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Arabie saoudite : Dix questions auxquelles le prince héritier doit répondre

Les dirigeants mondiaux et les journalistes devraient exiger des comptes pour les violations des droits humains


(Beyrouth, le 28 octobre 2018) – La reconnaissance par l'Arabie saoudite que le journaliste Jamal Khashoggi a été tué par des représentants de son gouvernement dans les locaux du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul le 2 octobre 2018 a donné un coup de projecteur intense, quoique tardif, sur le bilan de ce pays en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les gouvernements étrangers devraient exiger que l'Arabie saoudite rende des comptes au sujet de ses violations des droits humains.

Mohammed ben Salmane, prince héritier du Royaume d'Arabie saoudite, photographié au siège des Nations Unies à New York, le 27 mars 2018. © 2018 Albin Lohr-Jones/Pacific Press/LightRocket via Getty Images
« Le meurtre particulièrement violent de Jamal Khashoggi n'est pas simplement le résultat d'une mission qui aurait mal tourné, mais plutôt la conséquence du mépris total de l'Arabie saoudite pour les droits humains et de sa conviction que les règles de l'État de droit ne s'appliquent ni au prince héritier, Mohammed ben Salmane, ni à ses autres dirigeants », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le monde devrait saisir cette occasion pour exiger que l'Arabie saoudite non seulement mette fin à ses graves violations des droits humains et à ses pratiques néfastes qui, pour la plupart, se poursuivent depuis des décennies, mais aussi fasse justice pour tout cela. »

Dix questions:

  1. Pourquoi la coalition dirigée par l'Arabie saoudite qui est engagée dans des opérations militaires au Yémen continue-t-elle de mener des attaques illégales et s'abstient-elle d'enquêter de manière appropriée et de fournir réparation aux victimes civiles ?

Des habitants de Saada, dans le nord du Yémen, regardent l’épave calcinée d’un bus scolaire le 12 août 2018, trois jours après une frappe aérienne qui a touché ce bus, tuant des dizaines de garçons et en blessant d'autres. © 2018 Mohammed Hamoud/Getty Images
L'Arabie saoudite dirige la coalition militaire qui a entamé en mars 2015 des opérations au Yémen contre le groupe armé Houthi, qui avait pris le contrôle d'une grande partie du pays. Cette coalition a commis de nombreuses violations du droit international humanitaire, y compris apparemment des crimes de guerre, et a failli à sa responsabilité de mener des enquêtes véritables et impartiales sur ces violations présumées. Le travail de l'Équipe d'évaluation conjointe (Joint Incidents Assessment Team, JIAT), créée par la coalition en 2016, est loin de respecter les normes internationales en matière de transparence, d’impartialité et d’indépendance. À fin septembre 2018, cette équipe avait exonéré la coalition de toute faute dans la grande majorité des frappes aériennes sur lesquelles elle avait enquêté. Quoique la JIAT ait recommandé, au sujet de quelques frappes, que la coalition fournisse « une assistance » ou prenne « des mesures appropriées », Human Rights Watch n'a connaissance d'aucune décision concrète prise par la coalition pour mettre en œuvre un processus de compensation ou pour faire rendre des comptes en justice à des individus pour de possibles crimes de guerre.

  1. Pourquoi l'Arabie saoudite a-t-elle emprisonné d'éminentes activistes des droits des femmes et quand les remettra-t-elle en liberté ?

L'activiste saoudienne Samar Badawi, lauréate du prix « International Women of Courage 2012 », photographiée entre Michelle Obama et Hillary Clinton le 8 mars 2012 au siège du Département d'État américain à Washington. © 2012 Getty Images
En mai, alors que les autorités saoudiennes s'apprêtaient à lever le 24 juin l'interdiction de conduire pour les femmes, le gouvernement a lancé une répression coordonnée et de grande ampleur contre le mouvement pour les droits des femmes. Les autorités ont arrêté au moins 13 activistes renommées des droits des femmes et ont accusé plusieurs d'entre elles de graves crimes sur la base de leur activisme pacifique. Les médias pro-gouvernementaux ont lancé une campagne contre elles, les qualifiant de « traîtresses. » Au moins neuf femmes sont toujours détenues sans faire l'objet d'inculpation, quoique certains chefs d'inculpation qui pourraient être retenus contre elles les rendraient passibles de peines de prison pouvant aller jusqu'à 20 ans. Ces neuf femmes sont: Loujain al-Hathloul, Aziza al-Yousef, Eman al-Nafjan, Nouf Abdelaziz, Mayaa al-Zahrani, Hatoon al-Fassi, Samar Badawi, Nassema al-Sadah et Amal al-Harbi. 

