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Singapour : Les lois entravent la liberté d’expression et de réunion

Il faut mettre un terme aux procédures, aux réglementations et aux poursuites civiles répressives

(Kuala Lumpur, le 13 décembre 2017) – Le recours par le gouvernement de Singapour à des lois pénales d’une vaste portée, des réglementations oppressives et des procès civils restreignent fortement la liberté d’expression et de réunion, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd’hui.

« Singapour se présente comme un État moderne et un lieu propice aux affaires, mais les habitants d’un pays qui revendique être une démocratie ne devraient pas craindre de critiquer leur propre gouvernement ou de parler ouvertement de questions politiques », a déclaré Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie à Human Rights Watch. « Les restrictions, tant directes qu’indirectes, pesant sur la liberté d’expression et la protestation publique étouffent depuis longtemps le débat sur les questions d’intérêt public à Singapour. »

Le rapport de 133 pages, intitulé « ‘Kill the Chicken to Scare the Monkeys’: Suppression of Free Expression and Assembly in Singapore » (« "Tuer le poulet pour effrayer les singes": Suppression de la liberté d'expression et de réunion à Singapour ») se fonde sur une analyse approfondie des lois et réglementations auxquelles le gouvernement de Singapour a recours pour réprimer la liberté d’expression et de réunion pacifique, et notamment la Loi sur l’ordre public, la Loi de sédition, la Loi sur la radiodiffusion et la télévision, plusieurs articles du code pénal et les lois sur les outrages au tribunal de nature criminelle. S’appuyant sur des entretiens menés avec 34 activistes, journalistes, avocats, universitaires de la société civile et représentants de l’opposition, sur des dépêches d’actualité et des déclarations publiques de fonctionnaires du gouvernement, le rapport étudie la manière dont ces textes ont été utilisés pour restreindre les droits individuels d’expression et de réunion.

Human Rights Watch a écrit au Premier ministre de Singapour ainsi qu’au ministre de l’Intérieur et de la Justice, au ministre des Affaires étrangères et au ministre de la Communication et de l’information en leur demandant leur point de vue sur les questions soulevées dans le rapport ; toutefois, aucun fonctionnaire du gouvernement ni aucune agence gouvernementale n’ont répondu.

Des habitants de Singapour allument des bougies en guise de solidarité avec les manifestants du mouvement « Occupy Central » à Hong Kong, lors d’un rassemblement dans le parc Hong Lim, à Singapour, le 1er octobre 2014. © 2014 Reuters

Les personnes qui se montrent critiques à l’égard du gouvernement ou de la justice, ou qui parlent de manière critique de la religion ou des questions de race, se trouvent souvent confrontées à des enquêtes criminelles ou des poursuites civiles, s’accompagnant souvent de demandes de dommages-intérêts exorbitants, a expliqué Human Rights Watch.

Le harcèlement constant par le gouvernement de personnes ayant un franc parler est parfaitement illustré par le cas de l’activiste Roy Ngerng, l’auteur d’un blog très populaire critiquant les politiques et actions du gouvernement et mettant l’accent sur les inégalités à Singapour. Au cours d’une période de six mois en 2014, Roy Ngerng a été poursuivi en diffamation par le Premier ministre Lee Hsien Loong, licencié de son travail et accusé de manifestation illégale et atteinte à l’ordre public. En 2016, après avoir affiché son soutien au candidat de l’opposition lors d’une élection partielle, les autorités l’ont accusé d’enfreindre les règles du délai de « réflexion » sur la publicité électorale et l’ont convoqué à un lourd interrogatoire par la police, qui a fouillé son domicile, saisi ses ordinateurs et son téléphone portable et a exigé les mots de passe de ses comptes sur les réseaux sociaux.

Les blogueurs, dessinateurs humoristiques, avocats et médias étrangers sont au rang de ceux, nombreux, qui ont fait l’objet de procédures pour outrage pour avoir critiqué le système judiciaire de Singapour. Dans la dernière affaire en date, le procureur général a demandé et obtenu l’autorisation de la justice pour entamer une procédure pour outrage à l’encontre du neveu de Lee Hsien Loong sur la base d’un message privé posté sur Facebook dans lequel il constatait qu’un gouvernement procédurier et un pouvoir judiciaire « complaisant » entraînaient le fait que les médias internationaux étaient limités dans ce qu’ils pouvaient communiquer au sujet de Singapour.

