registres d’avions et cours à domicile : HRW face aux défis du Covid-19

© 2020 Brian Stauffer pour Human Rights Watch

Par Hugh Williamson

Une experte de Human Rights Watch a récemment passé des jours sur WhatsApp à contacter les proches de deux hommes kurdes d'un village isolé dans le sud-est de la Turquie, qui ont été enlevés et ensuite lynchés par des militaires. « Au début, quand j’ai réussi à les joindre, les proches ne me faisaient pas confiance. Il a fallu de nombreuses heures pour établir un lien avec eux », m’a confié cette collègue.

Parmi les raisons pour lesquelles ce travail a été si difficile : le Covid-19.

2020 a été une année difficile dans le monde entier pour les entreprises et les organisations non gouvernementales, qui se sont efforcées de rester opérationnelles et de soutenir le personnel pendant la pandémie. Il en va de même pour Human Rights Watch, pour qui, comme pour d'autres ONG, les dons ont chuté pendant la pandémie. Avec 490 collaborateurs répartis dans 50 pays, nous recherchons et dénonçons les violations des droits humains, pour persuader les gouvernements de protéger les droits.

Près d'un an après le début de la pandémie – qui semble probablement devoir nous accompagner jusqu'en 2021 – cela vaut la peine de se demander : comment allons-nous ? Qu'est-ce qui s'est bien passé ? Qu'est-ce qui s'est mal passé ? Et que pouvons-nous apprendre ? En tant que responsable de Human Rights Watch, ayant participé à ces efforts, j'ai posé ces questions à des collègues et des dirigeants de Human Rights Watch.

Ce qui en ressort, c’est une organisation confrontée à des défis clairs. À l’extérieur, nous devons rester efficaces dans la documentation des violations des droits humains, comme le cas de la Turquie, à un moment où nous ne pouvons souvent pas nous fier au modèle de base de Human Rights Watch : des recherches sur le terrain et des discussions en face à face avec les gens. Et en interne, il faut prendre soin du personnel, projeté du jour au lendemain dans le travail à domicile. 

Human Rights Watch a également été confronté au défi de documenter une vague de violations des droits humains liées à la pandémie elle-même. Les gouvernements ont eu du mal à réagir à la pandémie et, bien que certains aient pris des mesures appropriées – par exemple pour protéger les groupes vulnérables – les réponses qui ont violé les droits humains ont également été courantes. En quelques semaines, nous avions publié de la documentation et une analyse portant sur un large éventail d'abus et des conseils sur les approches pour lutter contre la pandémie.

Derrière chaque communiqué ou rapport, il y aussi une petite histoire sur la façon dont nous avons accompli notre travail.

Les entretiens à distance avec les victimes et les témoins de violations des droits humains sont difficiles, en particulier pour trouver des personnes à qui parler et pour instaurer la confiance. Prendre soin du bien-être et de la sécurité des personnes interrogées est une priorité. Les recherches sur place, par exemple sur les crises en Biélorussie et au Nagorno-Karabakh, devaient se conformer aux directives strictes liées au Covid-19 afin de protéger le personnel et les personnes que nous rencontrons.


Les collègues ont trouvé des moyens d'être créatifs. La Division des droits de l’enfant a collecté des recherches auprès de dizaines de membres du personnel de l’organisation, recueillant près de 400 entretiens avec des parents et d’autres personnes dans 55 pays, afin d’évaluer l’impact sur les droits de l’enfant lors des fermetures d’école. Et toute la recherche pour un rapport innovateur sur les attaques militaires syriennes et russes dans la province syrienne d'Idlib s’est effectuée à distance, utilisant des images satellitaires, des photos, et des vidéos publiées sur les réseaux sociaux, ainsi que des registres d’observateurs d’avions.

Accéder aux personnes dans des environnements confinés, tels que les prisons, les camps de migrants, ou bien les institutions résidentielles pour les personnes en situation de handicap ou les personnes plus âgées, était très difficile ; nous avons donc travaillé avec des avocats, des membres des familles et du personnel, afin de recueillir et de vérifier les informations sur ce qui se passait derrière ces portes closes.

