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Un milicien anti-balaka à Gambo, dans la province de Mboumou en République centrafricaine, le 16 août 2017.  © 2017 Alexis Huguet

Il ne fait aucun doute qu’un accord de paix pourrait apporter une transformation en République centrafricaine. Les groupes armés contrôlent 80 pour cent du territoire. Des dizaines de milliers de personnes dépérissent dans des camps de déplacés internes dans le centre du pays. Environ 1,2 million de personnes sont soit des réfugiés soit des déplacés internes.

Un optimisme prudent est donc apparu le mois dernier lorsque les parties ont signé un nouvel accord – le huitième depuis 2012 – à Khartoum sous l’égide de l’Union africaine. Mais certains signes inquiétants suggèrent que l’accord de paix commence à battre de l’aile. Cette semaine encore, des rapports ont fait état de combats dans la province de Basse Kotto entre des combattants de la Séléka de l’Unité pour la Paix en Centrafrique d’une part et les anti-balaka, d’autre part.

Quand la Séléka composée en majorité de musulmans a progressé vers Bangui à la fin de l’année 2012, elle a déclenché une nouvelle vague brutale de violences contre des civils. À la fin de l’année 2013, les milices anti-balaka chrétiennes et animistes ont commencé à organiser des contre-attaques. Mais dans ces attaques, les civils ont aussi été pris pour cible. Les deux camps ont exécuté des civils, ont violé des femmes et des filles ou les ont réduites à la condition d’esclaves sexuelles, ont pillé des maisons et ont détruit des villages et des quartiers entiers.

J’ai passé une grande partie des six dernières années à voyager dans le pays, à interroger les victimes et les membres de leur famille et à rencontrer les leaders de nombreux groupes armés à mesure qu’ils se scindaient, concluaient des alliances avec d’anciens ennemis et essayaient de se transformer en partis politiques. Dans toutes les conversations avec ces leaders, un refrain revenait constamment : « Ce n’est pas notre faute, donc nous ne devrions pas être tenus pour responsables de ce qui s’est passé. Si des civils ont souffert, nous devrions parler de réconciliation, pas de justice. La justice conduira uniquement à de nouveaux problèmes. »

Cette notion de justice était fondamentale, mais compliquée, à Khartoum. Un point d’achoppement clé était la question de l’amnistie, demandée par presque tous les groupes armés. Pendant les pourparlers, un porte-parole rebelle a déclaré sans détour aux journalistes : « Nous devons obtenir l’amnistie pour avoir la paix. ».

L’accord en lui-même a été signé quelques jours avant que le texte soit rendu public, alimentant la théorie selon laquelle le gouvernement national avait octroyé une large amnistie ou que les poursuites judiciaires allaient être gelées. En fin de compte, l’accord a été vague sur les mesures à prendre pour garantir la justice pour les atteintes graves aux droits humains, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Il ne mentionne pas de processus judiciaires spécifiques ni les efforts récents pour promouvoir la justice dans le pays.

Les représentants de certains des groupes armés m’ont expliqué qu’ils pensaient que cela signifiait qu’une amnistie leur était accordée, même si le mot n’est pas cité. Ils considèrent l’établissement d’une Commission vérité, justice, réparation et réconciliation comme une alternative à la responsabilisation pénale.

Mais ils ignorent que l’accord reconnaît clairement le rôle que l’impunité a joué dans la pérennisation des « cycles de violence ». Ce point important fait écho aux conclusions du Forum de Bangui, des consultations nationales qui ont eu lieu du 4 au 11 mai 2015 et qui ont réuni plus de 800 représentants de communautés et d’organisations non gouvernementales, de partis politiques et de groupes armés de tout le pays. Le forum a affirmé qu’« aucune amnistie » ne serait tolérée pour les responsables de crimes internationaux et pour ceux qui ont agi comme complices.

L’établissement d’une Commission de vérité n’empêche en aucun cas les systèmes judiciaires nationaux et internationaux de faire leur travail. Et de nombreuses avancées ont déjà été réalisées.

Parmi les efforts récents figure l’instauration d’un nouveau tribunal dans le système judiciaire national de la République centrafricaine pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Connu sous le nom de Cour pénale spéciale, il a formellement commencé son activité à la fin de l’année 2018. La Cour pénale internationale (CPI) a aussi ouvert une enquête sur les crimes commis depuis août 2012. À la fin de l’année dernière, la Cour a arrêté deux leaders de milices anti-balaka qui étaient parties au conflit, Alfred Yékatom et Patrice Edouard Ngaïssona. Le système judiciaire national continue ses poursuites à l’encontre des leaders et des combattants de la Séléka et anti-balaka dans des procès pénaux.

Les dividendes de la paix qui peuvent être obtenus grâce à l’accord sont plus que nécessaires. Tout comme le sont des poursuites équitables et crédibles pour les pires crimes afin que cessent les abus généralisés en République centrafricaine, alimentés par l’impunité.

Le gouvernement et ses partenaires internationaux devraient indiquer clairement aux groupes armés et aux civils qui souffrent depuis 2012 qu’une Commission de vérité n’équivaut pas à une amnistie. Pour ce faire, ils peuvent apporter un soutien continu au système judiciaire national, à la Cour pénale spéciale et à l’enquête et aux poursuites judiciaires de la CPI concernant les crimes graves perpétrés.

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