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(Athènes) – Les autorités grecques, en coordination avec l'Union européenne, placent automatiquement en détention les demandeurs d'asile et les migrants qui arrivent sur les îles de Lesbos et de Chios, et ce dans des conditions déplorables, a affirmé aujourd'hui Human Rights Watch. Le placement en détention de près de 4 000 personnes a placé dans une situation particulièrement critique les personnes les plus vulnérables, comme les enfants, les femmes enceintes, et les personnes porteuse de handicaps. 

Deux jeunes filles migrantes regardent une forêt jouxtant le centre de détention de VIAL, sur l’île grecque de Chios, à travers le grillage du centre, en avril 2016. © 2016 Human Rights Watch


La détention généralisée de tous les demandeurs d'asiles et migrants dans des centres fermés ne se justifie pas, compte tenu de l'existence d'autres options moins restrictives, et s'apparente ainsi à de la détention arbitraire. Les deux centres fermés devraient être reconvertis en camps disposant des services et de la sécurité nécessaires à des personnes qui fuient la guerre, les persécutions, et les violations des droits humains.

« La politique que l'UE mène en Grèce conduit à l'enfermement de familles et d'autres personnes qui ont fui l'horreur, comme la terreur semée par l'État islamique, la menace des talibans, ou les bombes-barils du gouvernement syrien », a affirmé Eva Cossé, spécialiste de la Grèce chez Human Rights Watch. « Quand il existe des alternatives à la détention, comme c'est le cas sur les îles grecques, placer les demandeurs d'asile et les migrants en détention ne se justifie ni sur le plan juridique, ni sur le plan moral. »

Lors de visites à Lesbos et à Chios du 3 au 9 avril 2016, Human Rights Watch a constaté que dans les camps gardés par la police sur chacune de ces îles se trouvait tout un éventail de personnes présentant des besoins spécifiques, parmi lesquelles des femmes avec de jeunes enfants, des femmes enceintes, des mineurs non-accompagnés, des hommes et des femmes âgés, et des personnes porteuses de handicaps physiques et psychosociaux. Aucun de ces détenus ne disposait d'un accès convenable à des soins de santé, à des installations sanitaires ou à une aide juridique.

Ces deux camps ont initialement ouverts sous la forme de centres ouverts d'accueil et d'enregistrement destiné aux centaines de milliers de personnes arrivées sur les îles depuis début 2015. Ils ont cependant été brutalement convertis en camps semblables à des prisons le 20 mars 2016, lors de l'entrée en vigueur d'un accord particulièrement problématique entre l'EU et la Turquie. Les demandeurs d'asile et les migrants qui sont arrivés depuis ont été placés en détention par les autorités grecques avec l'aide de l'agence des frontières de l'UE, Frontex, et on leur a interdit de quitter ces camps.

Le centre de Moria, à Lesbos, compte environ 3 100 personnes et est entouré d'une clôture de triple épaisseur surmontée par du fil barbelé. Au centre de VIAL (une ancienne usine d'aluminium) à Chios, les 1000 détenus environ n'ont le droit de se déplacer que dans une zone limitée équipée de containers habitables, et entourée d'une clôture avec du fil barbelé.

Quand ils étaient encore ouverts, les centres de Moria et de VIAL ont bénéficié des services de diverses organisations humanitaires et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, mais la plupart de ces dernières (dont le HCR) ont suspendu leurs opérations après le 20 mars, conformément à leur politique de ne pas fournir ce type de services à des centres fermés.

La situation dans les centres de Moria et de VIAL s'est détériorée rapidement, en raison de la peur, des frustrations, de la surpopulation, et de l'absence de services. Les tensions au centre de VIAL ont culminé le 1er avril quand des affrontements violents ont éclaté entre détenus syriens et afghans. Environ 400 personnes se sont évadées du centre de détention et se trouvent désormais dans l'un des deux camps ouverts de la ville de Chios.

La nouvelle politique de détention de la Grèce a suivi l'accord conclu par l'UE et la Turquie à la mi-mars. Le 2 avril, le parlement grec a adopté en hâte une loi autorisant la « restriction des déplacements » généralisée pour les nouveaux arrivants, dans des centres fermés aux points d'entrée frontaliers (comme les îles), et ce jusqu'à 25 jours après l'accueil et l'identification de ces arrivants. La loi prévoit que les demandeurs d'asile puissent être détenus jusqu'à trois mois, pendant que leur demande est examinée.

Les personnes susceptibles d'être déportées, y compris pour être renvoyées en Turquie, peuvent être détenues jusqu'à 18 mois. La loi a abaissé la durée maximum de détention autorisée pour les demandeurs d'asile en Grèce, mais prévoit également une procédure accélérée pour examiner les demandes de protection internationale sous 15 jours, appel compris. Cette procédure accélérée n'a pas encore été mise en œuvre, mais une fois en place, a souligné Human Rights Watch, elle entravera l'exercice effectif de leurs droits par les demandeurs d'asile.

