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Gambie : L’ex-président Yahya Jammeh impliqué dans le meurtre de plus de cinquante migrants

Des organisations ghanéennes demandent l’ouverture de poursuites contre l’ex-président gambien liées à la disparition de migrants ghanéens, nigérians, ivoiriens et sénégalais en 2005

(Accra) – Une unité paramilitaire contrôlée par l’ancien président gambien, Yahya Jammeh, a exécuté sommairement plus de cinquante migrants originaires du Ghana, du Nigeria et d'autres pays d'Afrique de l'Ouest en juillet 2005, ont révélé aujourd'hui Human Rights Watch et TRIAL International.

Des entretiens menés avec trente anciens responsables de la sécurité gambienne, dont onze officiers directement impliqués dans l'incident, révèlent que les migrants qui faisaient route vers l’Europe mais étaient soupçonnés d'être des mercenaires visant à renverser Jammeh, ont été assassinés après avoir été détenus par les associés les plus proches de l’ancien président au sein de l’armée, de la marine et de la police. Ces entretiens ont permis d’identifier les « Junglers », une unité tristement célèbre qui recevait ses ordres directement de l’ex-président, comme étant les auteurs de ces meurtres.

« Ces migrants ouest-africains n'ont pas été assassinés par des éléments incontrôlés mais par un escadron de la mort qui recevait ses ordres directement du président Jammeh », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch. « Les subordonnés de Jammeh ont ensuite détruit des éléments de preuve essentiels, afin d'empêcher les enquêteurs internationaux de découvrir la vérité. »

Des membres de familles de victimes ghanéennes d’un massacre commis en Gambie en 2005, photographiés à Kumasi, au Ghana, en avril 2018. © 2018 Reed Brody/HRW

Le 16 mai 2018, Martin Kyere, l'unique survivant ghanéen connu ainsi que les familles de disparus, celle d’un autre Ghanéen tué sous le régime de Jammeh, Saul N’dow, et des organisations ghanéennes de défense des droits humains ont appelé leur gouvernement à ouvrir une enquête sur la base de nouveaux éléments de preuve. Celle-ci pourrait déboucher sur une demande d’extradition de Jammeh au Ghana afin qu’il y soit traduit en justice.

Les 22 années de pouvoir de Jammeh ont en effet été marquées par des abus généralisés, notamment des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires et des détentions arbitraires. L’ancien président s’est exilé en Guinée équatoriale en janvier 2017, après avoir perdu l'élection présidentielle de décembre 2016 face à Adama Barrow.

Parmi les insiders interrogés par TRIAL International et Human Rights Watch, figurent certains des plus hauts gradés de la sécurité du régime gambien de l'époque. Plusieurs responsables qui étaient présents au moment de l'arrestation, de la mise en détention et du transfert des migrants, ont été interrogés. Un ancien Jungler qui a été témoin des assassinats et deux officiers qui ont participé au camouflage du crime ont aussi été entendus. Par ailleurs, un autre ex-Jungler a donné une longue interview radiodiffusée.

Ces migrants ouest-africains n'ont pas été assassinés par des éléments incontrôlés mais par un escadron de la mort qui recevait ses ordres directement du président Jammeh.
Reed Brody

Conseiller juridique

Selon les renseignements donnés par les témoins, les migrants qui faisaient route vers l’Europe – y compris 44 Ghanéens et plusieurs Nigérians – ont été transférés en juillet 2005 de la plage sur laquelle ils avaient été arrêtés vers le quartier-général de la Marine gambienne, en présence de nombreux officiels des forces de sécurité, parmi lesquels le directeur général de l’Agence nationale de renseignement (National Intelligence Agency, NIA) et le commandant de la garde nationale, tous deux en contact téléphonique avec le président. Plusieurs «Junglers» étaient en outre sur place. En l’espace d’une semaine, ceux-ci ont exécuté sommairement huit migrants près de la capitale Banjul et les autres le long de la frontière sénégalaise.

