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Pancarte tenue par une victime de la crise postélectorale de 2010-11, lors d’une manifestation tenue à Abidjan le 28 février 2013, lors de l’audience de confirmation des charges à la Cour pénale internationale à La Haye contre l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo. © 2013 Sia Kambou/AFP/Getty Images

Depuis le début de l'année, le système judiciaire a connu une activité intense en Côte d’Ivoire. Les tribunaux ivoiriens ont condamné plus de dix personnes du camp de l'ancien président Laurent Gbagbo pour des attentats commis après la crise postélectorale de 2010-11, notamment une attaque transfrontalière perpétrée en juin 2012 qui a coûté la vie à sept Casques bleus. Mais pour les victimes des viols, tortures et exécutions extrajudiciaires commis pendant la crise post-électorale elle-même, la justice se fait attendre.

La crise postélectorale de 2010-11 a commencé par le refus du Président Laurent Gbagbo de céder le pouvoir à Alassane Ouattara à la suite de l’élection présidentielle de novembre 2010. Au cours des cinq mois de violence et de conflit armé qui ont suivi, au moins 3 000 personnes ont été tuées et plus de 150 femmes ont été violées, les forces armées des deux parties s’en prenant notamment aux civils en considérant leur appartenance politique et, parfois, ethnique et religieuse.  

Dans les années qui ont suivi la crise post-électorale, des dizaines de sympathisants de Laurent Gbagbo ont été jugés devant des tribunaux ivoiriens, conduisant à des accusations selon lesquelles les autorités judiciaires pratiqueraient une justice partiale. La façon insatisfaisante dont certains de ces procès ont été menés, ne respectant pas les normes internationales en matière de procès équitable, a alimenté ces accusations.

Mais en réalité, les tribunaux ivoiriens n'ont pas rendu justice aux victimes des deux camps de la crise de 2010-11. Au lieu de traiter les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture et les viols que les forces pro-Gbagbo ont commis, les procès visant les alliés de Gbagbo se sont concentrés sur les atteintes à la sûreté de l'Etat pendant la crise postélectorale et sur les attaques postérieures en 2012. Même si Gbagbo et Charles Blé Goudé, son ancien ministre de la Jeunesse, sont en procès devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité, le seul procès à s’être tenu devant des tribunaux ivoiriens pour des faits analogues a été celui de la femme de Gbagbo, Simone. Elle a fini par être acquittée en mai 2017, à l’issue d’un procès entaché par des préoccupations liées aux questions de procédure régulière et par des failles du dossier de l'accusation.

Les tribunaux ivoiriens ont fait encore moins s’agissant de juger les alliés du président Ouattara pour les crimes commis durant la crise de 2010-11, qui comprenaient des violences sexuelles et des meurtres ciblés d’hommes appartenant à des groupes ethniques perçus comme loyaux à Laurent Gbagbo. Bien que plusieurs commandants pro-Ouattara de haut rang figurent parmi la trentaine de responsables militaires et civils que les juges ivoiriens ont inculpés pour crimes contre les droits humains pendant la crise de 2010-11, aucun d'entre eux n'a été encore traduit en justice. En fait, plusieurs commandants de l’armée ivoirienne impliqués dans de graves violations des droits humains durant le conflit armé de 2002-2003 et de nouveau pendant la crise postélectorale ont bénéficié d’une promotion en janvier.

La Cour pénale internationale enquête sur les abus perpétrés par les deux parties durant la crise de 2010-2011 et elle cherchera certainement à juger des membres des forces ayant soutenues le président Ouattara s'ils ne sont pas poursuivis en Côte d'Ivoire. Cependant, le président Ouattara, qui a refusé de transférer Simone Gbagbo à La Haye, a déclaré que tous les futurs procès liés aux violences postélectorales se tiendront devant les tribunaux ivoiriens.

Si tel est le cas, il est maintenant temps que le système judiciaire ivoirien prouve qu'il est attaché à une justice équitable et impartiale pour toutes les personnes qui ont été impliquées dans des violations des droits humains, quelle que soit leur affiliation politique. Si les juges ivoiriens ont fait d’importants progrès dans leurs enquêtes visant les atrocités de la crise de 2010-11, ces avancées ne seront visibles aux victimes que quand les responsables présumés comparaîtront devant un tribunal.

Le gouvernement devrait donner aux juges ivoiriens le soutien et les ressources dont ils ont besoin pour mener à bien leurs enquêtes et traduire en justice les auteurs des violations des droits humains commises pendant la crise de 2010-2011, y compris par les pro-Ouattara. Les principaux obstacles à la clôture des enquêtes, comme la nécessité d'exhumer des fosses communes contenant des indices sur la façon dont les victimes sont mortes, devraient être levés dès que possible, conformément aux engagements répétés des autorités.

Les procureurs et les juges ivoiriens devraient également veiller à ce que toutes les personnes accusées de crimes liés à la crise postélectorale et à ses suites– y compris les anciens alliés de Gbagbo – bénéficient d'un procès équitable. Les procès qui ne respectent pas les normes de procédure régulière compromettent la crédibilité des tribunaux de Côte d'Ivoire et ne rendent pas justice, ni aux victimes ni aux accusés.

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Yacouba Doumbia est le président du Mouvement ivoirien pour les droits de l'homme.

Drissa Traore est vice-président de la Fédération internationale des droits de l'homme.

Jim Wormington est chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch.

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