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Congolese police drive past a fire barricade during demonstrations in Kinshasa, the capital of the Democratic Republic of Congo, December 20, 2016.

Entretien : Comment le président de la RD Congo a recruté des rebelles pour réprimer les manifestations

Des policiers congolais passent à côté d’une barricade en feu lors de manifestations à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, le 20 décembre 2016.  © 2016 Reuters/Thomas Mukoya

Alors que le président de la République démocratique du Congo Joseph Kabila essayait de prolonger ses fonctions présidentielles au-delà du terme des deux mandats prévus par la Constitution en décembre dernier, des officiers supérieurs des forces de sécurité congolaises ont recruté clandestinement d’anciens combattants rebelles pour réprimer violemment les manifestations contre lui, a établi Human Rights Watch dans un nouveau rapport. Les officiers ont fait venir au moins 200 anciens combattants du groupe rebelle M23 de l’Ouganda et du Rwanda voisins et leur ont donné l’ordre de tuer les manifestants si nécessaire et d’éliminer toute menace pour la présidence de Kabila. Au moins 62 personnes sont mortes dans la répression qui s’en est suivie. Le rapport est le fruit de mois de recherches minutieuses effectuées par une équipe de chercheurs expérimentés travaillant avec Human Rights Watch. Les chercheurs décrivent ici leur travail pour découvrir la vérité.

Ces révélations sont fracassantes. Quand avez-vous eu des informations à ce sujet pour la première fois ?

C’est en décembre 2016 que nous avons entendu parler pour la première fois de réunions dans la province du Nord-Kivu, dans l’est de la RD Congo, au cours desquelles des dirigeants locaux discutaient de la manière dont d’anciens membres du M23 avaient été recrutés pour protéger la mainmise sur le pouvoir du président Kabila. Au début, nous ne savions pas s’il s’agissait ou non d’une simple rumeur. Mais en janvier, nous avons reçu des informations venant de sources fiables à Goma, principale ville dans l’est de la RD Congo, indiquant que des combattants du M23 avaient été recrutés en Ouganda et au Rwanda et envoyés en RD Congo pour aider à protéger le président et à étouffer les manifestations prévues. Nos sources nous ont expliqué qu’elles connaissaient les combattants du M23 et qu’elles avaient vu certains d’entre eux alors qu’ils passaient par Goma pour se rendre à Kinshasa, la capitale.

Nous avons pensé que cela valait la peine d’enquêter, mais nous savions que nous devions être prudents : les soldats parlant kinyarwanda (principale langue du Rwanda) sont souvent accusés d’être des combattants du M23 alors que ce sont, en réalité, des Congolais qui font partie de l’armée depuis de nombreuses années et qui n’ont jamais rejoint la rébellion du M23. Donc nous avons décidé de nous rendre au Rwanda et en Ouganda, où la plupart des combattants du M23 sont basés depuis que leur groupe armé violent a été défait en 2013.

Comment avez-vous réussi à retrouver les anciens rebelles pour les interroger ?

Cela n’a pas été facile. Nous avons utilisé un réseau de contacts qui ont joué le rôle d’éclaireurs et de facilitateurs. Grâce à eux, nous avons pu trouver d’anciens combattants du M23 dans des camps militaires et de réfugiés en Ouganda et au Rwanda acceptant de parler avec nous. Une fois que nous étions seuls avec un combattant du M23, nous nous présentions et nous expliquions que nous n’avions rien à lui donner, mais que nous voulions faire connaître la vérité. Nous avons rassuré toutes les personnes interrogées sur le fait qu’elles pouvaient nous parler en toute confidentialité et que nous ne révélerions pas leur identité. C’est comme cela que nous avons gagné leur confiance. Au fil du temps, nous avons pu reconstituer la manière dont les combattants du M23 ont été recrutés et envoyés par différentes routes à Kinshasa, à Lubumbashi et à Goma.

De retour en RD Congo, nous avons aussi trouvé des officiers militaires congolais qui ont accepté de s’entretenir avec nous confidentiellement sur l’intégration des combattants du M23 dans leurs unités.

Pourquoi les combattants du M23 ont-ils accepté de participer à l’opération ?

Beaucoup nous ont expliqué qu’ils étaient fatigués de vivre dans les camps et ont été reconnaissants de l’opportunité de rentrer en RD Congo et d’être rémunérés, après avoir passé des années à l’étranger dans des conditions souvent misérables. Certains ont déclaré qu’on leur avait promis des grades élevés et des postes prestigieux dans l’armée congolaise. On leur a dit que Kabila n’avait pas confiance dans son armée régulière et qu’il avait besoin du M23 sur lequel il pouvait compter pour sa loyauté et son impitoyabilité dans l’exécution des ordres.

Comment les combattants ont-ils été acheminés clandestinement à travers les frontières vers la RD Congo ?

Ils ont pris des routes différentes et n’ont pas voyagé les mêmes jours pour éviter d’attirer l’attention sur leurs mouvements. Tout au long du trajet, des autorités ougandaises, rwandaises et congolaises, dont des officiers militaires et des agents des services frontaliers, ont facilité leurs déplacements, en mettant à leur disposition des véhicules, des vols, des uniformes militaires, des logements et de la nourriture, et en permettant le libre passage.