Martin Kyere a été détenu dans un poste de police de Banjul, puis emmené dans une forêt à bord d'un véhicule. En février 2018, il a expliqué à Human Rights Watch et à TRIAL International comment il a réussi à s'échapper, juste avant que d'autres migrants soient apparemment assassinés.

« Nous étions à l'arrière d'un pick-up », a-t-il témoigné. «Un homme s'est plaint du fait que les fils métalliques qui nous entravaient étaient trop serrés, et un soldat lui a donné un coup de coutelas à l'épaule, lui tailladant le bras, et il s'est mis à saigner abondamment. C'est à ce moment-là que j'ai pensé : ‘Nous allons mourir.’ Mais alors que la camionnette s'enfonçait dans la forêt, j'ai réussi à délier mes mains. J'ai sauté du pick-up et j'ai couru dans la forêt. Les militaires ont tiré dans ma direction mais j'ai réussi à me cacher. Puis j'ai entendu des coups de feu provenant du pick-up et le cri, en twi [langue ghanéenne]: ‘Que Dieu nous vienne en aide!’»

Martin Kyere, un Ghanéen qui a survécu à un massacre perpétré en Gambie en 2005, photographié en février 2018 au cimetière d'Accra où reposent six corps rapatriés de la Gambie. © 2018 Bénédict De Moerloose/TRIAL International

Kyere a aidé les autorités ghanéennes à identifier un grand nombre de morts et a sillonné le Ghana afin de localiser les familles des victimes, et promouvoir les efforts visant à obtenir justice.

En dépit des mesures prises au cours des années suivantes par le Ghana, ainsi que par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et les Nations Unies (ONU), afin d’enquêter sur cette affaire, aucune arrestation n'a jamais eu lieu.

Un rapport conjoint de la CEDEAO et de l’ONU, qui n’a jamais été rendu public, avait conclu que le gouvernement gambien n'était pas « impliqué directement ou indirectement » dans les assassinats et les disparitions et que des « éléments incontrôlés » au sein des services de sécurité gambiens, «agissant pour leur propre compte », en étaient responsables.

Les nouveaux éléments de preuve montrent toutefois que les individus responsables de ces meurtres n’étaient pas des « éléments incontrôlés », mais des Junglers, membres d’une unité disciplinée sous les ordres de Jammeh.

En octobre 2017, des organisations de défense des droits humains gambiennes et internationales, dont Human Rights Watch et TRIAL International, ont lancé la « Coalition pour le jugement de Yahya Jammeh et ses complices » (#Jammeh2Justice), qui appelle à l'ouverture de poursuites contre l’ancien président et ceux qui portent la responsabilité la plus lourde pour les crimes commis par son gouvernement, dans le respect des normes internationales.

Le président gambien Adama Barrow a laissé entendre qu'il solliciterait l'extradition de Jammeh auprès de la Guinée équatoriale si des poursuites à son encontre étaient recommandées par la Commission vérité, réconciliation et réparations, qui doit commencer ses travaux ces prochains mois en Gambie. Toutefois, le gouvernement, ainsi que des activistes et experts internationaux, considèrent que les conditions politiques, institutionnelles et sécuritaires nécessaires ne sont pas encore réunies en Gambie pour que puisse s'y tenir un procès équitable de Yahya Jammeh qui contribuerait à la stabilité du pays et de la région.

Le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, s’est montré pour sa part plus frileux. Après avoir déclaré en janvier 2018 : « S’il y a quelque demande [d’extradition], je vais l’analyser avec mes juristes », il a changé de ton une semaine plus tard, en affirmant  vouloir protéger Yahya Jammeh de sorte à offrir «une garantie pour que les autres chefs d’Etat qui doivent quitter le pouvoir n’aient pas peur des harcèlements qu’ils pourraient subir après».

La famille de Peter Mensah, disparu en Gambie, photographiée à Akumadan, au Ghana, en avril 2018. © 2018 Privé

Des organisations ghanéennes ont rappelé que la Convention des Nations Unies contre la torture, ratifiée par la Guinée équatoriale, oblige un pays sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d'actes de torture, soit à référer cette personne à la justice pour enquête, soit à l’extrader.