Les manifestations dans la ville-état sont extrêmement limitées, a ajouté Human Rights Watch. Le seul endroit où des rassemblements publics, même s’ils ne sont que vaguement politiques, peuvent avoir lieu sans autorisation de la police est le Speakers’ Corner (littéralement le Coin des orateurs), une partie du tout petit Parc Hong Lim. Même dans le Speakers’ Corner, des restrictions détaillées quant à ce qui peut se dire sont applicables et il est interdit aux étrangers de s’exprimer voire d’être présents. Dans l’un des cas, l’activiste Jolovan Wham a reçu un « avertissement ferme » au lieu d’être poursuivi suite à la participation de deux citoyens de Hong Kong à une manifestation qu’il avait organisée en soutien au mouvement Occupy Hong Kong, bien qu’il ait annoncé à la fois à l’avance et sur les lieux de la manifestation que les étrangers n’étaient pas autorisés à y participer.

En vertu d’un décret pris par le gouvernement à la fin de l’année 2016, les sociétés étrangères et les multinationales ne sont pas autorisées à soutenir des manifestations se tenant au Speakers’ Corner sans obtenir une autorisation de la police. Le gouvernement a rejeté les demandes de 10 multinationales qui avaient déposé une demande pour soutenir le rassemblement « Pink Dot » (Point rose) de la marche des fiertés LGBT de 2017.

Le nouveau rapport documente la manière dont diverses restrictions réglementaires sont utilisées pour limiter le débat autour de questions politiques ou « sensibles » dans des pièces, des films et sur Internet. Il est fréquent que le gouvernement pose comme condition à l’autorisation de représentations en public de pièces à caractère politique de pouvoir censurer le script. Le gouvernement interdit de fait de dépeindre avec une connotation positive la vie de personnes LGBT à la télévision, à la radio ou dans les films. En 2015, le gouvernement a interdit la diffusion d’une vidéo promotionnelle en faveur du rassemblement « Pink Dot » à l’occasion de la marche des fiertés annuelle, même si la vidéo ne présentait qu’un compte rebours précédant l’apparition des mots « Pink Dot » et la date de l’événement.

Human Rights Watch a demandé au gouvernement de Singapour d’abandonner tous les chefs d’accusation concernant la liberté d’expression ou de réunion et d’amender ou abroger les lois et réglementations qui limitent la liberté d’expression ou de réunion pour mettre ces lois en conformité avec les normes internationales.

« La réaction systématique de Singapour consistant à attaquer en justice ou engager des poursuites contre les critiques a, durant de nombreuses années, limité les reportages critiques sur la ville-état, » a ajouté Phil Robertson. « Les partenaires commerciaux de Singapour devraient en appeler au gouvernement pour qu’il modernise ses points de vue sur les droits humains et mette un terme à la répression de la liberté d’expression et de réunion. »

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Sélection de cas de suppression de la liberté d’expression et de réunion

Jolovan Wham
Les efforts de l’activiste Jolovan Wham pour aborder des questions d’intérêt public ont abouti à des enquêtes criminelles répétées et, en novembre 2017, à des poursuites pénales pour la tenue de réunions publiques sans obtention des autorisations de police requises. En mars 2015, il a reçu un « avertissement ferme » au lieu d’être poursuivi suite à la participation de deux citoyens de Hong Kong à une manifestation qu’il avait organisée en soutien au mouvement Occupy Hong Kong, bien qu’il ait annoncé à la fois à l’avance et sur les lieux de la manifestation que les étrangers n’étaient pas autorisés à y participer.

Jolovan Wham a également été convoqué à un interrogatoire concernant son implication dans une manifestation en novembre 2016 se déroulant au Speakers’ Corner en soutien au rassemblement Bersih de Malaisie pour des élections propres et justes et plusieurs manifestations en dehors du Speakers’ Corner. Le 29 novembre 2017, il a été inculpé de trois chefs d’accusation pour tenue de réunions publiques sans obtention des autorisations de police requises. Les accusations trouvaient leur origine dans une réunion-débat sur la désobéissance civile et les mouvements sociaux qui s’est tenue dans une salle le 26 novembre 2016, lors de laquelle l’activiste hongkongais Joshua Wong s’est exprimé via Skype, une protestation silencieuse à bord d’un train du MRT (métro de Singapour) le 3 juin 2017 pour commémorer le 30e anniversaire de l’arrestation et de la détention de 22 bénévoles et activistes sociaux aux termes de l’Internal Security Act (Loi sur la sécurité intérieure) en 1987, et une veillée aux chandelles qui a eu lieu devant la Prison de Changi le 13 juillet 2017, en soutien à la famille d’un ressortissant malais, S. Prabagaran, qui devait être exécuté le lendemain matin pour trafic de drogue. Jolovan Wham a également été accusé de vandalisme pour avoir affiché de manière temporaire deux feuilles de papier à l’intérieur d’un train du MRT au cours de la protestation de juin contre le MRT. Il est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans pour les accusations de vandalisme et de six mois d’emprisonnement ou une amende de 10 000 dollars de Singapour pour les accusations de réunion publique.