« Nos entretiens avec des représentants gouvernementaux sont restés efficaces, même lorsqu'ils ont été réalisés en ligne », a déclaré Kenneth Roth, directeur exécutif. Une réunion prévue avec la chancelière allemande Angela Merkel en mars a été annulée car elle ne pouvait pas avoir lieu en personne. « Nous avons fini par discuter en octobre pendant une heure, via vidéoconférence, et cela semblait normal. »

« Néanmoins, la vidéo peut limiter les conversations sensibles », a précisé John Fisher, directeur du bureau de Genève. « Des dossiers de plaidoyer difficiles, tels que le débat au Conseil des droits de l'homme en juin sur le racisme systémique et la violence policière aux États-Unis, étaient encore plus difficiles car nous ne pouvions pas nous approcher de diplomates de manière informelle et discuter autour d'un café. »

Étaient-ce les meilleurs moyens de poursuivre notre travail ? Certaines recherches ont été abandonnées parce que le travail à distance était trop difficile. Quelles violations des droits humains avons-nous manquées ? Toutes les recherches ont respecté les normes de Human Rights Watch, mais certaines étaient moins satisfaisantes, selon les chercheurs, car, par exemple, il était difficile de trouver des méthodologies qui surmontent les modèles mêmes d'inégalité mis en évidence dans la pandémie. 

Neela Ghoshal, directrice adjointe du programme LGBT, a éprouvé des tensions en tant que mère élevant, seule, deux jeunes enfants. Neela a évoqué les défis liés à la fracture numérique. « Sans pouvoir se rencontrer en personne, il est trop facile d'exclure ceux qui n'ont pas un accès régulier à Internet ou aux téléphones. Le travail avec des activistes plus pauvres et plus locaux n'est pas impossible, mais cela demande beaucoup plus d'efforts. » 

La pandémie pose des problèmes internes à Human Rights Watch et à son personnel. Gabi Ivens, un expert en analyse de documents en ligne, a indiqué que davantage de collègues pourraient avoir été stressés lors de la visualisation de vidéos d'abus, car de plus en plus de chercheurs le font, l'isolement à la maison aggravant le problème. 

Human Rights Watch dispose d'un Groupe de travail interne sur le stress et la résilience qui aide le personnel sur ce sujet, ainsi que sur l'équilibre travail-vie privée et les heures de travail ; problèmes qui sont également significativement impactés pour le personnel travaillant à domicile.

Une collègue a évoqué une possible « réinitialisation » (« reset ») après la pandémie, pour s'assurer que le personnel qui a pris du temps pour s'occuper de sa famille – souvent des femmes – ne soit pas désavantagé par rapport aux autres : 67% des membres du personnel de Human Rights Watch sont des femmes. Au niveau mondial, les femmes consacrent trois fois plus de temps à des soins et du travail domestique non rémunéré que les hommes.

« Si nous gérons cette crise de manière sensible, une « réinitialisation » ne devrait pas être nécessaire », a assuré Colin Mincy, directeur des ressources humaines à Human Rights Watch. « Les responsables ont été chargés d’identifier les domaines de travail des membres du personnel afin de hiérarchiser les priorités et d’examiner la qualité, et non la quantité, des résultats. Si nous nous soucions du travail, nous devons nous soucier des personnes qui font le travail. » 

En mars, Human Rights Watch a fermé ses 30 bureaux et a demandé au personnel de travailler à domicile. Nous avons limité les déplacements liés au travail (en soi un coup de pouce involontaire pour l'environnement). Nous avons déplacé en ligne des événements de collecte de fonds, comprenant généralement des dîners de gala et des réunions en personne. Il n'y a pas eu de licenciements ni de congés forcés.  

Reconnaissant les exigences du travail à domicile lorsque la plupart des écoles étaient fermées, il a été donné au personnel la possibilité de réduire jusqu'à 25% son horaire de travail pour s'occuper des personnes à charge ou d'eux-mêmes, sans incidence sur leur salaire. Le remboursement des frais supplémentaires de garde d'enfants et d'enseignement à domicile, ainsi qu'une assistance supplémentaire pour la santé mentale, ont également été mis à disposition. 

Kenneth Roth affirme que ces mesures et la façon dont le personnel a réagi à la crise le laissent prudemment optimiste : « 2021 consistera à tirer parti de ce que nous avons fait, mais en continuant de nous demander comment répondre au mieux aux défis et aux inégalités, à la fois internes et externes, qui se sont fait jour au cours de l’année écoulée. »

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