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Somalie : Une enquête sur une affaire de viol entachée de graves lacunes

La victime d'une agression qu’auraient commis des soldats de l’UA ainsi que des témoins subissent une campagne de harcèlement

(Nairobi, le 11 novembre 2013) – Les autorités somaliennes devraient ordonner l'ouverture d'une nouvelle enquête impartiale et transparente sur un viol collectif présumé qu’auraient commis des militaires de l'Union africaine (UA), a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Jusqu'à présent, l'enquête a été entachée de mauvaise gestion et d'opacité, ainsi que par le harcèlement qu'ont dû subir la victime du viol ainsi que des prestataires de services sociaux.

Une femme somalienne a affirmé aux médias locaux, le 9 août 2013, qu'elle avait été enlevée la veille par des membres des forces gouvernementales somaliennes dans un quartier du nord de la capitale du pays, Mogadiscio. Ses ravisseurs l'ont ensuite remise entre les mains d'hommes qu'elle a identifiés comme appartenant aux troupes de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM), en se fondant sur certaines de leurs caractéristiques physiques et sur la langue qu'ils parlaient. Elle a affirmé que ces hommes l'ont alors violée collectivement, puis abandonnée dans la rue. Trois mois plus tard, il apparaît que l'enquête du gouvernement sur cette affaire a été mal gérée et aucune conclusion n'a été rendue publique.

« L’enquête menée par les autorités somaliennes sur cette affaire de viol collectif présumé semble cafouiller, alors qu’elles devraient s'en occuper sérieusement », a déclaré Liesl Gerntholtz, directrice de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. Les carences de cette enquête défectueuse semblent indiquer que certains responsables des questions de sécurité tentent de réduire au silence à la fois les personnes qui dénoncent le problème généralisé de la violence sexuelle et celles qui viennent en aide aux survivantes d'un .

La femme en question a dénoncé le viol à la police le 10 août. La semaine suivante, le gouvernement somalien a mis sur pied un comité technique pour enquêter sur cet incident et identifier les responsables, ainsi que les causes sous-jacentes de telles exactions. Le gouvernement a déclaré que l'incident avait été décrit comme s'étant produit dans une base de l'AMISOM dans le nord de Mogadiscio, connue sous le nom de camp Maslah. Le comité devait achever son enquête dans les 60 jours et en présenter les conclusions à une équipe ministérielle désignée.

Une conseillère du Premier ministre a déclaré le 4 novembre à Human Rights Watch que bien qu'un rapport intérimaire du comité ait été produit, son rapport final ne serait pas prêt avant fin novembre. Le 6 novembre, des organisations de la société civile somalienne ont publié une déclaration dans laquelle elles exprimaient leurs préoccupations concernant ce processus et appelaient le gouvernement à honorer son engagement à enquêter sur cette affaire et à publier immédiatement les résultats. Human Rights Watch craint qu'étant donné les problèmes multiples survenus au cours de l'enquête, ce rapport ne produise pas de résultats significatifs ou crédibles.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont interrogé cette femme en août à Mogadiscio et ont estimé crédibles ses affirmations. Son dossier d'hôpital, que Human Rights Watch a consulté avec son accord, indiquait que les blessures dont elle souffrait cadraient avec l'occurence de relations sexuelles forcées et d'autres violences physiques. Elle a déclaré avoir fait état publiquement de ce viol parce qu'elle voulait que ses agresseurs soient amenés à rendre des comptes, même si elle craignait que cela puisse avoir de graves répercussions sur sa réputation et sa sécurité.

« Maintenant, je suis confrontée à de nombreux problèmes », a déclaré cette femme à Human Rights Watch. « Je ne peux pas retourner d'où je viens car tout le monde parle de moi. Mon mari est maintenant en difficulté … Je me demande ce qui va m'arriver ».

L'enquête du gouvernement a été entachée de multiples erreurs de procédure, a déclaré Human Rights Watch. Alors qu'une enquête conjointe était initialement prévue, étant donné que des allégations avaient été faites à la fois contre les forces du gouvernement somalien et contre celles de l'AMISOM, la coopération a en fait été restreinte. Des représentants de l'AMISOM et de la société civile ont été tout d'abord intégrés au sein du comité mais ils ont ensuite été exclus de toute participation à l'enquête, en raison d'un conflit d'intérêts présumé.

Des membres des forces de sécurité somaliennes ont harcelé et intimidé la plaignante pour l'obliger à témoigner devant le comité technique. Le 26 août, un membre des forces de sécurité est arrivé de manière impromptue au refuge où était hébergée la femme, afin de l'amener devant le comité. Elle était réticente à l'idée de s'exprimer au sujet de son épreuve, à cause du piètre état physique et psychologique dans lequel elle se trouvait à l'époque. Devant son refus d'obtempérer, le responsable de sécurité a tenté de la traîner de force hors du refuge. Il n'est parti que lorsqu'elle s'est évanouie.

