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Contribution de Human Rights Watch au sujet de la République démocratique du Congo au Comité des droits de l'enfant

Nous vous écrivons à l’approche de l’examen plénier que vous allez effectuer sur la manière dont le gouvernement de la République démocratique du Congo applique la Convention relative aux droits de l'enfant (la «Convention»). Il s'agit d'une mise à jour de notre contribution antérieure, fondée sur les événements récents. La présente communication se rapporte aux articles 6, 24, 28, 29, 35, 37, 38, 39 et 40 de la Convention et propose des thèmes et des questions que les membres du Comité pourraient vouloir soulever auprès du gouvernement.

Éducation (Articles 28, 29 et 38)

Human Rights Watch tient à féliciter la République démocratique du Congo d'avoir approuvé la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, le 28 juillet 2016. La Déclaration sur la sécurité dans les écoles propose diverses mesures de bon sens que les pays peuvent prendre pour réduire les conséquences négatives des conflits armés sur l'éducation.[1] En s'engageant à œuvrer en faveur d'écoles sûres pour tous les enfants et le personnel éducatif, la RD Congo a fait un pas en avant dans la défense du droit à l'éducation.

Un élément clé de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, ainsi que des résolutions 2143 (2014) et 2225 (2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies, est que les gouvernements prennent des mesures concrètes pour dissuader l'utilisation militaire des écoles. À cet égard, nous notons qu'au début de 2013, le ministre congolais de la Défense à l'époque, Alexandre Luba Ntambo, a émis une directive ministérielle à l’intention de l'armée congolaise : « Je vous exhorte à faire savoir à tous les membres [de l'armée congolaise] que quiconque sera reconnu coupable d'avoir commis l'un des agissements suivants sera passible de graves sanctions pénales et disciplinaires : ..., Recrutement et utilisation des enfants…, Attaques contre des écoles..., réquisition des écoles... à des fins militaires, destruction des installations   scolaires. »[2]

Il s’agit là d’un geste positif de la part du ministère de la Défense, avec la possibilité de servir d'exemple de bonne pratique à d'autres pays. Human Rights Watch n’a toutefois connaissance d’aucune législation ou doctrine militaire congolaise existante interdisant explicitement ni réglementant la pratique de l'utilisation militaire des écoles, et encore moins qui en fasse une infraction pénale, afin de mettre en œuvre les sanctions proposées par cette directive.

Les troupes congolaises qui participent aux opérations de maintien de la paix de l'ONU ont également l’obligation de ne pas utiliser les écoles dans leurs opérations.[3]

Human Rights Watch recommande au Comité de demander au gouvernement de la République démocratique du Congo :

  • Combien d'écoles, d'universités ou d'établissements scolaires ont été endommagés ou détruits à la suite d’attaques par : a) les forces de sécurité de l'État et b) des groupes armés non étatiques pendant chaque année de la période considérée et depuis lors ?
  • Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour prévenir les attaques de groupes armés non étatiques contre les écoles et les universités et pour atténuer leur impact lorsque ces attaques se produisent ?
  • Combien d'écoles, d'universités ou d'établissements d’enseignement ont-ils été occupés en totalité ou en partie par : a) les forces de sécurité gouvernementales et b) des groupes armés non étatiques au cours de chaque année de la période considérée et depuis lors ?
  • Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour veiller à ce que les attaques contre les écoles en violation du droit international humanitaire fassent l’objet d’enquêtes et que les personnes responsables soient dûment poursuivies ?
  • Quelles mesures le gouvernement met-il en place pour que les enfants déplacés par les conflits puissent accéder en toute sécurité à une éducation de qualité ?
  • L'obligation de ne pas utiliser les écoles pendant les opérations militaires est-elle comprise dans les formations de pré-déploiement des forces congolaises qui contribuent aux missions de maintien de la paix des Nations Unies ?
  • La directive ministérielle de 2013 exige-t-elle une législation de mise en œuvre ou une doctrine militaire pour appliquer les sanctions prévues en cas d’utilisation des écoles à des fins militaires ?

 

Human Rights Watch demande au Comité d'inviter le gouvernement de la République démocratique du Congo à :

  • Prendre des mesures concrètes pour prévenir l'utilisation des écoles à des fins militaires, conformément aux résolutions 2143 (2014) et 2225 (2015) du Conseil de sécurité de l'ONU, notamment en intégrant les Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l’utilisation militaire durant les conflits armés, conformément à l'engagement pris dans la Déclaration sur la sécurité dans les écoles.
  • Enquêter et engager des poursuites appropriées contre les personnes responsables d'implication dans les diverses violations du droit international qui constituent des atteintes à l'éducation, notamment lorsqu’il s’agit de responsabilité de commandement.
  • Répondre aux attaques contre les écoles en réparant rapidement les dégâts et en veillant à ce que les élèves puissent retourner en classe en toute sécurité.
  • Assurer l'éducation en cas de crise et de déplacement, et adopter des mesures spéciales pour assurer que les enfants puissent continuer leur éducation dans les zones où règne une grande insécurité, notamment en réduisant les distances jusqu’à l’école, en proposant des programmes d'apprentissage à distance et en créant des espaces d'apprentissage protecteurs pour les filles et les enseignants.

