Skip to main content

France : Un attentat contre la liberté d'expression

La réplique aux assassinats commis au siège de Charlie Hebdo devrait être respectueuse des droits humains

(Paris) – Les autorités françaises devraient traduire en justice les responsables de l'horrible attentat perpétré le 7 janvier 2015 au siège de Charlie Hebdo, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les autorités devraient aussi prendre les précautions nécessaires pour éviter que cet attentat ne suscite des réactions violentes contre les musulmans français, et s'assurer que leur propre réponse soit respectueuse des droits humains.

L'attentat, perpétré à Paris lors de la conférence de rédaction hebdomadaire du journal satirique, a fait 12 morts, dont deux policiers. Une douzaine d'autres personnes ont été blessées, dont quatre très grièvement. Il s'agit de l'attentat le plus meurtrier en France depuis 1961.

« Ce crime abominable est une tentative de limiter la liberté d'expression, et constitue une attaque contre les personnes qui usent de cette liberté », a déclaré Izza Leghtas, chercheuse sur l'Europe occidentale à Human Rights Watch. « La réaction devrait consister à traduire en justice les responsables de ce crime dans le cadre d'un procès équitable et à protéger les médias contre d’autres violences, ainsi que les musulmans contre des représailles. » 

Les autorités ont identifié deux frères, Saïd et Chérif Kouachi, comme étant les principaux suspects. Une opération policière de grande envergure a été lancée pour les retrouver. Au matin du 8 janvier, dans le sud de Paris, un homme a abattu un autre agent de police, une femme qui depuis a succombé à ses blessures. Bernard Cazeneuve, le ministre français de l'Intérieur, a indiqué que ce dernier incident ne semblait pas lié à l'attentat contre Charlie Hebdo.

Charlie Hebdo a acquis une certaine célébrité pour ses dessins controversés représentant le prophète Mohammed, et pour avoir reproduit des caricatures désobligeantes au sujet du prophète précédemment publiées par le journal danois Jyllands-Posten, en 2006. Les locaux de Charlie Hebdo avaient subi un premier attentat à la bombe incendiaire en 2011, et les membres de son personnel avaient reçu de multiples menaces. Un agent de police avait été affecté à la protection du rédacteur en chef, Stéphane Charbonnier. Tous deux ont été tués dans l'attentat du 7 janvier.

Rien ne peut justifier l'horrible attentat perpétré contre Charlie Hebdo et les agents de police, a affirmé Human Rights Watch. Un élément clé du droit à la liberté d'expression, selon le droit international en matière de droits humains, est le droit d'exprimer des opinions qui offensent, choquent ou dérangent. Les autorités françaises devraient continuer de soutenir et de promouvoir cette liberté, comme devraient le faire tous les autres gouvernements dans le monde, y compris en assurant la sécurité nécessaire aux journalistes pour qu'ils puissent faire leur travail.

Des images vidéo de l'attentat montrent deux hommes armés quittant la scène de l'attentat en criant « Allahu Akbar » (« Dieu est grand » en arabe) et « On a vengé le prophète Mohammed »). Le Conseil français du culte musulman a condamné l'attentat, de même que le président de la Conférence des imams de France.

Il est essentiel que les autorités françaises agissent pour empêcher toute mesure de représailles à l'encontre des musulmans ou d'autres groupes, a déclaré Human Rights Watch. Plusieurs mosquées en France ont été visées par des attaques depuis l'attentat contre Charlie Hebdo. Bernard Cazeneuve a dûment condamné ces attaques. Trois grenades ont été lancées dans une mosquée de la ville du Mans dans la nuit du 7 janvier, dont une a explosé sans faire de victime. Des coups de feu ont été tirés contre une salle de prière musulmane, qui était alors vide, le même soir à Port-la-Nouvelle, dans le sud de la France, selon des informations de presse. Une explosion a endommagé la façade d'un restaurant de kebab situé à proximité d'une mosquée à Villefranche-sur-Saône au matin du 8 janvier, sans faire de victimes. Après l'atroce assassinat d'un militaire britannique, Lee Rigby, à Woolwich, dans le sud de Londres, en mai 2013, le nombre des attaques contre des musulmans avait grimpé en flèche dans tout le Royaume-Uni.

Le Premier ministre français, Manuel Valls, a mis en garde à juste titre contre la haine, l'intolérance et les amalgames qui pourraient être faits à la suite de cet attentat. Les autorités françaises devraient s'assurer que les musulmans ou d'autres groupes ne soient pas la cible de représailles, et enquêter sur de tels incidents s'ils se produisent. Les autorités devraient évaluer les risques sécuritaires aux abords des mosquées, des salles de prière musulmanes et d'autres lieux vulnérables à de telles attaques sur le territoire français, et y renforcer la sécurité si nécessaire.

Les autorités françaises devraient continuer de rechercher les responsables de l'attentat et les faire répondre de leurs actes devant la justice, mais elles ne devraient pas invoquer cet attentat pour adopter, au nom de la lutte antiterroriste, de nouvelles mesures qui affaibliraient les droits humains.

Le gouvernement français a déjà de très larges pouvoirs dans ce domaine. En novembre 2014, le parlement a adopté une nouvelle loi antiterroriste qui élargit encore davantage ces pouvoirs, sans les assortir de suffisamment de garanties contre les abus.

La nouvelle loi permet aux autorités d'interdire aux citoyens français de quitter le pays s'ils sont soupçonnés de se rendre à l'étranger pour participer à des activités terroristes, ou de poser une menace pour la sécurité du public à leur retour d'une région où opèrent des groupes terroristes. Cette loi a également introduit dans le code pénal le nouveau concept d'« entreprise terroriste individuelle », une infraction définie de manière vague qui pourrait amener des personnes à être accusées de ce crime pour des comportements qui ne sont pas clairement décrits dans la loi comme étant illégaux.

Des recherches effectuées par Human Rights Watch ont permis de conclure que l'infraction pré-existante et, elle aussi, définie de manière large, d'« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », a conduit à des inculpations et à des condamnations sur la base d'éléments de preuve faibles et indirects.

La nouvelle loi française s'inscrit dans le cadre d'une réponse politique européenne globale à la crainte que des citoyens de pays européens pourraient se rendre en Irak ou en Syrie afin de rejoindre le groupe extrémiste État islamique (également dénommé EIIL) ou d'autres groupes, puis retourner en Europe pour y commettre des attentats. Un projet de loi antiterroriste actuellement à l'étude au parlement britannique comporte des mesures nouvelles visant à restreindre le nombre de ces prétendus combattants étrangers, qui pourrait violer les garanties des droits à la liberté de déplacement, à une vie de famille et à la liberté d'expression. L'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège appliquent actuellement ou envisagent d'adopter des politiques visant à priver de leur citoyenneté certaines personnes ou à restreindre les possibilités de déplacement de certains de leurs citoyens.

Manuel Valls a confirmé que plusieurs arrestations avaient été effectuées en relation avec l'attentat contre Charlie Hebdo. Alors que les motifs pour lesquels ces arrestations ont été faites ne sont pas encore clairs, les autorités françaises devraient s'assurer que les droits de toutes les personnes arrêtées soient pleinement respectés, et que quiconque est accusé d'avoir commis un crime bénéficie de la totalité de ses droits à une procédure équitable.

« En cette période de choc et de deuil, la France devrait donner un exemple de tolérance et garantir les libertés qu'elle promeut », a déclaré Izza Leghtas. « Pas davantage que la liberté d'expression, les autres droits humains ne devraient être affaiblis par cet attentat. »

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.