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Comme beaucoup de jeunes Somaliens que j'ai interviewés au Kenya, "Xarid M." a affronté les dangers des rues de Mogadiscio, la capitale somalienne, tant qu'il pouvait aller à l'école. Mais tout a changé le jour où le groupe insurgé islamiste Al-Chabab a fait entrer la guerre dans sa salle de classe.

"Les combattants d'Al-Chabab sont entrés dans l'enceinte de l'école et nous ont ordonné de rester en classe", a-t-il raconté. Les combattants ont alors installé un lance-roquettes dans la cour de récréation et ont commencé à tirer des roquettes vers la zone des forces de l'opposition. Pendant plus de deux heures, les élèves et les enseignants se sont blottis à l'intérieur, terrifiés par le bruit des tirs de riposte. Finalement les combattants d'Al-Chabab les ont libérés, mais au moment où ils s'enfuyaient, une roquette a explosé dans l'enceinte de l'école, tuant huit élèves.

Ceci n'est qu'un exemple de l'utilisation d'écoles par Al-Chabab dans les zones que le groupe contrôle. Des élèves ont raconté que le groupe avait dressé son drapeau au-dessus de leur école et y avait stocké des grenades et des armes à feu alors que les cours continuaient. De jeunes Somaliens m'ont dit qu'Al-Chabab enlevait des garçons dans les cours d'école pour les enrôler dans leur guerre et arrachaient des filles à leur classe pour les épouser de force.

Les membres du groupe armé se rendaient régulièrement dans les salles de classe pour s'assurer que les écoles n'enseignaient pas l'anglais ou d'autres matières répréhensibles à leurs yeux. Parfois, ils envoyaient leurs combattants enseigner aux enfants leur propre version de l'islam et les entraîner au maniement des armes, quand ils ne prenaient pas carrément le contrôle des établissements. Un garçon qui avait abandonné l'école en raison des combats a raconté que lorsqu'il était retourné à l'école, "c'était devenu une zone de Al-Chabab. Il y avait leurs 'technicals' [pick-up aménagés pour les combats]. Il n'y avait plus de cours".

Les rebelles n'étaient pas les seuls à détourner de leur fonction les établissements scolaires. Le Gouvernement fédéral de transition de Somalie (GFT), à présent remplacé par le Gouvernement national de Somalie (GNS) sous l'auspice de l'ONU, se servait également d'écoles comme camps et centres de détention.

L'expérience vécue par les élèves de Mogadiscio n'est malheureusement pas un cas isolé. Il est courant que des écoles, lycées et universités soient utilisées par l'armée et les groupes rebelles lors de conflits armés. D'après une nouvelle étude publiée par la Global Coalition to Protect Education from Attack ("Coalition mondiale pour la protection de l'éducation contre les attaques", une alliance de plusieurs agences de l'ONU et d'organisations non gouvernementales), les armées nationales et les groupes armés ont utilisé des écoles et d'autres infrastructures scolaires dans la majorité des conflits armés de la planète, soit dans au moins 24 pays au cours des sept dernières années.

En Syrie, par exemple, des forces gouvernementales ont utilisé les écoles comme casernes, avec des tanks à l'entrée et des snipers postés sur les toits. Les forces antigouvernementales se sont également servies d'écoles comme bases. À Sanaa, au Yémen, les forces des deux camps ont transformé les écoles en casernes, en bases et en postes de surveillance et de tir. Dans le sud de la Thaïlande, des rangers paramilitaires ainsi que l'Armée royale thaïlandaise ont occupé au moins 79 établissements en 2010 (depuis, beaucoup ont été libérés). La même pratique se retrouve en Afghanistan, en Côte d'Ivoire, en Inde, en Libye, au Mali et dans d'autres zones en guerre.

Ceci a de très graves conséquences. La présence de forces armées dans les écoles, les lycées et les universités peut justifier qu'elles deviennent des cibles militaires, mettant en danger tout élève ou enseignant qui se trouverait encore sur place. Tout comme les camarades de classe de Xarid, partout, des enfants ont ainsi été blessés ou tués. Bien plus d'enfants encore ont vu leur scolarité perturbée : les cours sont déplacés, les infrastructures scolaires sont endommagées ou détruites, et des élèves abandonnent l'école. Ceux qui veulent continuer leur scolarité sont entassés dans les salles de classe restantes et ont du mal à se concentrer à cause des manœuvres d'hommes armés, consommant alcool et drogues dans l'enceinte même de l'école et y menant des interrogatoires de suspects. Sans surprise, les filles sont les premières touchées.

"J'étais toujours inquiète lorsqu'ils étaient à l'école", a confié une mère dont la fille a été par la suite enlevée par Al-Chabab alors qu'elle était à l'école. "Chaque fin de journée où votre enfant revient, vous êtes reconnaissant. Chaque jour, des incidents étaient rapportés de l'école".

La réquisition militaire des écoles ne nuit pas seulement à la sécurité et à l'éducation des élèves : elle se paye très cher après le conflit armé. Par exemple, dans le Sud-Soudan fraîchement indépendant, les forces de sécurité ont utilisé au moins 21 écoles à des fins militaires en 2011, ce qui a affecté près de 10 900 enfants. Le coût de réparation des dégâts qui en ont résulté a été estimé à environ 67 000 US$ par établissement.

Il n'y a pas de raison qu'il en soit ainsi. Des communautés, des organisations internationales, des assemblées législatives, des tribunaux et des forces armées elles-mêmes ont trouvé des façons d'empêcher les groupes armés d'utiliser les écoles et les autres infrastructures scolaires. Aux Philippines, par exemple, bien qu'il y ait toujours des incidents dus à l'utilisation d'écoles à des fins militaires, la législation nationale tout comme les règlements militaires interdisent explicitement cette pratique. Cette année, les Nations Unies ont publié un nouveau manuel destiné aux bataillons d'infanterie des Casques bleus, qui leur interdit d'utiliser les écoles lors de leurs opérations. Malgré tout, encore peu d'États restreignent explicitement l'usage des écoles par leurs propres armées, regrette la Coalition dans son étude. C'est un domaine où des directives internationales seraient utiles.

Adopter une interdiction claire et simple de l'utilisation d'infrastructures scolaires à des fins militaires fournirait une règle sans équivoque et facile à communiquer aux soldats sur le champ de bataille. Ceux chargés du commandement et de la panification au sein de l'armée sauraient qu'ils doivent s'organiser en amont et éviter d'utiliser et de mettre en danger les écoles et autres infrastructures scolaires. Les organisations internationales et locales ainsi que les communautés elles-mêmes disposeraient d'un point de repère pour évaluer le comportement des forces armées nationales et des groupes armés, et d'une base juridique pour s'opposer à leur présence. Cette directive internationale pourrait également servir d'outil pour négocier avec les groupes qui ne le respectent pas et permettrait de former les forces armées aux moyens de limiter les dégâts lorsque des groupes armés utilisent des écoles.

Les écoles devraient être des endroits sûrs pour les enfants, des endroits dont sont bannis militaires et groupes armés.

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