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(Amman) – La Jordanie devrait s’attaquer aux politiques limitant l’accès des enfants réfugiés syriens à l’éducation pour atteindre l’objectif ambitieux d’un plus grand nombre d’enfants inscrits à l’école pour l’année scolaire 2016/2017, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Plus d’un tiers des enfants syriens en âge d’aller à l’école enregistrés auprès de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés en Jordanie – soit plus de 80 000 sur 226 000 enfants– n’étaient pas scolarisés au cours de la dernière année scolaire.

Des enfants syriens assistent à un cours dans une école du camp de réfugiés de Zaatari dans le nord de la Jordanie, le 20 octobre 2015. L’école enseignait alors aux filles syriennes le matin et aux garçons l’après-midi, mais manquait d’électricité, de chauffage, et d’eau courante.  © 2016 Bill Van Esveld/Human Rights Watch


Le rapport de 97 pages intitulé «‘We’re Afraid For Their Future’: Barriers to Education for Syrian Refugee Children in Jordan » (« "Nous craignons pour leur avenir » : Les obstacles à l’éducation des enfants réfugiés syriens en Jordanie ») décrit les efforts généreux fournis par la Jordanie pour inscrire les enfants syriens dans son système scolaire public, qui faisait déjà face à des problèmes de capacité et de qualité avant même l’arrivée des réfugiés syriens. Human Rights Watch a toutefois également fait état d’entraves à l’éducation, notamment sous la forme de critères d’enregistrement en tant que demandeur d’asile que la plupart des Syriens ne remplissent pas, de sanctions contre les réfugiés travaillant sans permis qui contribuent à la pauvreté, au travail des enfants et aux abandons scolaires, et d’interdiction pour les enfants déscolarisés depuis au moins trois ans de s’inscrire. La Jordanie a allégé certaines restrictions, mais les autorités devraient intensifier leurs efforts pour garantir à tous les enfants syriens le droit fondamental à l’éducation, a affirmé Human Rights Watch.

La Jordanie a pris des mesures difficiles remarquables pour faire intégrer les enfants réfugiés syriens dans le système scolaire, mais nombre de ceux qui ont fui l’horreur de la guerre en Syrie sont toujours privés d’éducation et du futur qu’elle offre.
Bill Van Esveld

Chercheur senior auprès de la division Droits des enfants

« La Jordanie a pris des mesures difficiles remarquables pour faire intégrer les enfants réfugiés syriens dans le système scolaire, mais nombre de ceux qui ont fui l’horreur de la guerre en Syrie sont toujours privés d’éducation et du futur qu’elle offre », a expliqué Bill Van Esveld, chercheur senior auprès de la division Droits des enfants à Human Rights Watch. « Les donateurs accordant un soutien accru doivent travailler de toute urgence avec la Jordanie pour abaisser les barrières politiques qui empêchent les enfants et les jeunes d’aller à l’école. »
 

Depuis 2011, la Jordanie a ouvert des écoles dans les camps de réfugiés et institué des « classes alternées » pour offrir plus de places aux enfants syriens. Un plan financé par des donateurs permettrait de créer davantage de places et de nouveaux programmes pour près de 75 000 enfants supplémentaires pour l’année scolaire 2016/2017.

Human Rights Watch a interrogé 105 réfugiés dans des communautés d’accueil et des camps de réfugiés, a examiné les politiques du gouvernement et les conclusions de l’ONU et d’autres groupes, a rencontré des enseignants et des administrateurs et a visité des écoles.

Sur les quelque 650 000 Syriens enregistrés en tant que demandeurs d’asile auprès de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés en Jordanie, près de 520 000 ont quitté les camps de réfugiés pour vivre dans des communautés d’accueil, d’après l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Les Syriens ont décrit les difficiles conditions de vie dans les camps, notamment des écoles sans électricité, sans eau courante, sans chauffage ou sans fenêtres. La Jordanie exige que les réfugiés syriens dans les communautés d’accueil présentent une « carte de service » émise par le ministère de l’Intérieur pour s’inscrire dans les écoles publiques. Or, les réfugiés ayant quitté les camps de manière informelle après juillet 2014, ne disposant pas d’un proche jordanien de plus de 35 ans pouvant faire office de garant, n’ont pas droit à ces cartes. Bien que le nombre de personnes dans ce cas soit inconnu, il est probable que des dizaines de milliers de personnes soient concernées.

Les cartes ne sont valides que dans le quartier où elles ont été émises, avec des délais pouvant aller jusqu’à huit mois pour se réenregistrer en cas de déménagement ; les enfants peuvent ainsi perdre jusqu’à une année d’école. Les familles doivent également présenter des certificats de naissance pour obtenir les cartes, mais les agences des Nations Unies et les groupes non gouvernementaux estiment qu’au moins 30 % des enfants syriens en Jordanie n’en ont pas.



Les réglementations jordaniennes préexistantes empêchent aussi les enfants déscolarisés depuis au moins trois ans de se réinscrire. Le programme soutenu par des bailleurs de fonds permettrait jusqu’à 25 000 de ces enfants de se réinscrire s’ils ont entre 8 et 12 ans, mais exclut les enfants plus âgés. La Jordanie a habilité un groupe à enseigner aux enfants de plus de 13 ans dans un programme également en cours d’expansion, mais il n’a atteint pour l’instant que quelques milliers d’enfants syriens.

Plus de 86 % des demandeurs d’asile syriens en Jordanie vivent dans la pauvreté, qui est l’un des principaux facteurs d’abandon scolaire, car de nombreuses familles ne peuvent pas payer les transports. Dans un cas rapporté, « Haya » et « Noor », deux sœurs âgées de 10 et 11 ans, manquent l’école deux jours par semaine pour travailler avec leur père en tant qu’ouvrières agricoles, pour aider à payer le microbus qui les emmène, elles et leurs plus jeunes frères et sœurs, à l’école.

