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Yémen : Des migrants africains en détention torturés, violés

L’accès aux procédures d’asile doit être garanti et les auteurs d’abus poursuivis

Le centre de détention pour migrants de Buraika, dans le gouvernorat d'Aden, au Yémen. © 2018 VICE News Tonight on HBO

(New York) – Des fonctionnaires du gouvernement yéménite ont torturé, violé et exécuté des migrants et des demandeurs d’asile originaires de la Corne de l’Afrique dans un centre de détention situé dans la ville portuaire d’Aden, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les autorités ont refusé aux demandeurs d’asile la possibilité de demander une protection en tant que réfugiés et expulsé massivement par voie maritime des migrants dans des conditions dangereuses.

D’ex-détenus ont déclaré à Human Rights Watch avoir été battus par des geôliers armés de barres métalliques et de bâtons, qui les ont fouettés, roués de coups, menacés de mort ou d’expulsion, agressés sexuellement, et qui ont abattu au moins deux hommes. Les gardiens ont forcé les femmes à retirer leurs abayas (robes longues couvrantes) et leurs foulards. Ils se sont emparés de l’argent des migrants, de leurs effets personnels et des documents fournis par l’agence des Nations Unies pour les réfugiés.

« Les gardiens du centre de détention pour migrants d’Aden s’en sont brutalement pris aux hommes, ont violé des femmes et des garçons, et renvoyé des centaines de personnes à bord d’embarcations surchargées », a déclaré Bill Frelick, directeur de la division Droits des réfugiés à Human Rights Watch. « La crise au Yémen ne justifie en rien cette cruauté et cette brutalité. Le gouvernement yéménite devrait mettre fin à cette situation et faire en sorte que les responsables rendent des comptes. »

Human Rights Watch a interrogé huit migrants, dont sept Oromo d’Éthiopie récemment détenus au centre, ainsi que des responsables du gouvernement yéménite et des membres des communautés de migrants.

Le centre de détention, situé dans le district de Buraika, à Aden, est un institut océanographique réaménagé. Depuis début 2017, des centaines de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés éthiopiens, somaliens et érythréens, y ont été détenus. En avril 2018 cependant plus que 90, principalement des Érythréens, s’y trouvaient encore.

Des vidéos et des photos du centre de détention montrent des centaines d’hommes et de garçons regroupés dans un hangar en béton plein à craquer, où les femmes et les filles sont assises à même le sol en pierre. Selon d’ex-détenus, l’établissement était surpeuplé, ses conditions d’hygiène déplorables et l’accès aux soins médicaux sur place limité. La distribution de vivres y était irrégulière, les gardes refusant parfois de l’assurer.

Toujours selon d’ex-détenus, les gardiens se livraient à des agressions sexuelles sur des femmes, des filles et des garçons. Des garçons étaient enlevés pendant la nuit : « Chaque nuit, ils en prenaient un, pour le violer », a confié un ex-détenu. « Pas tous. Les plus petits. Les garçonnets. J’en connais sept qui ont été agressés sexuellement... Vous pouviez entendre ce qui se passait. » Plusieurs anciens détenus ont affirmé qu’une fois de retour, il était impossible pour les jeunes garçons de s’asseoir, qu’ils se mettaient parfois à pleurer, ou à raconter aux autres ce qui leur était arrivé. Une Éthiopienne détenue dans le centre a expliqué qu’elle continuait de souffrir des violences qu’un gardien lui avaient infligées pour avoir refusé des relations sexuelles avec lui. Femmes et filles, a-t-elle assuré, étaient régulièrement violées, elle-même disant avoir été témoin du viol de deux de ses amies par des gardiens.