  1. Pourquoi l'Arabie saoudite s'en prend-elle à des dissidents et à des activistes pacifiques à l'étranger ?

L'activiste saoudienne Loujain al-Hathloul, au volant de sa voiture en 2014. © 2014 Loujain al-Hathloul / YouTube
Dès avant le meurtre de Khashoggi, les autorités saoudiennes avaient déjà la réputation de prendre pour cible des dissidents et des activistes hors des frontières du pays. Dans le cas le plus récent, en mars, selon des informations parues dans les médias, des agents de la sécurité saoudienne ont interpellé Loujain al-Hathloul, une activiste en vue, dans les Émirats arabes unis (EAU) où elle était étudiante, et l'ont promptement escortée vers un avion qui l'a ramenée à Riyadh. D'autres agents ont rapatrié son mari de l'époque, Fahad al-Butairi, de Jordanie, dans des circonstances semblables. Amnesty International et des activistes saoudiens vivant au Canada et au Royaume-Uni affirment avoir été pris pour cibles par l'Arabie saoudite à l'aide de programmes de cyber-espionnage malveillants. Les autorités saoudiennes ont également utilisé leur influence pour forcer des femmes qui fuyaient leurs familles à retourner en Arabie saoudite contre leur volonté. Parmi ces épisodes, certains ont fait l'objet de larges couvertures médiatiques comme le cas de Dina Ali, qui a été ramenée dans son pays en avril 2017 alors qu'elle était en transit aux Philippines.

  1. Pourquoi les autorités saoudiennes ont-elles assigné à résidence plus de 300 princes, hommes d'affaires et responsables gouvernementaux à partir de novembre 2017, dont beaucoup à l'hôtel Ritz Carlton, apparemment hors de toute procédure juridique régulière ?

Début novembre 2017, les autorités saoudiennes ont placé en résidence surveillée 381 personnes sur la base d'allégations de corruption, parmi lesquelles des personnalités de renom comme des princes, des chefs d'entreprise et des responsables gouvernementaux de haut rang. Les autorités en ont placé un grand nombre à l'hôtel Ritz Carlton de Riyadh et ont exigé, hors de toute procédure juridique identifiable dans laquelle les accusés pourraient se défendre de manière adéquate, qu'ils remettent leurs avoirs au gouvernement en échange de leur liberté. Selon une déclaration du gouvernement saoudien, seuls 56 ont refusé ce compromis et restent assignés à résidence – ils seront très probablement inculpés de crimes. En mars, le New York Times a affirmé que les autorités saoudiennes avaient eu recours à la « coercition et aux abus pour saisir des milliards », et que « jusqu'à 17 personnes assignées à résidence ont eu besoin de soins médicaux après avoir subi des sévices de la part de leurs gardes. »

  1. Pourquoi les femmes ont-elles encore besoin de l'autorisation d'un membre masculin de leur famille pour obtenir un passeport ou pour quitter le pays ?

Bien qu'elle ait adopté certaines réformes positives ces dernières années, l'Arabie saoudite n'a toujours pas supprimé le système de tutelle masculine. Dans ce système, les politiques et les pratiques ministérielles interdisent aux femmes d'obtenir un passeport, de se marier, de voyager ou d'être libérées de prison sans l'approbation d'un tuteur masculin, généralement un mari, un père, un frère ou un fils. En outre, le gouvernement ne sanctionne pas les individus ou les entreprises, notamment les employeurs ou les hôpitaux, s'ils continuent d'exiger l'autorisation d'un tuteur pour donner à une femme un emploi ou un accès à des soins médicaux.

  1. Pourquoi des activistes comme Raif Badawi, Waleed Abu al-Khair et Mohammed al-Qahtani purgent-ils des peines de prison de plus de 10 ans pour leur activisme pacifique ?

Les autorités saoudiennes engagent régulièrement des poursuites pénales contre des défenseurs des droits humains pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d'expression, en violation des obligations du pays au regard du droit international en matière de droits humains. Depuis 2014, les autorités saoudiennes ont engagé des procès contre de nombreux dissidents pour leur activisme pacifique devant la Cour pénale spéciale, le tribunal saoudien chargé des affaires de terrorisme, qui a condamné certains d'entre eux à des peines de prison de 10 ans ou plus. Les autorités ont engagé des poursuites judiciaires contre presque tous les activistes liés à l'Association saoudienne pour les droits civils et politiques (Saudi Civil and Political Rights Association, ACPRA), l'une des premières organisations civiques du pays, qui a appelé à de vastes réformes politiques dans l'interprétation du droit islamique.