« Notre enquête nous a permis de nous rapprocher de la vérité au sujet de cet horrible massacre », a déclaré Bénédict De Moerloose, responsable du département Droit pénal et enquêtes au sein de TRIAL International. « Le moment est maintenant venu de rendre justice aux victimes et à leurs familles. »

Pour plus d’informations sur la Campagne pour traduire Yahya Jammeh et ses complices en justice veuillez suivre le lien :
https://www.facebook.com/Jammeh2Justice/

Pour des informations plus détaillées sur les meurtres ainsi que des témoignages des personnes interrogées, veuillez consulter la section ci-dessous.

Les meurtres de juillet 2005

Le 22 juillet 2005, les forces de police gambiennes arrêtent entre 50 et 56 étrangers à Barra, ville située en face de Banjul sur la rive opposée du fleuve Gambie. Il est difficile de chiffrer le groupe avec exactitude mais il aurait compris environ 44 Ghanéens, jusqu’á dix Nigérians, deux Sénégalais, deux Ivoiriens et un Togolais.

Entre mars 2017 et mai 2018, Human Rights Watch et TRIAL ont conduit des entretiens, en Gambie et à l'extérieur du pays, avec trente anciens responsables de la sécurité gambienne, dont onze officiers directement impliqués dans l'incident, ainsi qu'avec Martin Kyere, le survivant, un autre Ghanéen qui a quitté le groupe avant les arrestations, avec les familles de quinze victimes ghanéennes, et avec deux des enquêteurs ghanéens. Les deux organisations ont également traduit une longue interview radiodiffusée d'un ancien Jungler, Bai Lowe.

Les migrants – dont deux femmes – étaient partis d'une plage située à Saly Mbour au Sénégal, à bord d'un canot à moteur de location, dans l'espoir de rejoindre un navire qui les emmènerait en Europe. Mais ils n'ont pas pu entrer en contact avec ce bateau et ont accosté à Barra, où ils ont été arrêtés par la police le 22 juillet – « Jour de la révolution » commémorant le coup d'État de Jammeh en 1994. « Ils nous ont fait mettre en ligne, en pointant leurs fusils sur nous, et nous ont escortés jusqu'au poste de police de Barra », raconte Martin Kyere.

Plusieurs responsables interrogés affirment qu'à l'époque, les services de renseignement gambiens avaient reçu des informations selon lesquelles un coup d'État était en cours de préparation et ils ont pu confondre les migrants avec des mercenaires.

Au même moment, le président et ses ministres, les chefs des forces de sécurité gambiennes, ainsi que des dignitaires civils, assistent à un événement organisé sur la Place du 22 juillet à Banjul. Selon plusieurs témoins, l'Inspecteur général de la police, Ousman Sonko – actuellement détenu en Suisse sous l'inculpation de crimes contre l'humanité – reçoit alors un appel téléphonique l'informant que des étrangers viennent d'être appréhendés. L’information est passée au président, qui se lève et quitte les lieux pour regagner la présidence toute proche, accompagné de ses gardes du corps.

Sonko aurait alors demandé à la Marine de transférer le groupe de migrants en bateau de Barra au quartier général de la Marine à Banjul. Une embarcation de la Marine nationale, le Fatima I, fait deux voyages. Martin Kyere fait partie du second et s’aperçoit en arrivant au quartier général que la plupart de ceux qui étaient du premier voyage avaient été passés à tabac et dépouillés de leurs possessions.

Un commandant affirme qu'au moins deux des responsables de haut rang présents au quartier général, Sonko et le directeur de l'Agence nationale de renseignement, Daba Marenah, ont appelé Jammeh du quartier général de la Marine.

