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L'armée de l'air syrienne a fréquemment lancé contre des civils des frappes aériennes aveugles, voire délibérées dans certains cas. Ces frappes constituent de graves violations du droit international humanitaire (le droit de la guerre), et les personnes qui commettent de telles violations avec une intention criminelle se rendent responsables de crimes de guerre.

Le rapport de 80 pages, intitulé « Death from the Skies: Deliberate and Indiscriminate Air Strikes on Civilians » (« La mort venue des cieux : Des frappes aériennes délibérées ou aveugles contre des civils »), s'appuie sur des visites menées sur 50 sites visés par les frappes aériennes gouvernementales, dans des secteurs contrôlés par l'opposition au sein des gouvernorats d'Alep, d'Idleb, et de Lattaquié, ainsi que sur plus de 140 entretiens réalisés avec des témoins et des victimes. Les frappes aériennes sur lesquelles Human Rights Watch a enquêté ont fait au moins 152 victimes parmi la population civile. Selon un réseau local de militants syriens, les frappes aériennes ont tué au total plus de 4 300 civils dans tout le pays, depuis juillet 2012.

« Dans chaque village que nous avons visité, nous avons vu une population civile terrifiée par l'armée de l'air de son propre gouvernement », a déclaré Ole Solvang, chercheur auprès de la division Urgences à Human Rights Watch, qui s'est rendu sur plusieurs sites et a rencontré un grand nombre de victimes et de témoins. « Ces frappes aériennes illégales ont tué et blessé de nombreux civils, semé la peur et laissé un sillage de destruction et de déplacements. »

Les reportages des médias, les vidéos mises en ligne sur YouTube et les informations fournies par les activistes de l'opposition indiquent que le gouvernement syrien opère quotidiennement des frappes aériennes dans toute la Syrie depuis juillet 2012.

Les enquêtes et les entretiens réalisés sur place ont permis à Human Rights Watch de conclure que les forces gouvernementales ont à huit reprises délibérément pris pour cible quatre boulangeries devant lesquelles des civils faisaient la queue. D'autres boulangeries ont également été visées par des tirs d'artillerie. Les attaques aériennes répétées contre deux hôpitaux situés dans les zones visitées par Human Rights Watch laissent fortement penser que le gouvernement a également ciblé délibérément ces établissements. Au moment où Human Rights Watch a visité ces deux hôpitaux, ils avaient déjà subi sept attaques au total.

Au-delà de ces attaques contre des boulangeries et des hôpitaux, Human Rights Watch a conclu à l'illégalité de 44 autres cas de frappes aériennes, au regard du droit de la guerre. L'armée syrienne a eu recours à des moyens et méthodes de combat tels que des bombes non guidées, larguées par des hélicoptères volant à haute altitude, qui dans de telles conditions ne pouvaient pas distinguer les civils des combattants. De telles frappes sont par nature menées sans discernement.

Alors que les frappes sur lesquelles Human Rights Watch a enquêté ont causé un grand nombre de victimes parmi les civils, les dégâts infligés aux quartiers généraux de l'opposition et aux autres structures militaires potentielles ont été minimes. Selon les informations dont Human Rights Watch dispose, il n'y aurait eu aucune victime parmi les combattants de l'opposition.

Le 7 novembre 2012, vers une heure de l'après-midi, un avion a par exemple largué deux bombes sur la ville d'Akhtarin, située dans le nord du gouvernorat d'Alep, détruisant trois maisons et tuant sept civils, parmi lesquels cinq enfants. L'attaque a blessé cinq autres enfants, tous âgés de moins de 5 ans. Human Rights Watch a identifié une cible militaire éventuelle dans les environs, un bâtiment situé à environ 50 mètres de là, qui était alors utilisé par des combattants de l'opposition. Ce bâtiment n'a pourtant été que très légèrement endommagé lors d’une attaque ultérieure.

