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Sri Lanka : Le recours à la torture par la police a un effet dévastateur sur des familles

Les victimes perdent des années en efforts inutiles pour obtenir justice

(Colombo, le 23 octobre 2015) – Les forces de police du Sri Lanka se livrent régulièrement à des actes de torture et à d'autres mauvais traitements à l’encontre de détenus soupçonnées de crimes, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd'hui. Les autorités devraient créer un organe indépendant de supervision et adopter des mesures concrètes pour mettre fin à ces exactions policières qui ont des effets dévastateurs sur l’ensemble de la société sri-lankaise.

« La police sri-lankaise considère le recours à la torture comme un moyen ordinaire d'obtenir des aveux », a déclaré Brad Adams, directeur de la division Asie à Human Rights Watch. « Elle recourt régulièrement et en toute impunité à la torture, en prétendant faussement ‘résoudre’ des affaires qui en réalité ne sont pas résolues. »

Ce rapport de 59 pages, intitulé « ‘We Live in Constant Fear’: Lack of Accountability for Police Abuse in Sri Lanka » (« ‘Nous vivons constamment dans la peur’: Impunité pour les abus commis par la police au Sri Lanka »), documente les diverses méthodes de torture utilisées par la police sri-lankaise contre des personnes soupçonnées de crimes, y compris de violents passages à tabac, des électrochocs, des suspensions par des cordes dans des positions douloureuses et des frictions des organes génitaux et des yeux avec de la pâte de piment. Les victimes de tortures et leurs familles peuvent parfois passer des années à chercher à obtenir justice et indemnités, sans grand espoir de succès.

Human Rights Watch a effectué des recherches dans l'agglomération de Colombo, la capitale, et dans d'autres régions du Sri Lanka, en 2014 et 2015. De précédents rapports de Human Rights Watch étaient axés sur les abus commis pendant la guerre civile, notamment sur les tortures infligées à des civils membres de la minorité tamoule. Ce rapport documente à quel point la torture et les violations des droits humains de la part de la police sont entrées dans les mœurs et sont désastreuses également pour la majorité cinghalaise de la population.

Les constatations faites par Human Rights Watch sont cohérentes avec celles des organisations nationales de défense des droits humains, qui s'efforcent depuis longtemps de documenter l'usage de la torture dans les postes de police et dans les prisons du Sri Lanka.

Par exemple, Gayan Rasanga est décédé lors de sa garde à vue dans les locaux de la police en 2011, après avoir été arrêté sur une présomption de vol. La mère de Rasanga a déclaré que lorsqu'elle est allée à la morgue, elle a vu que le corps de son fils portait « des marques sombres sur les chevilles. Les plantes de ses pieds semblaient avoir été brûlées. Il avait des ecchymoses sur les hanches et son nez était cassé et ensanglanté. »

« A.J. », qui a lui aussi été arrêté sur une présomption de vol en mars 2015, a affirmé que les policiers l'avaient passé à tabac pour le forcer à avouer: « En l'espace d'une minute, j'ai senti ma peau qui pelait, qui se craquelait. Je hurlais de douleur. Il répétait qu'il savait que c'était le moyen de me faire dire la vérité. »

La longue habitude des violations des procédures régulières par la police à l'égard des personnes soupçonnées de crimes a contribué à l'usage de la torture, en dépit de promesses de réformes faites par plusieurs gouvernements successifs au Sri Lanka. Souvent, les suspects ne sont pas informés des raisons de leur arrestation. Parfois, la police fabrique de toutes pièces des chefs d'accusation pour justifier a posteriori l'arrestation et le recours ultérieur à des méthodes abusives d'interrogatoire. Souvent, les suspects ne sont pas présentés à un magistrat dans les 24 heures suivant leur interpellation comme l'exige la loi sri-lankaise. Les membres de la famille ne sont habituellement pas informés d'une arrestation, ni autorisés à rendre visite à leur proche détenu. Les suspects n'ont parfois aucun accès ou un accès limité à des avocats, et les mécanismes de protection tels que les examens médicaux sont incertains ou ne sont pas respectés de manière rigoureuse.