  1. Pourquoi l'Arabie saoudite maintient-elle parfois des personnes soupçonnées de crime en détention provisoire pendant des mois, voire des années, sans qu'elles fassent l'objet d'une inculpation ou d'un procès ?

Les défenseurs saoudiens des droits humains Abdullah al-Hamid et Mohammed al-Qahtani, tenant des porte-documents, étaient photographiés en 2013 devant le tribunal pénal de Riyadh après une audience du procès les visant. Ils étaient entourés d'autres activistes, y compris Waleed Abu al-Khair (centre de la photo), et Sulaiman al-Rashoodi (deuxième à partir de la droite). © 2013 Privé
L'Arabie saoudite détient des milliers de personnes durant des périodes de plus de six mois, voire dans certains cas pendant plus d'une décennie, sans les traduire en justice dans le cadre de procédures pénales officielles. En avril, Human Rights Watch a analysé les informations contenues dans une base de données publique mise en ligne par le ministère saoudien de l'Intérieur, qui a révélé que les autorités avaient maintenu en détention 2 305 personnes faisant l'objet d'une enquête durant des périodes de plus de six mois sans les présenter devant un juge, dont 1 875 pendant plus d'un an, et 251 pendant plus de trois ans.

  1. Pourquoi le fait de critiquer le roi Salman ou le prince héritier, Mohammed ben Salmane, est-il considéré comme un crime de « terrorisme » en Arabie saoudite ?

La Loi antiterroriste de 2017 de l'Arabie saoudite contient des définitions vagues et trop générales de ce qui constitue un acte de terrorisme, dans certains cas passible de la peine de mort. Elle prévoit des peines de 5 à 10 ans de prison pour avoir décrit le roi ou le prince héritier, directement ou indirectement, « d'une façon qui jette le discrédit sur la religion ou la justice », et considère comme des crimes un grand nombre d'actes pacifiques qui n'ont aucun rapport avec le terrorisme.

  1. Pourquoi l'Arabie saoudite exécute-t-elle des personnes pour des crimes qui ne sont pas considérés comme les plus graves par le droit international ?

L'Arabie saoudite a exécuté plus de 650 personnes depuis le début de 2014, dont plus de 200 pour des crimes non violents liés à la drogue. Les normes internationales, y compris la Charte arabe des droits de l'homme, que l'Arabie saoudite a ratifiée, stipulent que les pays qui ont conservé la peine de mort dans leur arsenal judiciaire ne doivent l'utiliser que pour « les crimes les plus graves » et dans des circonstances exceptionnelles. En 2012, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a affirmé que les pays ne devraient pas recourir à la peine capitale pour punir les auteurs d'infractions liées à la drogue. En 2018, les autorités saoudiennes ont commencé à réclamer la peine de mort contre des dissidents lors de procès dans lesquels il n'y avait pas d'accusations de violence, notamment pour avoir soutenu des manifestations et pour affiliation présumée au mouvement des Frères musulmans.

  1. Pourquoi l'Arabie saoudite n'autorise-t-elle la pratique publique d'aucune autre religion que l'Islam et exerce-t-elle de fortes discriminations à l'encontre de sa communauté musulmane chiite ?

Une photo de l'activiste saoudienne Israa al-Ghomgham, prise quand elle était une jeune fille, et diffusée par un groupe la soutenant. © Privé / Twitter
L'Arabie saoudite ne tolère pas de pratiques publiques de la part des fidèles d'autres religions que l'Islam et elle exerce des discriminations systématiques à l'encontre des minorités religieuses musulmanes, notamment les chiites et les ismaëliens, y compris dans l'éducation publique, dans le système judiciaire et dans le domaine de l'emploi. Les autorités religieuses liées au gouvernement dénigrent les interprétations, versions et conceptions chiites et soufies de l'Islam dans leurs déclarations et documents publics. Des dizaines de Saoudiens chiites sont maintenus en prison, simplement pour avoir participé depuis 2011 à des manifestations pour réclamer une égalité totale et des droits fondamentaux pour tous les Saoudiens. Des procureurs ont récemment inculpé et réclamé la peine de mort contre cinq activistes de la province de l'Est, dont une femme militant pour les droits humains, Israa al-Ghomgham.

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