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Banque mondiale : Il faut remédier aux failles dans les politiques de réinstallation

Le plan d’action devrait identifier les personnes déplacées et leur apporter réparation

(Washington) – Le plan d’action de la Banque mondiale répondant à un examen interne sur les pratiques de la Banque en matière de réinstallation ne comble pas les graves lacunes constatées par cet examen, ont déclaré aujourd’hui 85 organisations non gouvernementales et experts indépendants de 37 pays, dans une lettre adressée au président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim.

Le 4 mars 2015, la Banque mondiale a finalement publié les deux premières parties de son Analyse du portefeuille de réinstallation involontaire (Involuntary Resettlement Portfolio Review), achevées en mai 2012 et juin 2014, ainsi qu’un plan d’action. L’analyse a conclu que « des lacunes importantes en matière d'informations indiquent des lacunes potentielles importantes dans le système de la Banque dans la gestion de la réinstallation » et que cela avait particulièrement affecté les personnes les plus marginalisées, notamment les peuples autochtones et les femmes. Kim a reconnu que les conclusions de cet examen provoquaient une profonde inquiétude, et il a proposé un  plan d’action pour y répondre.

« L’examen effectué par la Banque mondiale au sujet des politiques en matière de réinstallation a révélé de graves lacunes », a déclaré Jessica Evans, chercheuse senior sur les institutions financières internationales à Human Rights Watch. « Les communautés contraintes de laisser le champ libre aux projets financés par la Banque ont subi de graves préjudices, mais un plan pour identifier les personnes affectées et pour rectifier les choses est totalement absent de la réponse de la Banque. »

La Banque mondiale tiendra ses réunions de printemps annuelles à Washington, du 17 au 19 avril. Les ministres des Finances et du Développement se réuniront afin de discuter des plans d’actions de la Banque pour atteindre ses deux objectifs qui sont d’éradiquer la pauvreté extrême d’ici 2030 et de favoriser une prospérité partagée. Les ministres devraient insister auprès de Kim pour qu’il consulte les experts publics et externes sur son plan d’action et pour qu’il élabore une réponse globale à l’examen interne réalisé, assortie d’un échéancier.

Pendant plus de deux ans, la Banque a omis de rendre publique la première phase de l’examen, et la deuxième phase pendant huit mois. Le retard dans la publication de ces rapports a été particulièrement problématique, du fait qu’elle n’est survenue qu’après la clôture de la période de consultation pour le nouveau cadre de travail environnemental et social (Environmental and Social Framework) proposé par la Banque. Les conclusions de l’analyse auraient eu une incidence majeure sur les consultations si elles avaient été publiées une fois terminées, ont expliqué les organisations signataires de la lettre. Le plan d’action de la Banque s’appuie principalement sur le nouveau cadre de travail proposé, qui présente lui-même de nombreuses lacunes liées aux conclusions de l’analyse, notamment des faiblesses dans les exigences de diligence raisonnable, de suivi et évaluation de la Banque, et un report général de la responsabilité aux emprunteurs pour ce qui est de la gestion de la réinstallation.

L’analyse a révélé une augmentation rapide au cours des vingt dernières années du nombre de projets de la Banque mondiale ayant exigé une réinstallation – de 8 pour cent du portefeuille de projets en 1993 à 29 pour cent en 2009, et 41 pour cent des nouveaux projets en cours. La Banque dispose d’une politique de réinstallation visant à indemniser et à réhabiliter les ménages et les communautés déplacés par ses projets. Toutefois, dans la plupart des cas, la Banque a omis de s’enquérir de ce qu’il était advenu des personnes ayant perdu leurs logements, leurs terres et leurs moyens de subsistance, sans parler de garantir que leur situation ne se soit pas aggravée, comme le promettent les propres politiques de la Banque.

Des audits antérieurs sur les pratiques de réinstallation de la Banque ont été en mesure d’estimer le nombre de personnes affectées : 750 000 dans l’analyse de 1985 et 2,5 millions dans l’analyse de 1993. Mais l’analyse de 2014 n’a même pas été en mesure d’estimer ce nombre car seuls 204 projets actifs sur 747 fournissaient cette information. Pour ces 204 projets, environ 3 millions de personnes étaient affectées. Mais il n’existe pas de chiffres globaux.

Une minorité de projets a bénéficié d’une organisation de la réinstallation, selon l’analyse menée. Toutefois, les informations ont été insuffisantes dans plus de la moitié de ces cas pour déterminer si les moyens de subsistance et les revenus des personnes affectées avaient été rétablis aux niveaux antérieurs à leur déplacement, ce qui constitue une exigence centrale de la politique de réinstallation. L’analyse interne a également révélé que dans près de la moitié des cas étudiés, il n’y avait pas de preuve d’un mécanisme opérationnel permettant de traiter les plaintes des personnes affectées – ce qui est une autre exigence de base de la politique de réinstallation.

« Ces audits révèlent une culture d’ignorance systématique à l’égard des politiques de la Banque mondiale de la part du personnel et des responsables, qui pourrait bien avoir appauvri des millions de personnes », a déclaré David Pred, directeur général de Inclusive Development International. « Il faut rendre des comptes pour ces graves négligences. »

Le plan d’action de la Banque devrait comporter, comme un élément central, un processus permettant d’identifier et de dédommager les individus et les communautés dont la situation s’est aggravée suite aux projets de la Banque mondiale, ont insisté les organisations signataires de la lettre.

La Banque devrait préparer une série de nouveaux projets subventionnés apportant de véritables opportunités de développement durable aux ménages déplacés, selon les organisations.

« Le double objectif de la Banque mondiale ne peut être atteint alors que ses propres pratiques en matière de réinstallation appauvrissent les communautés », a conclu Kate Geary, spécialiste à Oxfam sur la politique des droits fonciers. « Maintenant que la Banque a finalement rendu publique sa propre évaluation de ses failles dans les politiques de réinstallation, elle doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour réparer les dommages causés. »

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