Beaucoup, si ce n'est la majorité des personnes actuellement détenus à VIAL ont exprimé le souhait de demander l'asile en Grèce, mais le système est débordé et le soutien promis par l'UE tarde à arriver, selon Human Rights Watch. De la même façon, au 12 avril toutes les personnes détenues à Moria avaient déposé une demande d'asile, sauf 15, selon la police grecque.

L'un des objectifs clés de l'accord UE-Turquie est de refuser presque toutes les demandes d'asile, au motif que la Turquie est un pays sûr pour les réfugiés et les demandeurs d'asile, et de permettre des déportations rapides pour les y renvoyer. La Turquie ne peut pas être considérée comme un pays sûr, compte-tenu de son refus d'accorder une protection effective aux non-Européens qui en ont besoin, et notamment les Afghans et les Irakiens, comme l'a répété Human Rights Watch à de nombreuses reprises. La Turquie a également repoussé régulièrement des Syriens vers la zone de conflit, et a fermé ses frontières à d'autres qui tentaient de fuir.

L'accord UE-Turquie est fondamentalement problématique, et devrait être abrogé, a affirmé Human Rights Watch. Toutes les demandes d'asile soumises par des personnes en Grèce devraient être examinées individuellement selon leur mérite, et les autres pays de l'UE devraient aider la Grèce et les demandeurs d'asile qui s'y trouvent en remplissant immédiatement leurs engagements en faveur de la réinstallation de dizaines de milliers de demandeurs d'asile de Grèce. L'UE et les autorités grecques, en coopération avec les agences des Nations Unies, devraient offrir une alternative en termes d'accueil à tous les demandeurs d'asile, et limiter le recours à leur placement en détention aux seules circonstances exceptionnelles.

« La situation pour les demandeurs d'asile désespérés se trouvant actuellement en Grèce est perverse », a conclu Eva Cossé. « Des gens qui ont fui le danger sont détenus dans des conditions inacceptables, en attendant un renvoi probable vers la Turquie où ils ne seront pas en sécurité, ou de croupir dans le système d'asile complètement dysfonctionnel qu'applique la Grèce. »

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Informations complémentaires sur les centres ainsi que sur les droits des demandeurs d'asile

Des services inadaptés et des protections insuffisantes

Au cours de visites sans restrictions au centre fermé de VIAL à Chios, les 7 et 8 avril, Human Rights Watch a interviewé 21 personnes, dont 15 présentant des besoins spécifiques relatifs à leur santé ou à d'autres problèmes. Les déplacements étaient limités au sein du camp, les personnes étant enfermées dans l'une des deux sections du camp, comportant chacune des containers d'hébergement, des douches et des toilettes basiques, et très peu d'espace extérieur.

Les autorités n'avaient rien prévu pour séparer les enfants des adultes non apparentés ou pour répondre aux enjeux de protection des femmes. Au moins trois mineurs non-accompagnés étaient détenus dans le centre, tous dans la même zone que les adultes.

Les détenus ont témoigné avoir un accès limité à l'eau courante, pas d'eau chaude, et des conditions d'hygiène précaires. « C'est tellement dur ici, » a déclaré une mère célibataire venue d'Afghanistan avec son fils de 5 ans. « Vous êtes dans une prison. La nourriture n'est pas comestible, et chaque jour pendant la moitié de la journée, il n'y a pas d'eau courante. Ce n'est pas propre, et on ne sait pas quels genres de maladies traînent ici. Nous n'avons commis aucun crime pour nous retrouver dans cette prison. »

Les douches et les toilettes de femmes sont séparées de celles de hommes, mais il n'y a pas de verrou pour garantir leur intimité, et certaines femmes ont déclaré craindre pour leur sécurité. « Quand quelqu'un va prendre une douche, quelqu'un [d'autre] doit rester devant pour tenir le rideau et s'assurer que personne ne rentre, » a affirmé une jeune femme afghane de 24 ans. « Je n'y vais jamais seule. »

Il n'y a pas de douches accessibles aux personnes en fauteuil roulant au centre de VIAL, et seulement un WC accessible aux personnes handicapées dans chaque section du camp

Les personnes qui y sont détenues ont critiqué la qualité nutritionnelle des repas, en particulier pour les enfants. « Ils ne nous donnent pas de lait tous les jours, » a raconté une mère afghane de 32 ans. « J'ai cinq enfants et deux d'entre eux sont déjà tombés malades. C'est très difficile de prendre soin d'eux dans une situation comme celle-ci. »

Au 9 avril, seul des soins de santé rudimentaires étaient assuré à VIAL par la Croix Rouge hellénique et l'armée. Le personnel médical, y compris féminin, n'était disponible qu'à des horaires restreints et sans aucun service de nuit, même si quelques personnes gravement malades ont été transférées à l'hôpital local. Un travailleur social de VIAL a dit à Human Rights Watch qu'on attendait des médecins supplémentaires dans les jours qui viennent.