The Independent Singapore
En mai 2016, la police a ouvert une enquête sur le site web de The Independent Singapore  pour violation des règles du délai de réflexion qui interdit la publicité électorale la veille d’une élection. Selon Kumaran Pillai, directeur de la publication de The Independent Singapore, « Nous avons fait ce que nous pensions être un pur et simple reportage sur les événements précédant la journée de réflexion ». Kumaran Pillai a été convoqué à trois sessions d’interrogatoire dont la première a duré 11 heures. La deuxième fois qu’il y est allé, « ils m’ont jeté dans une voiture de police et se sont rendus à mon bureau et à mon domicile ». La police a saisi son téléphone portable et deux ordinateurs portables. « J’ai l’impression d’avoir été dépouillé » a raconté Kumaran Pillai. « Ils savent tout de ma vie ».

La police a également convoqué le rédacteur en chef Ravi Philemon et l’avocat Alfred Dodwell, qui est le directeur de la société, pour les interroger. « C’est avec les pouvoirs dont la police jouit que j’ai un problème » explique Alfred Dodwell. « Si nous disons que nous avons été pirates, alors ils peuvent poser des questions et voir comment cela a été posté et depuis quel ordinateur. Mais si nous reconnaissons que nous l’avons posté… il n’y a absolument aucune raison d’arrêter la personne, de prendre ses appareils et de passer en revue leur contenu. Il s’agit d’une violation inutile de la vie privée d’une personne … Le but est d’instiller la peur. Si vous êtes à l’origine d’un post, vous n’allez pas vous faire taper sur les doigts en retour. Vous allez être arrêté, détenu et vos appareils seront saisis ».

Le 16 février 2017, les Forces de Police de Singapour ont publié un communiqué de presse affirmant que Kumaran Pillai, Ravi Philemon et Alfred Dodwell avaient reçu des « avertissements fermes » au lieu d’être poursuivis. Interrogé sur les conséquences de cet avertissement, Kumaran Pillai a répondu : « Je pense que l’avertissement sert à ce que les gens n’aient pas de liens avec moi et l’Independent. S’ils en ont et empruntent cette voie, c’est ce à quoi ils s’exposeront. C’est un avertissement pour tous les autres. ».

Roy Ngerng
Roy Ngerng, un activiste et un blogueur populaire, a créé en 2012 un blog, « The Heart Truths », dans lequel il débattait de questions économiques et sociopolitiques touchant Singapour. Début 2014, il a commencé à émettre des doutes quant à la gestion du « Central Provident Fund » (CPF) de Singapour, le fonds de pension national obligatoire, dans une série de postes sur son blog. Dans un article publié le 15 mai, Roy Ngerng incluait deux diagrammes comparant la manière dont des fonds du CPF étaient investis dans d’autres fonds et la manière dont City Harvest, une église poursuivie pour fraude financière, avait investi ses fonds.

Le Premier ministre Lee Hsien Loong a engagé une procédure en diffamation, invoquant que le post sous-entendait qu’il avait détourné de l’argent du fonds. D’après Roy Ngerng, « Je ne pensais pas que le Premier ministre serait affecté – je parlais du gouvernement, pas de lui. ». Moins de deux semaines plus tard, ce dernier, alors âgé de trente-trois ans, a été licencié de son emploi à l’hôpital Tan Tock Seng, où il était coordinateur de patients contractuel en charge de la planification des programmes pour les personnes contaminées par le VIH. Ses employeurs ont expliqué qu’il avait « utilisé abusivement les ressources et le temps de l’entreprise » et ont qualifié son comportement d’« incompatible avec les normes et valeurs que les employés doivent respecter ».

Lee Hsien Loong a déposé une demande de jugement en référé et le tribunal a déclaré Roy Ngerng coupable de diffamation. L’avocat de Lee Hsien Loong a sollicité des dommages-intérêts « très élevés » et le tribunal a condamné Roy Ngerng à payer 100 000 dollars de Singapour de dommages-intérêts généraux (73 497 dollars américains) assortis de 50 000 dollars de Singapour (36 759 dollars américains) de dommages-intérêts supplémentaires. Il a également été condamné à verser à Lee Hsien Loong 29 000 dollars de Singapour (21 314 dollars américains) pour les frais de justice. Il a accepté un échéancier de paiement qui prévoit qu’il va s’acquitter de ces dommages-intérêts pendant les 17 prochaines années.

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