L’aide humanitaire internationale, bien qu’essentielle à la survie des réfugiés, est souvent insuffisante et pourtant, les autorités jordaniennes arrêtent les réfugiés et les transfèrent vers les camps lorsqu’elles les surprennent à travailler sans permis, permis difficiles à obtenir. Le travail des enfants a été multiplié par quatre parmi les enfants syriens en Jordanie depuis le début du conflit en Syrie, car les enfants sont considérés comme moins exposés au risque d’être arrêtés pour du travail informel. Chaque enfant travailleur que Human Rights Watch a interrogé a expliqué travailler pendant de longues heures, dans des conditions dangereuses ou avoir vu de très jeunes enfants travailler, en violation des normes internationales du travail ainsi que le droit du travail jordanien. L’un d’eux, « Mohamad », âgé de 8 ans, vend des noix dans les rues de Mafraq, pendant sept heures par jour.

Des enfants syriens quittent l’école dans le camp de réfugiés « Emirati Jordanian » dans le nord de la Jordanie, le 21 octobre 2015. Le ministère de l’Éducation de Jordanie pourvoit les écoles des camps de réfugiés en professeurs et administrateurs.  © 2016 Bill Van Esveld/Human Rights Watch


La pression exercée sur les enfants pour travailler augmente avec l’âge. Seuls environ 5 500 des enfants syriens dont l’âge correspond au cycle secondaire, que l’on estime être d’au moins 25 000, étaient scolarisés l’année dernière. Le manque d’accès à l’éducation touche les adolescents de manière disproportionnée. La Jordanie devrait assouplir les obligations selon lesquelles les étudiants syriens doivent présenter les certificats originaux des écoles secondaires de Syrie pour s’inscrire à l’université et encourager les groupes non gouvernementaux à offrir des formations professionnelles, restreintes jusqu’à présent.

Le taux de mariages d’enfants a explosé de 12 % à au moins 32 % parmi les mariages syriens enregistrés en Jordanie depuis 2011. Les filles font face à des entraves supplémentaires à leur éducation, puisque les parents s’inquiètent pour la sécurité des jeunes filles sur la route vers l’école.

Les autorités jordaniennes ont récemment accordé aux réfugiés syriens un délai de grâce et des règles allégées, ce qui a permis de délivrer plus de 20 000 permis de travail, bien que l’on estime à près de 100 000 le nombre de Syriens inéligibles. Le Conseil de l’Europe a convenu de traiter en libre échange les produits fabriqués dans des « zones de développement » désignées, ce qui pourrait créer jusqu’à 200 000 emplois auxquels les Syriens seraient éligibles, mais cela prendra des années à porter ses fruits. Entre temps, la Jordanie devrait étendre de manière indéfinie ses règles de permis de travail assouplies et les bailleurs de fonds devraient soutenir d’autres possibilités de création de revenus.

Il existe des freins supplémentaires tels que les châtiments corporels qui sont souvent dénoncés, traitements que la Jordanie interdit mais qu’elle ne fait pas respecter correctement. En outre, l’UNICEF estime que 1 600 enfants syriens abandonnent l’école chaque année à cause du harcèlement pratiqué par d’autres enfants. Human Rights Watch a également interrogé des enseignants jordaniens qui n’avaient aucune formation et se retrouvaient face à des classes comptant jusqu’à 50 élèves, y compris certains visiblement traumatisés et nécessitant un soutien psychosocial.

Des bailleurs de fonds se sont engagés à allouer 71,5 millions de dollars américains à l’éducation en Jordanie en 2015, mais certains fonds n’ont pas été versés avant le dernier trimestre, soit trop tard pour le début de l’année scolaire en septembre. Le 26 mai 2016, cinq bailleurs de fonds ont promis le versement de 57,7 millions de dinars jordaniens (environ 81,3 millions de dollars américains) pour l’année scolaire 2016/2017. D’après la Jordanie, au 2 août 2016, les bailleurs de fonds avaient déboursé 41,7 millions de dollars américains pour des projets liés à l’éducation au profit des Jordaniens et des réfugiés syriens. Le « plan de réponse Syrie » de la Jordanie a prévu dans son budget 249,6 millions de dollars américains de coûts supplémentaires pour l’éducation en 2016. La Banque mondiale a estimé le coût annuel du conflit syrien pour la Jordanie à 2,5 milliards de dollars américains.

La Jordanie devrait établir des critères d’inscription flexibles afin que les écoles ne rejettent pas les enfants ne possédant pas de documents valides, retirer la règle des trois ans et permettre à tout enfant ne pouvant pas s’inscrire dans des programmes de « rattrapage » accrédités de passer des tests pour déterminer leur niveau. Les bailleurs de fonds devraient garantir un financement durable, adéquat et en temps voulu, notamment pour former les enseignants, aider pour les coûts liés à la scolarité tels que les transports, et prévoir un appui pour les enfants de niveau secondaire et les enfants en situation de handicap. La Jordanie et les bailleurs de fonds devraient travailler ensemble pour améliorer la qualité de l’éducation pour tous les enfants, ce qui permettrait de réduire les tensions intercommunautaires.

« Les responsables politiques jordaniens ont reconnu que c’était dans le meilleur intérêt de leur pays de veiller à ce que les enfants syriens reçoivent une éducation », a conclu Bill Van Esveld. « Une "génération perdue" d’enfants et de jeunes syriens serait un désastre qui aura des conséquences sur le long terme pour les droits humains et l’avenir de la région. »

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Dans les médias :

RTBF.be   Radio Vatican (itw Ahmed Benchemsi)

 

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