Un couple âgé de Khanaqin, en Irak, a déclaré ne pas avoir accès aux traitements médicaux dont ils avaient besoin. « Mon mari a une maladie cardiaque et la maladie d'Alzheimer, » a déclaré la femme. « Tous ses comprimés sont tombés à la mer. »

Human Rights Watch a rencontré Afghane de 45 ans, ancienne professeure qui a fuit les Talibans, blottie dans un coin de son container. Son neveu a expliqué qu'elle souffrait de graves problèmes mentaux et nous a montré un document de la Croix Rouge espagnole attestant qu'elle était atteinte d'une grave dépression et d'un trouble d'adaptation, affection généralement déclenchée par un événement ayant provoqué un stress intense. Un médecin a recommandé comme traitement toute une gamme d'anti-dépresseurs et d'anti-psychotiques, mais son neveu a affirmé qu'il n'avait pas réussi à obtenir de médicaments ou d'autres soins de santé mentale.

La situation est apparemment similaire au camp de Moria à Lesbos, un centre dans lequel sont détenues environ 3 100 personnes (soit environ 1 000 de plus que sa capacité). Le gouvernement grec n'a pas autorisé Human Rights Watch à accéder au centre.

Un détenu interviewé au travers de la clôture a déclaré qu'il avait la chance de dormir sous une tente. « C'est parce que je suis arrivé il y a deux semaines, » a-t-il dit. « Tous ceux qui arrivent maintenant dorment dehors, et les toilettes sont vraiment sales. Quand on y entre, on ne peut même pas respirer. La nourriture est dégoûtante et l'eau est sale. Mon ami et moi avons tous les deux des problèmes de peau depuis que nous nous lavons avec cette eau et que nous la buvons. »

Un autre détenu rencontré à la clôture, un garçon de 17 ans venu seul de Syrie, a montré à Human Rights Watch une éruption cutanée qu'il dit avoir développée à cause de l'eau.

Une équipe d’Amnesty International, qui a visité Moria le 5 avril, a rapporté que dans ce centre surpeuplé se trouvaient des personnes porteuses de handicaps, des femmes enceintes, et un nombre important d'enfants, y compris un bébé présentant des problèmes de santé suite à une attaque subie en Syrie. Seuls trois médecins étaient disponibles régulièrement pour apporter des soins médicaux, selon Amnesty International.

La police grecque a affirmé qu'au cours de la semaine dernières, les autorités de Moria ont transféré environ 700 personnes vulnérables vers des camps ouverts sur l'île. Pour réduire la surpopulation à VIAL, les autorités ont transféré 243 personnes le 7 avril vers un centre fermé à Leros, une autre île grecque du sud de la mer Egée. Dans le même temps, 170 personnes par jour en moyenne continuent à arriver sur les îles grecques, et sont automatiquement placées en détention.

Détention arbitraire, examen insuffisant des demandes

Aux termes du droit grec et international, tous les détenus, y compris les migrants illégaux et les demandeurs d'asile, doivent être informés dans une langue qu'ils comprennent des raisons de leur détention et de leurs droits, y compris le droit à contester cette détention et à une assistance juridique. En dépit de cela, aucune des personnes interviewées par Human Rights Watch ne s'était vue remettre d'ordre de placement en détention, ni n'avait été informée des motifs de celle-ci.

Les détenus de Chios ne savaient pas qu'ils pouvaient contester leur détention, et n'avait pas d'accès effectif à des avocats. Au 9 avril, il y avait trop peu d'interprètes disponibles dans le camp pour les nombreuses langues parlées par les gens qui s'y trouvaient, et notamment l'arabe, le kurde et le farsi. Il n'y a qu'une femme interprète, pour l'arabe.

« Je demande tous les jours pourquoi je suis détenue, mais je n'ai pas de réponse à ma question, » a témoigné une Afghane de 24 ans, qui a demandé l'asile en Grèce pendant sa détention au centre de VIAL.

À Chios, un unique fonctionnaire des services grecs de l'asile examine les demandes. Au 8 avril, il avait traité 9 des 1 206 dossiers déposés par les gens qui avait exprimé le souhait de demander l'asile en Grèce. Trois autres fonctionnaires doivent arriver fin mai. Le manque d'interprètes impose le recours à des services d'interprétation par téléphone, depuis Athènes.

Cinq agents du Bureau européen d'appui en matière d'asile (European Asylum Support Office - EASO) doivent arriver à Chios le 18 avril. Leur rôle, dans le cadre de l'accord UE-Turquie, sera de réaliser des examens préliminaires pour déterminer si les demandes d'asile ne sont pas recevables, au motif que les personnes ont pu ou auraient pu demander une protection en Turquie. 

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