Le chef et plusieurs membres des « Junglers », une unité paramilitaire officieuse d'environ douze à vingt-cinq soldats choisis parmi la Garde nationale, sont également présents au quartier général de la Marine. Ces troupes tirent leur nom du fait que nombre d’entre eux ont suivi un entrainement à la survie dans la jungle.  Ils étaient parfois aussi appelés « équipe de patrouille » car leurs tâches originales incluaient de patrouiller le long de la frontière entre la Gambie et le Sénégal à proximité de la résidence présidentielle de Kanilai. La Garde nationale, à laquelle les Junglers étaient rattachés, a joué un rôle clé dans la protection de Jammeh. Les soldats qui la constituaient recevaient un entraînement régulier de pays comme l’Iran, la Libye ou Taïwan. De leur création en 2003-2004 jusqu'à la chute de Jammeh en 2017, les Junglers ont été impliqués dans de graves violations des droits humains, notamment des actes de torture, des violences sexuelles, des disparitions forcées et des meurtres.

Yahya Jammeh est régulièrement en contact avec le chef des Junglers. Au moment des meurtres des migrants, Tumbul Tamba dirige l’unité. Selon un ancien Jungler, Tamba recevait des ordres opérationnels directement de Jammeh et réunissait ensuite ses troupes pour les informer sur l'opération à mener et leur communiquer les ordres de Jammeh. « Le patron a dit ‘finissez-en avec eux’ », avait coutume de dire Tamba pour transmettre les ordres d'exécution. « Tamba faisait rapport au président après chaque mission. »

Le 23 juillet 2005, les migrants sont séparés en groupes et emmenés en bus vers plusieurs lieux situés à Banjul, y compris au quartier général officieux des Junglers et dans plusieurs postes de police et casernes de l'armée. Martin Kyere a indiqué avoir été gardé en détention au poste de police de Bundung. La police arrête également Lamine Tunkara, un Gambien travaillant avec le capitaine du navire qui devait transporter les migrants vers l'Europe. Selon Martin Kyere, Lamine Tunkara était dans le même pick-up que lui en route pour Kanilai. Sa famille ne l'a jamais revu depuis.

Un premier groupe de migrants est emmené à bord de deux véhicules du poste de police de Kanifing à Brufut, dans la banlieue de Banjul. Un ancien Jungler affirme que huit migrants ont alors été exécutés par sept Junglers, assistés de plusieurs militaires de l'armée, à l'aide de machettes, de haches, de couteaux et de bâtons. Leurs corps sont ensuite abandonnés dans la brousse près de Ghanatown, à Brufut. Un ancien Jungler qui se trouvait sur les lieux au moment des meurtres indique que les migrants étaient entravés lorsqu’ils ont été massacrés. Un ancien commissaire de police arrivé sur la scène confirme l’étendue des blessures sur les corps. « La tête de l’un d’eux avait été fracassée avec quelque chose de lourd… un autre avait le visage complètement détruit, du sang coulait des oreilles, du nez, des yeux d’un troisième… » Selon deux anciens Junglers, une directive de Jammeh émise après le meurtre en 2004 du journaliste Deyda Hydara interdisait aux forces spéciales d'utiliser des armes à feu dans les exécutions en Gambie. La découverte de huit corps portant des traces de coupures et de plaies traumatiques a été évoquée dans la presse gambienne.

Selon de nombreux témoignages, deux migrants ghanéens qui avaient réussi à s'échapper cherchent refuge à Ghanatown. Mais ils sont ensuite remis à la police par les chefs de la communauté locale. Depuis lors, personne ne les a jamais revus.

Les autres migrants, au nombre de 45 environ, sont gardés plusieurs jours dans différents lieux de détention à Banjul, apparemment le temps que des enquêtes plus poussées soient conduites. Environ une semaine plus tard, plusieurs Junglers les rassemblent pour les emmener dans la ville de Kuloro. De là, ils ont conduit vers Kanilai à bord de plusieurs pick-ups et autres véhicules.