« L'un des aspects les plus tristes de ces affaires est que, si le Sri Lanka dispose de lois d'assez bonne qualité pour protéger les citoyens contre de tels abus, ces lois semblent être considérées comme de simples suggestions et pas comme des textes contraignants concernant les procédures policières », a affirmé Brad Adams. « Les arrestations arbitraires et les autres mauvais traitements de la part de la police finissent par contribuer à l'utilisation de la torture. Le rôle de la police est de protéger et faire respecter les droits, pas d'être le porte-flambeau de leur démantèlement. »

Même dans les cas où les victimes ou leurs familles ont été en mesure de porter plainte devant les tribunaux ou d'autres mécanismes, elles n'ont eu qu'une chance infime d'obtenir justice et que leurs tortionnaires soient amenés à rendre des comptes. Les victimes peuvent déposer plainte contre la police pour abus auprès des tribunaux locaux, mais les avocats et les militants des droits humains affirment qu'il y a d'importants obstacles à l'obtention de la justice par ce procédé, en particulier dans les zones rurales où la police se livre à des manœuvres d'intimidation et profère des menaces à l'encontre des victimes. En plus des frais de tribunal, la procédure exige des comparutions régulières au tribunal qui entraînent des frais d'avocat pour chaque apparition, et elle dure habituellement des années avant que le dossier ne soit traité de manière appropriée, s'il l'est jamais. Des avocats et des militants des droits humains qui font du plaidoyer en faveur des victimes ont indiqué à Human Rights Watch que les policiers se voient généralement accorder une liberté d'action quasi discrétionnaire par leurs supérieurs, par le bureau du procureur et par les tribunaux.

Le nouveau gouvernement sri-lankais est entré en fonction début 2015 sur la promesse d'effectuer un large éventail de réformes. Afin de réduire les pratiques documentées dans le rapport, le gouvernement sri-lankais devrait, au minimum, mettre en œuvre les réformes suivantes:

  • Émettre des directives publiques affirmant clairement que la torture et les autres formes de violations des droits humains par la police ne seront pas tolérées;

  • Créer un organe indépendant de supervision de la police chargé de mener des enquêtes sur les allégations d'exactions policières, dont les résultats seraient transmis au bureau du procureur général afin que des poursuites soient engagées selon qu'il conviendrait. Cet organe devrait être logé totalement en dehors du département de la police, être responsable devant le ministère de la Justice, disposer de toute l'autorité nécessaire pour mener des enquêtes, y compris de son propre chef, et être habilité à envoyer des injonctions à témoigner à des membres de la police et à d'autres témoins, ainsi qu'à consulter les archives de la police;

  • Créer un office indépendant au sein du bureau du procureur général, spécifiquement chargé d'enquêter sur les affaires d'exactions policières et de poursuivre leurs auteurs en justice, y compris par suite de recommandations provenant de l'organe indépendant de supervision de la police;

  • Amender les règlementations et les manuels de la police pour les mettre en conformité avec les Principes des Nations Unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions; avec le Code de conduite de l'ONU pour les responsables de l'application des lois; et avec les Principes de base de l'ONU sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois;

  • S'assurer que les magistrats se conforment pleinement à leur obligation de vérifier si un détenu présenté devant le tribunal a subi des tortures ou d'autres mauvais traitements, et d'ordonner qu'il soit procédé à des examens médicaux confidentiels requis par la loi; et

  • Mettre pleinement en œuvre la Convention contre la torture, en conformité avec les obligations internationales du Sri Lanka, et ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture.


« Les forces de police sri-lankaises devraient immédiatement mettre fin à la pratique barbare de la torture, respecter l'État de droit et se comporter de manière à gagner la confiance des communautés qu’elles sont censées protéger », a conclu Brad Adams. « Ceci ne pourra être réalisé que si des mesures strictes sont prises contre les abus, en assurant que justice soit rendue aux victimes et en punissant les auteurs d'abus – pas seulement en les mutant ou en les suspendant, mais en engageant contre eux des poursuites en justice transparentes et impartiales. »
 

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