Enlèvements/Disparitions forcées (Articles 6, 35)

Le 7 juin 2016, le gouvernement a publié son rapport sur l'opération Likofi, une campagne contre la criminalité lors de laquelle la police congolaise a abattu au moins 51 jeunes hommes et garçons et en a fait disparaître par la force 33 autres, entre novembre 2013 et février 2014. Human Rights Watch a documenté la façon dont des policiers en uniforme, souvent masqués, ont tiré des kuluna, ou membres de gangs présumés, hors de chez eux pendant la nuit et les ont exécutés. Certains étaient des enfants des rues, tandis que d'autres étaient des jeunes accusés faussement par leurs voisins dans des différends non liés. Le rapport du gouvernement n’a pas reconnu l'étendue complète des abus, n’a pas fourni un total de personnes tuées pendant l'opération, ni demandé à ce que les individus les plus responsables soient traduits en justice. De plus, les identités de 421 cadavres enterrés dans une fosse commune à Maluku restent inconnues.[4] Le commandant de l'opération, le général Célestin Kanyama, est maintenant commissaire de police provincial de la police nationale à Kinshasa. En juin 2016, les autorités américaines ont imposé des sanctions à Kanyama « pour sa responsabilité ou sa complicité, ou s’être livré à, directement ou indirectement, des abus contre des femmes, des enfants ou des civils, notamment des actes de violence, des enlèvements ou des déplacements forcés en RDC, et pour être un dirigeant d’une entité qui a, ou dont les membres ont, commis de tels actes. »[5]

Human Rights Watch recommande au Comité de demander au gouvernement de la République démocratique du Congo :

  • Quelles mesures ont été prises pour mener des enquêtes et des poursuites contre les personnes les plus responsables des exécutions sommaires et des disparitions forcées au cours de l'opération Likofi et, si aucune mesure n'a été prise, pourquoi ?
  • Quelles mesures ont été prises pour protéger les enfants des rues, ainsi que les autres enfants et jeunes adultes vulnérables ?

 

Human Rights Watch demande au Comité d'inviter le gouvernement de la République démocratique du Congo à :

  • S'assurer que les personnes les plus responsables des abus commis durant l'opération Likofi font l'objet d'enquêtes pénales et sont poursuivies de manière appropriée, y compris le général Célestin Kanyama.
  • S'assurer que tous les enfants en détention soupçonnés d’être des kuluna et accusés d'une infraction pénale crédible bénéficient d’un procès devant un tribunal pour enfants compétent, indépendant et impartial.
  • Libérer les personnes incarcérées qui n'ont pas été accusées rapidement et de manière crédible d'une infraction pénale et celles dont l’âge est inférieur à celui de la responsabilité pénale en RD Congo, soit 14 ans. Les enfants déclarés responsables d'un crime devraient uniquement être incarcérés en dernier recours et pour la période la plus courte possible, et être séparés des adultes.
  • Soutenir les programmes d'éducation, d'hébergement, de formation professionnelle, sportive et culturelle pour les enfants des rues et autres enfants vulnérables et jeunes adultes à Kinshasa, dans le cadre d'un effort plus large visant à réduire les activités criminelles menées par les kuluna.
  • Entreprendre des poursuites judiciaires appropriées contre les politiciens et leurs partisans qui fournissent des armes ou soudoient des jeunes à Kinshasa pour perturber les activités de leurs adversaires.
  • Faire du ministère du Genre, de la Famille et de l'Enfant un point focal pour promouvoir la protection des enfants des rues et des autres enfants et jeunes adultes vulnérables, et pour surveiller les pratiques d'application de la loi relatives aux enfants des rues.
  • Mener des enquêtes et des poursuites de manière appropriée dans les cas de violence policière contre les enfants des rues.
  • Encourager le ministère de la Jeunesse, Sports, Culture et Arts à organiser des activités récréatives et autres loisirs pour les enfants des rues, et autres enfants et jeunes adultes vulnérables.