Arrivés de l'autre côté de la frontière sud de la Gambie, dans la région sénégalaise de Casamance, deux Junglers couvrent la tête des migrants avec des sacs en plastique et les abattent sur ordre de par Tamba, leur chef. Ils étaient autorisés à utiliser leurs armes à feu puisqu’ils se trouvaient hors de la Gambie. Les cadavres sont jetés dans des puits à proximité, dont un situé dans un village abandonné au Sénégal, et un autre près de la résidence de Jammeh à Kanilai. L'un des Junglers ayant participé à ces actions a indiqué à Human Rights Watch et à TRIAL International que les puits ont été recouverts de pierres par la suite. Cette zone située de l'autre côté de la frontière avait déjà servi aux Junglers pour commettre des meurtres et abandonner des cadavres dans au moins deux autres cas.

Bai Lowe, l’un des anciens Junglers, a raconté lors d'une interview à une station de radio:

« Tumbul [Tamba] a donné l’ordre suivant : Que les types [les deux Junglers] disent : « On va vous tuer, dans l'intérêt de notre nation. » Il a expliqué qu'un fois qu'ils auront dit cela, alors ces gars ne seront pas responsables, c'est la Gambie en tant que nation qui sera responsable... « Il y a de vieux puits dans la brousse [au Sénégal] appartenant aux Fulas [un groupe ethnique de pasteurs], qui y puisent de l'eau pour leurs vaches. Deux gars vont vous emmener au puits, vous exécuter et vous jeter dans le puits. C'est là que je les ai vus utiliser un pistolet pour tuer … Ils vous mettent un sac en plastique sur la tête, vous abattent et vous jettent dans le puits ... Ils ont tué jusqu'à 40 personnes. »

C’est alors que l'un des migrants parvient à s’échapper. Mais il est rapidement recapturé à Kankurang, près de Kanilai. Selon Bai Lowe, un autre Jungler a littéralement découpé le fugitif avec son coutelas. Son corps démembré est ensuite mis dans un sac en plastique.

Après ces meurtres, le président Yahya Jammeh fait cadeau de deux taureaux au quartier général de la Marine. Un Inspecteur général de la police qui a ultérieurement enquêté sur cette affaire et avec qui Human Rights Watch et TRIAL International se sont entretenus, a supposé que c'était pour remercier la Marine pour son « bon travail. »

Martin Kyere affirme qu'il a été placé à l'arrière d'une camionnette pick-up à double cabine blanche, avec six autres migrants et Lamine Tunkara. Le véhicule a d'abord emprunté une grande route, puis une piste en terre qui s'enfonçait dans la forêt, où il s’est échappé. Il passe ensuite plusieurs jours à errer dans la forêt avant d'arriver à un village au Sénégal où il reçoit un peu de nourriture. De là, il se rend dans la ville de Bounkiling et rapporte l'incident à la gendarmerie sénégalaise.

Il reçoit des soins à l'hôpital local ainsi qu’un peu d'argent et des documents de voyage pour pouvoir se rendre à Dakar. Dans la capitale, il aide l'ambassade du Ghana à identifier les personnes avec qui il avait voyagé et qui étaient présumées avoir été tuées. De retour au Ghana, il localise de nombreuses familles de victimes et, avec l'appui de l'Initiative du Commonwealth pour les droits humains (Commonwealth Human Rights Initiative, CHRI), il fait campagne pour obtenir justice, organisant des défilés et des manifestations qui ont permis de maintenir cette affaire dans l'actualité.

Enquêtes internationales et destruction d'éléments de preuve

Ces assassinats sont rapidement devenus une source de tension entre le Ghana et la Gambie, en particulier après que les autorités gambiennes ont refusé d'enquêter sur cette affaire malgré les demandes répétées du gouvernement ghanéen. En août 2005, lors de la visite en Gambie d'une délégation dirigée par le ministre des Affaires étrangères d'alors – actuellement président – Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, le ministre gambien des affaires étrangères avait émis l'hypothèse que les huit migrants dont les corps avaient été retrouvés avaient pu être victimes de meurtres rituels. Selon les Ghanéens, Jammeh a « démenti catégoriquement toute implication du gouvernement gambien. »