Quelles instructions les combattants du M23 ont-ils reçues quand ils sont arrivés en RD Congo ?

On leur a demandé d’utiliser tous les moyens disponibles pour réprimer les manifestations, protéger le président et s’assurer que Kabila reste au pouvoir. Un combattant nous a raconté qu’ils ont été « déployés pour faire la guerre à ceux qui voulaient menacer le maintien au pouvoir de Kabila ». Ils ont reçu l’ordre de tirer à toute menace éventuelle ou si un groupe de plus de 10 personnes venait vers eux. De nombreux combattants ont reçu l’ordre de tirer à bout portant. Un lieutenant-colonel de l’armée congolaise que nous avons interrogé nous a déclaré que « la présence de soldats a toujours fait peur aux civils » et que Kabila a déployé des combattants rebelles afin que les personnes qui voulaient manifester « soient trop effrayées pour sortir de chez elles ». Un combattant du M23 a précisé que son recruteur lui a dit : « La guerre ne sera pas dure ; nous lutterons contre des manifestants qui ne seront pas armés ».

Que s’est-il passé quand les manifestations ont éclaté ?

Le 19 décembre, le dernier jour du second et – selon la Constitution – dernier mandat du président Kabila, les forces de sécurité se sont massivement déployées dans les villes du pays. Les groupes de 10 personnes ou plus ont été avertis qu’ils seraient dispersés de force. Cela semblait être une tentative délibérée de dissuader les manifestants de descendre dans les rues. Des « villes mortes » ou grèves générales ont été organisées à travers le pays ; les boutiques et les entreprises étaient fermées et de nombreuses personnes sont restées chez elles et n’ont pas mis leurs enfants à l’école. Bon nombre de ceux qui ont osé manifester ont été arrêtés.

Puis, aux premières heures de la journée du 20 décembre – alors que Kabila n’était plus considéré par beaucoup comme étant le président « légitime » – davantage de personnes sont descendues dans les rues, utilisant des sifflets, tapant sur des casseroles et des poêles et criant que le temps de Kabila au pouvoir était terminé. Les forces de sécurité, y compris les combattants du M23 intégrés dans leurs unités, ont rapidement cherché à mettre fin aux manifestations, tuant au moins 62 personnes en trois jours.

Les forces de sécurité ont également arrêté des centaines de manifestants et même des personnes simplement rassemblées en groupes dans la rue ou vêtues de rouge – qui était devenu un symbole de « carton rouge » pour Kabila, une référence au football pour lui signifier que son temps au pouvoir était terminé.

Comme l’a raconté un combattant du M23 : « Nous avons imposé de l’ordre à Kinshasa ». Qui plus est, de nombreuses familles se sont vu refuser l’accès aux hôpitaux et aux morgues, ce qui les a empêchées d’enterrer leurs morts. Un autre combattant du M23 a indiqué : « Quand il y avait des corps de personnes tuées le long de la route, nous les emportions rapidement pour les cacher loin des endroits où la communauté internationale pourrait les découvrir. »

Qu’est-il advenu des combattants du M23 après les manifestations de décembre 2016 ?

La plupart des combattants ont pris part à l’opération parce qu’ils avaient reçu des promesses d’une vie meilleure après. Ils s’attendaient à pouvoir quitter les camps de réfugiés et à rentrer chez eux en RD Congo. Mais cela ne s’est pas passé ainsi.

Les combattants du M23 avec qui nous avons parlé sont tous retournés en Ouganda et au Rwanda peu après les manifestations, une fois qu’il était évident que Kabila resterait au pouvoir au-delà du terme prévu par la Constitution. Ils ont raconté que certains de leurs collègues sont toutefois restés sur place, intégrés dans des unités de l’armée congolaise, de la police et de la Garde républicaine, le détachement de la sécurité présidentielle. En mai, une nouvelle campagne de recrutement dans les camps en Ouganda et au Rwanda a commencé : des combattants du M23 ont été conduits à Kisangani, dans le nord de la RD Congo, et on leur a dit qu’on les préparerait à des « missions spéciales » afin de répondre à toute nouvelle menace contre Kabila.

Qu’en est-il des personnes prises pour cible pendant la répression ? Des histoires vous ont-elles particulièrement touchées ?

Il y a ce jeune chauffeur de taxi à Kinshasa qui est sorti de sa maison pour prendre un appel téléphonique aux premières heures du 20 décembre. Les soldats l’ont vu parler au téléphone, l’ont accusé d’« appeler des rebelles » et l’ont arrêté. Des membres de sa famille sont allés négocier sa libération, mais les soldats leur ont dit de rentrer chez eux et de « pleurer sa mort ». Peu après, des voisins ont retrouvé son corps dans un trou près de la route, à quelques mètres seulement de chez lui.

Selon vous, que va-t-il se passer en RD Congo maintenant ?

Malgré la pression croissante, Kabila n’a montré aucun signe de vouloir quitter ses fonctions ni permettre une transition démocratique pacifique. Il y a eu des appels à de nouvelles manifestations dans les semaines à venir, et il existe un risque réel de nouvelles violences.

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