Un voisin qui s'est précipité sur les lieux après l'attaque a témoigné auprès d'un chercheur de Human Rights Watch qui visitait la zone :

C'était tragique. Les bâtiments n'étaient plus qu'un tas de décombres. On a commencé à tirer des gens de là, juste avec nos mains et des pelles. Une armoire et un mur s'étaient effondrés sur les enfants. Ils étaient encore en vie quand on les a trouvés, mais ils sont morts avant qu'on puisse les amener chez leur oncle. Il n'y a ni clinique ni centre médical ici.

Outre les frappes sur des boulangeries et des hôpitaux, certaines attaques étudiées par Human Rights Watch pourraient avoir délibérément pris des civils pour cibles. C'est le cas notamment de frappes opérées sur des sites où il n'y avait aucune preuve de l'existence d'une cible militaire valable dans les environs. Des informations plus complètes seront cependant nécessaires pour confirmer cette conclusion, selon Human Rights Watch.

Le gouvernement a également utilisé d'autres moyens d'attaque illégaux, telles que les bombes à sous-munitions, des armes qui ont été interdites par la plupart des nations parce qu'elles frappent  sans discernement. Human Rights Watch a rassemblé des informations concernant l'utilisation par le gouvernement de plus de 150 bombes à sous-munitions sur 119 sites, depuis le mois d'octobre 2012. Human Rights Watch a également enquêté sur le recours par le gouvernement à des bombes incendiaires, qui devraient, au minimum, être interdites dans les zones habitées.

L'obligation de minimiser les dommages causés aux populations civiles s'applique à toutes les parties dans un conflit. L'Armée syrienne libre (ASL) et les autres groupes armés de l'opposition syrienne n'ont pas pris toutes les mesures possibles pour éviter de déployer des combattants ou des structures telles que des quartiers généraux au sein ou à proximité de quartiers densément peuplés. Cependant, la partie attaquante n'est pas dispensée de l'obligation de prendre en considération le risque que représenterait une attaque pour les civils, sous prétexte que la partie attaquée a placé des cibles militaires au sein ou à proximité de zones habitées.

Human Rights Watch n'a pu visiter que des sites localisés dans les zones contrôlées par l'opposition dans le nord de la Syrie, car le gouvernement a refusé à l'organisation l'accès au reste du pays. De plus amples investigations sont nécessaires, mais les entretiens réalisés avec les témoins et les victimes de frappes aériennes dans d'autres régions du pays permettent déjà de conclure que le même type d'attaques illégales a eu lieu dans ces zones.

Selon Human Rights Watch, ce rapport devrait donner une nouvelle impulsion aux efforts internationaux visant à mettre fin aux frappes aériennes et aux autres attaques menées de façon délibérée, aveugle et disproportionnée contre des civils. Cela inclut l'usage de tous types de bombes à sous-munitions, de missiles balistiques, d'armes incendiaires et d'armes explosives à larges champs d'action contre des zones peuplées. Les informations que nous avons rassemblées devraient également être utiles en vue de la traduction en justice des auteurs de ces crimes.

En outre, Human Rights Watch appelle les gouvernements et les entreprises à cesser immédiatement de vendre ou de fournir des armes, des munitions et du matériel à la Syrie, compte tenu des preuves manifestes indiquant que le gouvernement syrien commet des crimes contre l'humanité, et tant qu’il continuera à perpétrer de tels crimes. La communauté internationale devrait notamment presser l'Irak de s'assurer qu'aucune arme provenant de la Russie ou de l'Iran à destination de la Syrie ne transite sur son territoire, et de permettre à des observateurs indépendants agissant en tierce partie d'inspecter les convois et les avions traversant le sol ou l'espace aérien irakien à destination de la Syrie.

« Le Conseil de sécurité des Nations Unies, essentiellement en raison du veto russe et chinois, n'a toujours pas pris la moindre mesure significative pour tenter de protéger les civils en Syrie », a affirmé Ole Solvang. « Mais cela ne devrait pas empêcher les gouvernements concernés de redoubler eux-mêmes d'efforts pour presser le gouvernement syrien de mettre fin à ces violations. »

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