Le gouvernement gambien a fini par accepter qu'une commission d'enquête ghanéenne visite le pays, ce qu'elle a fait en mars 2006. Mais, selon un extrait de son rapport jamais rendu public reproduit dans un journal ghanéen: « les tentatives des membres de l'équipe ghanéenne de rencontrer les responsables gambiens de haut rang dont les fonctions avaient un rapport avec le sujet de leur visite se sont enlisées dans plusieurs couches de bureaucratie… et il est vite devenu évident que les Gambiens n'honoreraient pas leur engagement d'enquêter conjointement sur l'affaire en question. » Au moment où une commission a été constituée en 2008 pour enquêter sur les assassinats, le gouvernement gambien avait déjà pris des mesures visant à détruire les éléments de preuve existants concernant cette affaire.

Essa Badjie, nommé au poste d’Inspecteur général de la police en juillet 2008, a selon trois sources, détruit la main courante du poste de police de Barra, en a rédigé une nouvelle et l'a anti-datée. Ultérieurement, après l’arrestation de Badjie à la suite d'un différend avec Jammeh, il a affirmé à un ami que Jammeh lui avait donné personnellement l'instruction de falsifier les documents d'archives.

Peu de temps avant l'arrivée de la mission conjointe CEDEAO/ONU en Gambie, Essa Badjie et le coordinateur de la gestion des affaires criminelles auraient rencontré plusieurs responsables de haut rang qui avait été impliqués dans l'affaire de 2005 au quartier général de la police, et les ont mis en garde contre toute déclaration qui pourrait incriminer le gouvernement.

« Essa Badjie a expliqué que ‘La Gambie appartient à nous tous, nous ne devons pas voir la Gambie diffamée ou détruite par quiconque, nous devons faire de notre mieux pour le pays’ », à en croire le témoignage d'un ancien officier de haut rang. « Il m'a dit qu'une commission d'enquête allait venir pour enquêter sur les Ghanéens. Il ne voulait pas que [nous] disions quoi que ce soit qui puisse mettre en danger l'intégrité du pays. »

Un autre ancien officier supérieur de l'armée a déclaré : « Le message était ‘faites disparaître les éléments de preuve incriminants.’ Ils ont demandé à voir le livre de bord du bateau. » Les deux hommes ont saisi et détruit les passages pertinents des livres de bord de l'embarcation de la Marine.

En 2009, la Gambie et le Ghana ont signé un Mémorandum d'accord reconnaissant que le gouvernement gambien n'était pas impliqué dans les meurtres. Le texte souligne pourtant que celui-ci verserait des indemnités aux familles à titre humanitaire. Jammeh avait alors déclaré que les conclusions du rapport de la mission conjointe CEDEAO/ONU « disculpaient » son gouvernement. À l'époque, le ministre ghanéen des Affaires étrangères, Alhaji Muhammad Mumuni, a exprimé son scepticisme au sujet de ces conclusions, mais a accepté le rapport afin de permettre aux familles de tourner la page et de restaurer les relations entre les deux pays. La Gambie a versé 500 000 dollars d'indemnités au Ghana, qui a donné 10 000 cedis du Ghana (environ 6 800 dollars au taux de change de 2009) à chacune des quelques 27 familles de victimes. Six dépouilles mortelles ont été rendues au Ghana. Human Rights Watch et TRIAL International n'ont pas été en mesure d'établir avec certitude si les corps transférés étaient effectivement ceux des Ghanéens assassinés.

Selon le Mémorandum d'accord qui a suivi le rapport, « le Ghana et la Gambie se sont tous deux engagés à poursuivre leurs efforts avec tous les moyens disponibles en vue de l'arrestation et de la traduction en justice de tous les individus impliqués dans les meurtres et disparitions des Ghanéens et des autres citoyens de la CEDEAO, en particulier de ceux qui sont identifiés comme responsables dans le rapport ». Cependant, aucune arrestation n'a été effectuée en rapport avec cette affaire.

 
 

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