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CPI : Les juges refusent l’ouverture d’une enquête en Afghanistan

Cette décision représente un déni de justice pour les victimes et une victoire pour les États obstructionnistes

Le siège de la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas. © 2018 Marina Riera/Human Rights Watch

(La Haye, le 12 avril 2019) – La décision des juges de la Cour pénale internationale (CPI) de ne pas enquêter sur des allégations de crimes graves perpétrés en Afghanistan prive les victimes d’accès à la justice, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Le 12 avril 2019, une chambre préliminaire de la CPI a rejeté à l’unanimité la requête, présentée en novembre 2017 par la Procureure, Fatou Bensouda, d’ouvrir une enquête sur des crimes contre l’humanité présumés commis par les talibans et les allégations de crimes de guerre qu’auraient commis les forces de sécurité nationales afghanes, l’armée américaine et la Central Intelligence Agency (CIA). La requête portait sur les crimes commis depuis 2003, date à laquelle l’Afghanistan est devenu partie au Statut de Rome de la CPI.

« Le rejet par les juges de la CPI d’une enquête sur l’Afghanistan porte un coup dévastateur aux victimes de crimes graves en les privant de réparations », a déclaré Param-Preet Singh, directrice adjointe du programme Justice internationale de Human Rights Watch. « La logique suivie par les juges permet effectivement aux États parties de ne pas coopérer avec la Cour et adresse un message dangereux à tous les gouvernements, à savoir que des tactiques obstructionnistes peuvent les mettre hors d’atteinte du tribunal. »

La CPI est un tribunal de dernier recours pour les poursuites de crimes internationaux graves, lorsque les autorités nationales des pays concernés ne veulent ou ne peuvent ouvrir d’enquêtes. La Cour a reconnu qu’il existait un « base raisonnable » permettant de considérer que des crimes relevant de la compétence de la CPI auraient été commis en Afghanistan par les talibans, les forces afghanes et des ressortissants des États-Unis. Elle a également reconnu l’absence d’enquêtes et de poursuites à l’encontre les principaux auteurs de ces crimes.

Dans sa décision, cependant, la CPI conclut que « la situation actuelle en Afghanistan est telle qu’elle rend extrêmement difficile la réussite d’une enquête et de poursuites ». À la suite de cette décision, le Bureau du Procureur a déclaré qu’il « analysera plus en profondeur la décision et ses implications et examinera tous les recours juridiques qui s’offrent à lui ».

Les États-Unis ont menacé de s’opposer à toute enquête potentielle de la CPI pouvant porter atteinte à ses ressortissants ou à des alliés de Washington. En mars, le Secrétaire d’État américain Michael Pompeo avait annoncé que les États-Unis retreindraient la délivrance de visas aux personnels de la CPI en charge d’une éventuelle enquête en Afghanistan et Bensouda a confirmé le 5 avril la révocation de son visa. Les affirmations de l’administration Trump selon lesquelles la décision des juges de la CPI est une victoire pour cette politique et pour l’état de droit ne tiennent pas compte de l’impact qu’elle aura sur les dizaines de milliers de victimes afghanes privées d’accès à la justice, a déclaré Human Rights Watch.

La décision de la Cour reconnaît que 680 sur près 700 demandes déposées par les victimes « accueillent favorablement la perspective d’une enquête visant à faire traduire les coupables en justice, à prévenir la commission de crimes et à établir la vérité ».

Cependant, la décision de la chambre préliminaire de prendre en compte des facteurs politiques est inhabituelle, a déclaré Human Rights Watch. Selon l’organisation, elle prend note de « l’évolution de la situation politique tant en Afghanistan que dans les principaux États (parties et non-parties au Statut), auxquels s’ajoutent la complexité et l’instabilité du climat politique qui entoure toujours le scénario afghan ». Ceci empêche « une coopération significative de la part des autorités concernées…. qu’il s’agisse d’enquêtes ou de la remise de suspects ». La chambre prend également note de la coopération limitée de l’Afghanistan tout au long des onze années d’examen préliminaire par le Procureur ainsi que les ressources limitées du tribunal, et conclut qu’une enquête « ne servirait pas à ce stade les intérêts de la justice ».

La situation des droits humains en Afghanistan s’est détériorée avec l’intensification du conflit ces dernières années. En 2018, plus de 11 000 civils ont été tués ou blessés lors des combats. Les talibans et d’autres insurgés sont responsables de la majorité des attaques illégales perpétrées contre des civils. La torture pratiquée dans les centres de détention du gouvernement est en hausse. Un rapport des Nations Unies en date de mai 2017 faisait état de nombreuses allégations crédibles d’actes de torture, d’homicides extrajudiciaires et de disparitions forcées, entre autres abus. Le gouvernement n’a ouvert aucune poursuite contre de hauts responsables pour crimes de guerre ou violations des droits humains.

« En s’opposant à cette enquête, les juges de la CPI ont laissé des considérations politiques l’emporter sur le droit des victimes de voir leurs agresseurs être tenus pour comptables de leurs actes », a conclu Param-Preet Singh. « Convaincre les États de coopérer avec la Cour est un véritable défi, mais la décision du 11 avril est une invitation lancée aux gouvernements à entraver l’action de la CPI. »

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