Les autorités yéménites n’ont pas donné aux demandeurs d’asile la possibilité de solliciter une protection ou de contester leur expulsion, selon d’anciens détenus. L’ex-chef du centre a déclaré à VICE News Tonight, une émission diffusée sur la chaîne américaine HBO, qu’il avait fait appel à des passeurs pour renvoyer des migrants à Djibouti, au rythme de 500 à 700 par mois : « Et toutes ces expulsions ont été mises en œuvre sur ordre du ministère. Non, [le ministre de l’Intérieur] ne nous demande pas de contacter un passeur, mais nous les renvoyons de la même manière qu’ils sont arrivés ici... Ils les ont fait entrer clandestinement, ils doivent les faire repartir clandestinement. »

Un Éthiopien a indiqué à Human Rights Watch que des gardiens avaient regroupé à l’extérieur les migrants par 10 et demandé d’écrire leurs noms et la raison pour laquelle ils avaient quitté leur pays. « Si l’un d’entre eux disait “persécution”, ils lui rétorquaient : “Tais-toi, tu mens”, et l’enregistrait en tant que migrant cherchant du travail. » À l’issue de cet interrogatoire, le témoin a vu 150 migrants environ être évacués du centre, dont huit enfants dont il savait qu’ils avaient été violés. Les gardiens ont annoncé qu’ils les reconduisaient à Djibouti, sur l’autre rive de la mer Rouge.

Selon d’ex-détenus, les autorités yéménites ont empêché les organisations humanitaires internationales qui ont visité le centre d’examiner les migrants grièvement blessés. Les gardiens ont étroitement accompagné les travailleurs humanitaires, empêchant les migrants de témoigner sans danger de leurs conditions de détention.

En réponse aux conclusions préliminaires de Human Rights Watch, le ministère de l’Intérieur du Yémen a écrit, dans une lettre datée du 2 avril, qu’il avait relevé de ses fonctions le chef du centre, entamé des procédures pour transférer les migrants dans un autre lieu et promis d’enquêter sur les plaintes ou les preuves d’abus. Deux détenus ont déclaré qu’après le renvoi du responsable, certains des pires abus avaient pris fin.

Mais les autorités ont continué de renvoyer d’important groupes de migrants par voie maritime, sans leur permettre de demander une protection ou de contester leur expulsion, a déclaré Human Rights Watch.

Début avril, selon deux témoins, les nouvelles autorités du centre ont transporté les derniers Éthiopiens – près de 200 personnes – par camion à Bab al-Mandab, sur la côte, à environ 150 kilomètres d’Aden. Les gardiens en ont contraint environ 100 à monter dans une embarcation. Le moteur d’un autre bateau étant hors-service, ils ont regroupé les autres sur une aire de chantier placée sous surveillance, à proximité de la rive. Après une journée sans nourriture, certains détenus ont réussi à s’échapper.

Le groupe armé houthi, qui contrôle la capitale Sanaa, et une grande partie du nord du Yémen, a également arbitrairement détenu des migrants dans des conditions déplorables et leur ont refusé l’accès à l’asile et à la protection, dans un centre proche du port de Hodeïda, selon les dires d’un ex-détenu et de défenseurs des droits des migrants à Human Rights Watch. L’ex-détenu a rapporté que les conditions à Hodeïda étaient « inhumaines », notamment à cause du surpeuplement, du manque d’accès aux soins médicaux et des abus physiques : « Certains des gardiens étaient très cruels et impitoyables. Ils nous battaient de manière aveugle. »

Human Rights Watch a examiné des photos montrant des hommes avec des plaies et des blessures infectées. Début 2018, au moins un groupe de migrants détenus dans le centre d’Hodeïda – 87 personnes, dont sept enfants – ont été libérés sous la condition qu’ils se rendent à Aden, a indiqué l’ex-détenu. Des soldats yéménites les ont arrêtés en chemin et redirigés vers le centre de détention de Buraika.

« Les autorités yéménites et les Houthis doivent travailler avec l’agence des Nations Unies pour les réfugiés pour établir un processus permettant aux migrants africains de demander l’asile ou d’obtenir la protection nécessaire », a conclu Bill Frelick. « Les traitements atroces infligés à ces personnes vulnérables ne font que jeter le discrédit sur les leaders yéménites, qu’ils soient gouvernementaux ou Houthis. »

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