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Pour combattre le populisme, Macron doit balayer devant sa porte

Pour lutter contre les partis xénophobes, il va lui falloir commencer par reconsidérer ses propres choix politiques

Publié dans: Slate

 Le président français Emmanuel Macron prononce un discours avant un débat sur le futur de l’Europe au Parlement européen à Strasbourg (France), le 17 avril 2018 © 2018 REUTERS/Vincent Kessler
Une grande partie des journalistes politiques et des universitairespartagent la conviction qu’un homme, le président français Emmanuel Macron, est capable de contenir la marée de populisme de la droite radicale en train de déferler sur l’Europe. Le 17 avril dernier, à l'occasion d'un grand discours devant le Parlement européen, Macron a mis en avant sa crédibilité de principal défenseur de la démocratie libérale sur le continent. Le coeur de son message était qu’il fallait répondre à la montée des populistes non pas avec une «démocratie autoritaire, mais l’autorité de la démocratie».

Les défis sont réels: les partis établis de centre-gauche sont sur le déclindans tout le continent. Ils ont atteint des scores d’une faiblesse historique aux élections aux Pays-Bas l’année dernière et dans les sondages en Allemagne en février, et ont vu leur électorat divisé par deux en Italie au mois de mars. Les partis de centre-droit qui remportent le plus de succès électoraux, aux Pays-Bas et en Autriche, par exemple, semblent proposerune variation aseptisée et politiquement opportuniste du populisme de la droite radicale. Ces centristes disent offrir une alternative responsable pour la question de l’immigration, tout en tenant un discours et en imaginant une politique qui exacerbent et se servent des peurs autour des migrations et du terrorisme si habilement exploitées par l’extrême droite.

D’ici l’été, les populistes de la droite radicale pourraient avoir accédé au pouvoir ou avoir gagné de l'influence dans le cadre de coalitions dans un chapelet de pays du nord au sud de l’Union européenne, de la Pologne à l'Italie en passant par la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et l’Autriche. L’émergence de ces partis représente une menace pour les droits humains fondamentaux –et tout particulièrement pour ceux destinés à protéger les minorités diabolisées– ainsi que pour les institutions démocratiques elles-mêmes.

L'agression au couteau du week-end dernier à Paris, considérée comme un attentat terroriste, rappelle à quel point assurer la sécurité du public est une tâche ardue pour les autorités françaises. Néanmoins, la protection du public ne doit pas être utilisée comme prétexte pour rogner les droits des citoyens.

Les gouvernements voient leur crédibilité de protecteurs des droits humains mise à l’épreuve par la manière dont ils défendent des principes apparemment abstraits tels que l’État de droit et les contrepouvoirs face à des populistes qui appellent à les abandonner au nom de la sécurité publique. Le triomphe de Macron sur Marine Le Pen lors de l'élection présidentielle de 2017 a paru offrir une alternative réelle, et par-dessus tout, populaire, aux populistes xénophobes de France et d'au-delà. En qualifiant Marine Le Pen de «grande prêtresse de la peur» lors d’un débat télévisé, Macron a transmis au public français le message que lui représentait un autre genre de politique.

Il faut reconnaître à Macron le mérite de défendre les valeurs fondatrices de l’Union européenne face aux gouvernements de l’UE qui semblent saper joyeusement les institutions démocratiques, les droits humains et l’État de droit. Il a ouvertement critiqué les gouvernements de Pologne et de Hongrie qui érodent l’indépendance du pouvoir judiciaire et cherchent à faire taire les voix critiques dans la société civile. Mais s’il veut que sa prise de position en faveur des valeurs européennes soit prise au sérieux, le président français doit s’assurer que les actes mis en œuvre sur son propre territoire sont explicitement en accord avec ces valeurs.

Un an après la victoire électorale de Macron, son bilan est vraiment mitigé en termes de respect des droits humains et des principes démocratiques de base. Le projet de loi sur l’immigration, qui a été voté par l’Assemblée nationale le 22 avril, montre comment Macron est capable à la fois de de louer la politique progressiste de l’Allemagne dans le domaine des réfugiés et d’appliquer lui-même une politique plus draconienne sur le sol national.

