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Ils sont rwandais, afghans ou argentins. Ils croyaient avoir trouvé une retraite dorée en Europe. Suspectés d’avoir commis des atrocités pendant les périodes troublées de l’histoire de leurs pays respectifs, ils ont été rattrapés par la justice. Malgré cette avancée du droit, certains pays démocratiques rechignent encore à s’engager sérieusement sur la voie de la compétence universelle. Vous pouvez aider à les convaincre.

En 1998, avec l’arrestation spectaculaire de l’ancien dictateur Pinochet à Londres, l’opinion publique découvre avec surprise le principe de « compétence universelle ». Ce n’est pas la première fois que celle-ci est utilisée, mais l’accusé est célèbre et l’attention médiatique à la mesure de l’événement. La compétence universelle permet aux autorités judiciaires d’un pays de connaître de certains crimes graves alors qu’en apparence, ils ne les concernent en rien. En arrêtant Pinochet, les policiers londoniens exécutaient un mandat d’arrêt lancé par un juge d’instruction espagnol, Baltazar Garzón, pour des actes de torture commis au Chili, contre des Chiliens… par un Chilien.

En théorie, l’exercice de la compétence universelle est requis ou autorisé en droit international pour un nombre limité de crimes particulièrement graves, parmi lesquels la torture, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou le génocide, qui choquent la conscience de l’humanité. Ceux qui s’en rendent coupables doivent dès lors être poursuivis toujours et partout, y compris devant des cours étrangères.

La compétence universelle est donc bien plus qu’une simple curiosité juridique, c’est un avertissement lancé aux tortionnaires passés et futurs : « aussi loin que vous fuirez, la justice et la prison vous guettent ».

Depuis Pinochet en 1998, la compétence universelle a connu des hauts et des bas. En 2002, par exemple, après les remous diplomatiques générés par une plainte déposée en Belgique contre le Premier ministre israélien Ariel Sharon, on croyait qu’elle serait mise au rancart, et avec elle l’idéal d’un monde où la justice l’emporterait sur l’impunité.

Les mesures concrètes prises ces dernières années par certains pays européens, ainsi qu’un nombre croissant d’enquêtes et de procès concluants, démontrent qu’il n’en est rien. Au-delà des controverses politiques et des esclandres diplomatiques, il semble que la compétence universelle se développe un peu plus chaque jour, au travers d’accusés bien réels et devient donc, petit à petit, un recours véritable pour les victimes qui ne savent plus vers qui se tourner pour obtenir justice.

En périodes de conflits, particulièrement lorsqu’ils sont marqués par des atrocités massives, les victimes mais aussi les auteurs de ces graves crimes cherchent à fuir leur pays. Or, au cours des dix dernières années, beaucoup se sont réfugiés en Europe. Il est bien sûr important de continuer à offrir un refuge à ceux qui sont persécutés. Toutefois, certains pays se sont progressivement rendu compte qu’ils abritaient également, en toute impunité, des criminels de guerre responsables d’actes d’une barbarie innommable.

Ouvrir une enquête concernant des crimes peu communs, qui se sont passés il y a des années dans un pays lointain et dans un contexte étranger, n’est pas une évidence en soi pour des fonctionnaires de justice. Mener ces enquêtes à bien est encore une autre affaire. Il s’agit de se familiariser avec les définitions des crimes et les contextes historiques dans lesquels ils se sont déroulés, puis de s’assurer de la coopération (même passive) de pays tels que le Rwanda, le Liberia, l’Afghanistan ou le Myanmar. Il faut ensuite pouvoir identifier des témoins, partir à leur rencontre dans un pays totalement étranger et les interroger sans mettre leur vie en danger. Enfin, il faut convaincre des juges ou un jury populaire qui, peut-être, entendent pour la première fois l’histoire tragique du Rwanda ou du Liberia.

Certains pays européens ont décidé de prendre ces multiples difficultés à bras-le-corps pour que justice se fasse. Une poignée d’individus enthousiastes et dévoués contribuent chaque jour à réduire les « sanctuaires d’impunité » et à inquiéter les criminels de guerre de la planète. Aux Pays-Bas, en Norvège, au Danemark et au Royaume-Uni, des petits groupes de fonctionnaires ont été formés dans les services d’immigration pour repérer les demandeurs d’asile potentiellement impliqués dans des violations graves des droits de l’Homme et en avertir le parquet. Dans tous ces pays ainsi qu’en Belgique, des équipes spécialisées d’enquêteurs et de procureurs-juges d’instruction ont été créées et se concentrent sur ce type d’enquêtes, accumulant ainsi une expertise juridique, ainsi qu’un savoir faire pratique.

Ces équipes ont déjà entrepris des enquêtes dans les pays où les crimes ont été commis : des enquêteurs néerlandais se sont rendus au Liberia, en Afghanistan ou en République démocratique du Congo ; les collines du Rwanda ont vu arriver des policiers belges ou danois ; les policiers anglais ont émis des spots radio ou télé depuis Kaboul pour encourager victimes et témoins à venir leur parler du seigneur de guerre Zardad.

Ces efforts commencent à porter leurs fruits. Rien qu’en 2005, ce sont trois seigneurs de guerre afghans (résidant aux Pays-Bas et au Royaume-Uni), deux génocidaires rwandais (en Belgique), un militaire argentin (en Espagne) et un tortionnaire mauritanien (en France) qui ont finalement dû répondre de leurs actes.

Il reste pourtant beaucoup à faire. Contrairement à la Belgique ou aux quelques autres pays mentionnés ci-dessus, la majorité des Etats au sein et en dehors de l’Europe restent à la traîne dans ce combat. Le manque de volonté politique des autorités est criant. En France et en Allemagne par exemple, aucune mesure n’a été prise pour renforcer l’action du système judiciaire. Aucune enquête n’a été ouverte par les parquets dans ces pays.

Trop souvent, la poursuite des violations graves des droits de l’Homme n’est simplement pas une priorité. Et pourtant, les Etats gardent la responsabilité première de juger ces crimes atroces. Les tribunaux internationaux ou la Cour pénale internationale ont des mandats et des ressources trop limités et ne peuvent s’occu-per que d’un petit nombre d’accusés.

Pour les victimes, justice doit être rendue ; avec toujours l’espoir que les tortionnaires en puissance apprendront qu’il est de plus en plus difficile d’échapper à la justice.

Bernadette a perdu toute sa famille et de nom¬breux amis et voisins de la province de Kibungo, lors du génocide de 1994 au Rwanda. Après les événements tragiques et pour ne pas sombrer dans le désespoir, elle a invoqué la loi de compé¬tence universelle en Belgique et porté plainte contre X. En 2005, soutenue par son mari, elle était sur le banc des parties civiles dans le procès de Nzabonimana et Ndashyikirwa. Les deux hommes d’affaires rwandais ont été identifiés et arrêtés à Bruxelles. Ils seront respectivement condamnés à 10 et 12 ans de réclusion criminelle pour leur participation dans le génocide: « Qu’il nous soit permis d’exprimer notre gratitude envers la Belgique, dit Bernadette. Nous avons été soutenus, écoutés, entendus. Nous savons que d’autres accusés rwandais coulent de beaux jours en Norvège et en France, nous espérons que ces pays prendront aussi leurs responsabilités. »

Géraldine Mattioli est chargée du Plaidoyer pour la justice Internationale à Human Rights Watch. Elle est co-auteur du rapport « Universal Jurisdiction in Europe : the State of the Art », paru en juin 2006.

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