 

Détention d’enfants (Articles 24, 37, 38 (4), 39, 40)

Les forces de sécurité ont arrêté et détenu des centaines d'enfants soupçonnés d'appartenance à des groupes armés.[6] En décembre 2015, Human Rights Watch a documenté la détention illégale d'au moins 29 enfants, tous des garçons âgés de 15 à 17 ans, lors d'une visite à la prison d'Angenga dans le nord-ouest de la RD Congo. Human Rights Watch a interrogé 53 détenus, dont 29 enfants, ainsi que plusieurs fonctionnaires de la prison, plus de 40 militaires et fonctionnaires gouvernementaux congolais, des fonctionnaires des Nations Unies, des travailleurs humanitaires et d’autres personnes, entre décembre 2015 et mars 2016.[7]

Les autorités congolaises ont allégué que les enfants en détention étaient membres des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rebelle. Dix-sept enfants nous ont affirmé qu'ils étaient des civils et n'avaient aucune affiliation avec les FDLR, alors que d'autres indiquaient qu'ils étaient d'anciens membres, mais qu'ils avaient été démobilisés des mois ou des années auparavant, et réintégrés dans la vie civile. Seuls deux enfants ont déclaré qu'ils étaient des membres actifs des FDLR lorsqu'ils ont été appréhendés.[8]

Les conditions de détention à Angenga étaient terribles, avec un accès limité à la nourriture, à de l'eau propre et aux soins médicaux. Les enfants étaient détenus aux côtés des adultes pendant la journée, et détenus dans les mêmes cellules que les adultes jusqu'à ce qu'ils aient été transférés par des fonctionnaires de la prison à un bloc séparé pour dormir la nuit, à la fin de février 2016. Certains des enfants avaient été détenus pendant plus d'un an. Aucun des enfants n'avait été accusé de crimes, ni n'avait eu accès à des avocats ou à leurs familles.[9]

Plusieurs semaines après la publication des recherches de Human Rights Watch sur les conditions de détention à la prison d'Angenga, le gouvernement et l’ONU, dans le cadre d'une mission conjointe, ont retiré bon nombre des enfants de cette prison.[10]

Human Rights Watch recommande au Comité de demander au gouvernement de la République démocratique du Congo :

  • Combien d'enfants restent détenus dans la prison militaire d'Angenga ?
  • Quels sont les plans du gouvernement pour la réadaptation et la réintégration des anciens enfants soldats dans la société ?

 

Human Rights Watch demande au Comité d'inviter le gouvernement de la République démocratique du Congo à :

  • Libérer immédiatement tous les enfants détenus à Angenga qui n'ont pas été accusés d'un crime.
  • Se conformer strictement aux obligations juridiques internationales de détenir des enfants uniquement en dernier recours et pour la durée la plus courte possible.
  • En cas de poursuites contre des enfants accusés d’avoir commis des actes illégaux, traiter les enfants conformément aux normes et aux lois internationales en matière de justice pour mineurs. En particulier, veiller à ce que les enfants bénéficient de garanties de procédure régulière, y compris l'accès à un avocat, le droit de contester leur internement, le contact avec leur famille et la séparation d’avec les détenus adultes. Veiller à ce que toute sanction pour des infractions pénales soit adaptée à leur âge et vise à leur réadaptation et à leur réinsertion dans la société.
  • Conformément au droit international, reconnaître la situation particulière des enfants recrutés ou utilisés dans les conflits armés, et réhabiliter et réintégrer les anciens enfants soldats dans la société.

 

 

[1] Déclaration sur la sécurité dans les écoles, http://www.protectingeducation.org/sites/default/files/documents/fr_safe_schools_declaration.pdf (consulté le 20 octobre 2016).

[2] Ministre de la Défense Alexandre Luba Ntambo, Directive ministérielle sur la mise en application du Plan d'action, ministère de la Défense, No. VPM/MDNAC/CAP/0909/2013, 2 mai 2013.

[3] Manuel du Bataillon d'infanterie des Nations Unies, 2012, section 2.13, « Schools shall not be used by the military in their operations ».

[4] Ida Sawyer, « Point de vue : En RD Congo, toujours pas de justice pour les victimes de l’Opération Likofi », 7 juin 2016, https://www.hrw.org/fr/news/2016/06/07/point-de-vue-en-rd-congo-toujours-pas-de-justice-pour-les-victimes-de-loperation.

[5] Ibid; Département américain du Trésor, « Treasury Sanctions High-Ranking Government Security Official for Role in Violence in the Democratic Republic of the Congo », 23 juin 2016, https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/jl0496.aspx (consulté le 3 novembre 2016).

[6] Human Rights Watch, Extreme Measures: Abuses against Children Detained as National Security Threats, juillet 2016, https://www.hrw.org/report/2016/07/28/extreme-measures/abuses-against-children-detained-national-security-threats.

[7] « RD Congo : Des enfants sont détenus dans une prison militaire d'une région reculée », Human Rights Watch news release, 4 avril 2016, https://www.hrw.org/fr/news/2016/04/04/rd-congo-des-enfants-sont-detenus-dans-une-prison-militaire-dune-region-reculee.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Human Rights Watch, « Extreme Measures ».

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