Cette loi double la période maximale de rétention administrative pour les étrangers susceptibles d’être reconduits à la frontière, la faisant passer de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, ce qui est contraire à unerecommandation claire de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. En réalité, cette mesure s’avère une pure posture politique; les chiffres fournis par des ONG montrent qu’en 2016, les expulsions avaient lieu en moyenne après seulement douze jours de rétention.

Cette loi autorise en outre la rétention d’enfant en attente d’expulsion, malgré des critiques répétées de la Cour européenne des droits de l’homme envers la France. Et elle restreint sérieusement le droit d’appel des demandeurs d’asile, tout en réintroduisant la possibilité d’expulser des personnes qui ont encore un recours en appel en instance, ce qui heureusement n’était plus possible depuis 2015. Une micro-rébellion a eu lieu au sein du propre parti de Macron, La République en Marche, lorsqu’une poignée de députés se sont abstenus, défiant ouvertement la ligne du parti. Pourtant le projet de loi a été voté à 228 voix contre 139, avec 24 abstentions, et il ne devrait pas tarder à être présenté au Sénat.

La loi a été votée le week-end même où des activistes d’extrême droite ont organisé un coup monté publicitaire dans les Alpes. Ils ont affrété des hélicoptères et envoyé des patrouilles arrêter des migrants qui tentaient de passer d’Italie en France par la montagne. Or, au lieu de s’opposer à l’esprit milicien xénophobe et mal informé de ces activistes, cette loi joue leur jeu et fait paraître leurs craintes comme légitimes.

La ligne dure de Macron sur l’immigration est peut-être le mieux incarnée par Richard Ferrand, le chef de son parti à l’Assemblée nationale, qui s’estexclamé«On ne fait jamais d’omelette sans casser des œufs et s’il faut casser des œufs, je le ferai». Le message venu d’en haut semble être: oui, il est possible que des enfants soient enfermés et que des gens soient injustement expulsés, mais c’est nécessaire si on veut faire preuve de fermeté. Dans la lutte à long terme contre les populistes d’extrême droite, ce genre de «fermeté» est contre-productive. Elle légitime leurs griefs parce qu’elle traite les droits des migrants comme des monnaies d’échange et abandonne des principes établis de longue date, comme le droit de faire appel de décisions des gouvernements par le biais des tribunaux.

En matière de lutte contre le terrorisme, le bilan législatif de Macron est du même tonneau. La nouvelle loi anti-terroriste française est entrée en vigueur le 1er novembre 2017, mettant officiellement fin à l’état d’urgence qui avait duré presque deux ans après les attentats terroristes de Paris de novembre 2015.

Pendant ces deux années, l’État de droit normal a été suspendu au nom de la lutte contre le terrorisme et les forces de sécurité françaises ont réagi de manière disproportionnée en se livrant à de nombreux abus. Elles ont conduit plus de 4.000 perquisitions, souvent sans mandat, délivré plus de 700 assignations à résidence ou réduit la liberté de mouvement de personnes soupçonnées d’avoir des liens avec le terrorisme, fermé des lieux de culte de façon arbitraire et imposé des restrictions à des manifestations pacifiques. Des recherches menées par Human Rights Watch et d’autres groupes montrent qu’un grand nombre de ces pratiques maladroites ciblaient et stigmatisaient les communautés musulmanes.

Le fait que la France ait suspendu son engagement à certains des droits inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme n’a pas empêché Macron de faire un discours devant la Cour européenne des droits de l’homme la veille de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et d’assurer à ses critiques qu'elle restaurerait l’État de droit. Mais elle ne l’a pas fait.

En réalité, la nouvelle loi inscrit dans le droit pénal et administratifordinaire un bon nombre des pouvoirs et des pratiques exceptionnelles de l’état d’urgence. Elle comporte une clause très floue qui permet aux préfets de police d’ordonner la fermeture d’un lieu de culte –pouvoir utilisé jusqu'à présent exclusivement contre des mosquées ou des groupes de prière musulmans– et une possibilité énoncée en termes vagues autorisant la fouille sans mandat de personnes dans un rayon de 10km autour des ports, aéroports et gares internationales. Ces mesures risquent d’exacerber des divisions et des méfiances préexistantes, tout particulièrement dans des communauté musulmanes et migrantes déjà stigmatisées. Les recherches de Human Rights Watch montrent que les forces de l’ordre française exercent depuis longtemps des discriminations ethniques et raciales lors de leurs contrôles d’identité, tout particulièrement dans les zones économiquement défavorisées.

