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Tchad : Aucune réparation n’a été fournie aux victimes de l’ex-dictateur

La CADHP devrait insister sur le paiement des indemnités dues aux victimes du régime Habré

Des familles de victimes de l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré manifestent à Ndjaména, en 2005. © 2005 Stephanie Hancock/HRW

(Nairobi) – Le gouvernement tchadien n’a toujours pas exécuté une décision de justice de 2015 ordonnant réparation à plus de 7 000 victimes de crimes graves commis durant le régime de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, ont déclaré aujourd’hui quatre organisations de défense des droits humains. 

La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), qui examine actuellement à Banjul, en Gambie, le bilan du Tchad en matière des droits humains, devrait faire pression auprès du gouvernement tchadien pour qu’il respecte ses obligations envers les victimes de Hissène Habré.

« Cela fait quatre ans et le gouvernement tchadien n’a pas même commencé à exécuter la décision de la Cour », a déclaré Jacqueline Moudeïna, principale avocate des victimes et présidente de l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH). « C’est une insulte faite aux victimes et un affront à l’État de droit. »

Le 25 mars 2015, après trois mois de procès, la Cour d'appel de N'Djaména a condamné 20 agents du régime de Hissène Habré pour assassinats, tortures, séquestrations, et détentions arbitraires, parmi d’autres crimes. La Cour a également accordé aux 7 000 victimes la somme de 75 milliards de francs CFA (soit environ 140 millions de dollars US) à titre de dommages et intérêts, ordonnant au gouvernement d’en verser la moitié et aux agents condamnés d’en verser l’autre moitié.

Hissène Habré lui-même a été reconnu coupable en 2016 de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de torture, et notamment de viol et de violences sexuelles, par un tribunal spécial au Sénégal et condamné à la prison à perpétuité. Une chambre d’appel a confirmé cette condamnation en 2017, a accordé la somme de 82 milliards de francs CFA (soit environ 153 millions de dollar US) aux 7 396 victimes désignées, et a donné mandat à un Fonds de l’Union africaine pour collecter les fonds en recherchant les avoirs de Hissène Habré et en sollicitant des contributions.

Bien que l’Union africaine ait alloué cinq millions de dollars au Fonds fiduciaire pour les indemnisations, le Fonds n’est à ce jour pas opérationnel, 30 mois après le verdict de Dakar. Les organisations ont déclaré que la CADHP devrait également insister pour que l’Union africaine accélère la mise en place du Fonds fiduciaire, afin que les victimes puissent commencer à recevoir des indemnisations.

« Les victimes de Hissène Habré ont lutté sans relâche pendant 25 ans, ont fait traduire en justice leur dictateur et ses sbires et se sont vu accorder des millions de dollars, mais à ce jour elles n’ont pas reçu un seul centime de ces réparations », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch, qui travaille auprès des victimes de Hissène Habré depuis 1999. « Nombre des victimes qui ont remporté ces victoires historiques sont aux abois et dans une situation désespérée. »

Au cours du procès historique tenu au Tchad en 2015, environ 50 victimes ont décrit les tortures et les mauvais traitements subis aux mains des agents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), la redoutée police politique de Habré. Parmi les personnes condamnées à perpétuité à l’issue de ce procès figuraient Saleh Younous, ancien directeur de la DDS, et Mahamat Djibrine dit « El-Djonto » qui était, selon la Commission nationale tchadienne d’enquête de 1992, l’un des « tortionnaires les plus redoutés » de ce pays. Saleh Younous et Mahamat Djibrine, comme beaucoup d’autres condamnés, auraient été libérés depuis, sans qu’un motif officiel ne soit fourni.

La Cour d’appel de N’Djaména avait ordonné au premier ministre tchadien de mettre en place une commission chargée de l’exécution du paiement des dommages et intérêts aux victimes. Mais cette commission n’a toujours pas été constituée. La Cour avait également ordonné au gouvernement d’ériger un monument à la mémoire des victimes du régime Habré « dans un délai n’excédant pas un an », et de créer un musée dans l’ancien siège de la DDS, où des détenus avaient été torturés. À ce jour, aucune de ces décisions n’a été respectée. 

« Le gouvernement doit maintenant exécuter cette décision pour que les victimes obtiennent enfin réparation pour leurs souffrances, et que des mesures soient prises pour que nous ne tombions pas dans l’oubli », a déclaré Clément Abaifouta, président de l’Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), qui, en tant que prisonnier sous le régime de Habré, avait été forcé de creuser des charniers et d’enterrer de nombreux codétenus. « Nous nous sommes battus pendant des décennies pour obtenir cette décision et maintenant le gouvernement nous oblige à nous battre pour obtenir son exécution. »

Le régime à parti unique de Hissène Habré (1982-1990) a été marqué par des atrocités massives et généralisées, dont des répressions ethniques ciblées. Les documents de la DDS retrouvés par Human Rights Watch en 2001 ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention, et de 12 321 victimes de violations des droits humains. Habré a été renversé en 1990 par l’actuel président Idriss Déby Itno, et s’est réfugié au Sénégal. Ses victimes ont lutté pendant des décennies pour faire traduire en justice Hissène Habré et ses complices. En 2012, le Sénégal a donné son accord concernant un plan pour la création de Chambres africaines extraordinaires chargées de mener le procès de Hissène Habré au sein du système judiciaire sénégalais.

Les accusations qui ont mené au procès tchadien des agents de Hissène Habré ont été déposées par des survivants en 2000, mais l’affaire a stagné jusqu’à ce qu’Habré lui-même soit arrêté à Dakar en 2013. Parmi les accusés, nombreux étaient ceux qui occupaient des positions clés dans l'administration tchadienne jusqu’à leur arrestation, en 2013 ou 2014.

En novembre 2017, Jacqueline Moudeïna et d’autres avocats de victimes ont déposé une plainte concernant la non-exécution par le Tchad de la décision de réparation prononcée en 2015 auprès de la CADHP, où elle est actuellement en instance. En août 2017, une équipe d’experts des Nations Unies a exprimé son inquiétude quant au non-respect par le gouvernement de l’exécution des réparations.

« Il est absolument inadmissible que le gouvernement tchadien choisisse de prolonger la souffrance de ceux qui ont déjà vécu tant de choses », a déclaré Rupert Skilbeck, directeur de REDRESS. « Le gouvernement tchadien doit prendre ses responsabilités et indemniser les victimes, ainsi que l’a ordonné la Cour. »

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Dans les médias

Le Monde arabe     RFI 13.02.20 (itw R. Brody)

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