La femme avait déjà été interrogée par la police quand elle avait fait état de l'incident et le 25 août, elle avait été questionnée par les services de sécurité dans les locaux des services de renseignement nationaux du palais présidentiel, la Villa Somalia. Pendant la semaine suivante, elle avait été interrogée de nouveau par des membres du comité au refuge où elle vivait. Dans les deux cas, elle s'est vu refuser toute assistance judiciaire, en contravention avec les normes juridiques et les bonnes pratiques internationales.

Des membres des personnels de sécurité somaliens, appartenant à la police, aux services de renseignement et à l'armée, ont également fait subir des tracasseries à d'autres personnes impliquées dans cette affaire, dont l'organisation qui fournit à cette femme une assistance médicale et un refuge et un journaliste qui avait été le premier à réaliser un entretien avec elle. Les responsables de la sécurité siégeant au comité ont questionné le journaliste sur ses sources et sur l'identité de la femme sans qu'un avocat soit présent, alors qu'il en avait demandé un. Plusieurs personnes impliquées dans l'affaire ont refusé de parler à Human Rights Watch, invoquant la crainte de représailles.

La conseillère du Premier ministre a déclaré à Human Rights Watch que deux militaires des forces gouvernementales somaliennes avaient été arrêtés dans le cadre de cette affaire. Elle a indiqué que tous deux étaient en détention provisoire mais Human Rights Watch n'a pas été en mesure d'obtenir confirmation de ces arrestations, ni de l'annonce imminente que des chefs d'accusation ont été retenus contre eux.

La réponse peu enthousiaste de l'AMISOM aux allégations de la victime soulève également de graves questions sur son engagement à faire rendre des comptes à ses troupes de manière transparente dans les cas de violence sexuelle, a souligné Human Rights Watch. Les soldats de l'AMISOM sont fournis par les forces armées de l'Ouganda, du Burundi, de Djibouti, de la Sierra Leone et du Kenya. Lors de l'enquête, le porte-parole de l'AMISOM a rejeté les allégations de la victime dans une conférence de presse, en mettant en doute l'éventualité que des soldats de l'AMISOM puissent vouloir enlever des femmes en dehors de leurs installations médicales où ils traitent régulièrement des jeunes filles en tant que patientes.

Le 5 novembre, le porte-parole de l'AMISOM a déclaré à Human Rights Watch que l'AMISOM et le gouvernement somalien avaient déterminé que les allégations de la femme étaient infondées mais il n'a pas expliqué par quel procédé ni quels éléments de preuve leur avaient permis de parvenir à cette conclusion.

Ce n'est pas la première fois que les forces de l'AMISOM sont accusées de violences sexuelles en Somalie. Dans une résolution de mars 2013, le Conseil de sécurité des Nations Unies a appelé l'AMISOM à prendre des mesures pour empêcher les exactions et les actes d'exploitation sexuelle et pour enquêter sur les allégations concernant ce genre d'abus. En juillet, le Groupe de contrôle du Conseil de sécurité pour la Somalie et l'Érythrée a indiqué que les accusations d'exploitation et d'abus sexuels contre l'AMISOM étaient fréquentes mais que la mission ne disposait pas des moyens et procédures nécessaires pour y répondre de manière systématique.

« Ce n'est pas avec des démentis catégoriques que les autorités somaliennes et les forces de l'Union africaine parviendront à faire disparaître les accusations de violences sexuelles », a affirmé Liesl Gerntholtz. « Les pays fournisseurs de troupes devraient créer immédiatement des mécanismes clairs et transparents permettant d'enquêter rapidement et de manière impartiale sur ce genre d'allégations et, quand il y a lieu, de faire rendre des comptes aux responsables ».

Bien que des responsables gouvernementaux somaliens de haut rang, dont le Premier ministre et le président, aient promis à plusieurs reprises de s'occuper du problème de la violence sexuelle, le comportement des forces gouvernementales a ébranlé ces engagements. En janvier, une femme déplacée à l'intérieur des frontières qui avait affirmé avoir été violée par des militaires du gouvernement et un journaliste qui l'avait interrogée ont été poursuivis en justice dans le cadre d'un processus judiciaire profondément défectueux et politisé.

« La Somalie déployer de sérieux efforts pour améliorer les capacités des organismes chargés de faire appliquer la loi à enquêter efficacement et à poursuivre les auteurs d'agressions sexuelles, sans quoi ces affaires continueront d'être négligées et mal gérées », a conclu Liesl Gerntholtz. « Cette affaire démontre qu'il est plus important que jamais pour le gouvernement, avec l'appui des pays bailleurs de fonds, de mettre en place une stratégie nationale globale pour empêcher les violences sexuelles et porter assistance aux victimes. »

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