Consolider l’État de droit pour le défendre des attaques des populistes ne devrait pas impliquer de déchirer les règles du jeu ou de les réécrire de façon radicale. Plutôt que de faire voter des lois et des politiques qui ébranlent les droits et exacerbent les divisions, le gouvernement de Macron ferait mieux de s’occuper des inégalités qui contribuent à alimenter le soutien aux solutions simplistes du Front national.

Aussi curieux que cela paraisse lorsqu’on entend à quel point les populistes tirent un maximum de parti de la méfiance du peuple à l’égard des élites, il vaut la peine de prêter attention à ce qu’ont à dire les économistes de la Banque mondiale. Leur rapport, publié en mars dernier, reconnaît l’existence des inégalités en Europe et appelle à une plus grande inclusion des laissés-pour-compte du progrès technologique.

Macron a annoncé des réformes visant à aborder les problèmes de l’exclusion et du manque de mobilité dans l’échelle sociale, mais ses projets de gestion de la pauvreté et des problèmes des banlieues [en français dans le texte, ndlt], par le biais de programmes de retour à l’emploi pour les chômeurs, ainsi que ceux visant à remanier le système de logement social rouillé, n’en sont qu’à leurs balbutiements.

Pour le moment, les principales associations d’aide aux plus démunis et aux sans-abris estiment, inquiètes, que les réformes des politiques sociales de Macron sont en train d’emmener la France dans la mauvaise direction. Son gouvernement semble dégrader les conditions de vie des retraités et des citoyens aux revenus modestes. Le gouvernement de Macron a réduit les allocations logement dont dépendent environ 10% des habitants en France –geste qui a peu de chance de convaincre les électeurs qu’il a l’intention d’améliorer les droits sociaux et économiques de tout un chacun. Macron est peut-être également en train d’apprendre que traiter de «fainéants» celles et ceux que les progrès technologiques ont laissés sur le bas-côté de la route et ceux qui s’opposent à ses choix en matière de travail et de politique sociale ne va pas plaider en sa faveur.

Et puis il y a la question du racisme, que les statistiques officielles et les journalistes politiques français préfèreraient ignorer. Cependant, un fait dérangeant persiste: les jeunes issus de minorités ethniques subissent une discrimination permanente exercée par la police dans ces fameuses banlieues, et ils sont desservis par le fait de ne pas porter le bon nom ou d’avoir grandi au mauvais endroit. Améliorer la qualité des écoles et faciliter l’accès à l’emploi pour les jeunes –quelles que soient leur couleur ou leur religion– pourrait aider à promouvoir l’intégration sociale dans les zones défavorisées et prévenir les divisions sociales exploitées à dessein par les populistes. Un récent rapport à grande échelle sur les quartiers défavorisés, commandé l’année dernière par Macron et publié par le vétéran de la politique Jean-Louis Borloo en avril, brosse un tableau catastrophique du chômage des jeunes, des services inadaptés et de la discrimination dans les banlieues. Dans l’ensemble, les maires de ces zones urbaines ont approuvé les conclusions de ce rapport mais la réaction du gouvernement est pour l’instant restée bien tiède.

La victoire de Macron face à Le Pen l’année dernière a fait naître un potentiel capable d’engendrer un rempart contre le populisme de la droite radicale en Europe. Mais son programme législatif de «fermeté» risque, en voulant gérer précisément les peurs qu’ils attisent, de faire directement le jeu des populistes en empruntant leur discours anti-immigration et leur boîte à outil réactionnaire.

S’il veut proposer une réelle alternative, Macron doit commencer par s’occuper de certaines politiques profondément défaillantes de son propre gouvernement en matière d’immigration, de contre-terrorisme et d’intégration. Et avant tout, il doit protéger les principes de défense des droits humains et s’occuper des problèmes de peur, de violence et d’injustices qui jettent les électeurs dans les bras des populistes d’extrême droite.

C’est là, dans cette vision pluraliste, que repose l’autorité de la démocratie.

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