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Arabie saoudite : Des réformes accompagnées de violations

Arrestations, torture, meurtre ont été commis parallèlement aux réformes

(Washington, le 4 novembre 2019) – D’importantes réformes sociales menées sous l’autorité du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane ont été accompagnées d’une répression accrue et de pratiques abusives visant à réduire au silence les dissidents et les détracteurs du gouvernement, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Ce rapport de 62 pages, intitulé « ‘The High Cost of Change’: Repression Under Saudi Crown Prince Tarnishes Reforms » (« ‘Le prix élevé des réformes : La répression sous le régime du prince héritier saoudien entache ses réformes »), documente la poursuite, depuis le milieu de l’année 2017, de pratiques arbitraires et abusives de la part des autorités saoudiennes, visant des dissidents et des activistes, ainsi que la totale impunité dont bénéficient les responsables de ces abus. Human Rights Watch a constaté que malgré l’adoption de réformes marquantes en faveur des femmes saoudiennes et de la jeunesse, la persistance des abus démontre que l’État de droit demeure fragile en Arabie saoudite et qu’il peut être remis en cause à volonté par les dirigeants politiques du pays.

« Mohammed ben Salmane a permis la création d’un secteur des loisirs et a autorisé les femmes à voyager et à conduire, mais sous sa supervision, les autorités saoudiennes ont également emprisonné un grand nombre des principaux intellectuels et activistes réformistes du pays, dont certains avaient précisément milité en faveur de ces changements », a déclaré Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Une Arabie saoudite réellement réformiste ne soumettrait pas ses principaux activistes à des actes de harcèlement, à la prison et aux mauvais traitements. »

Le rapport est basé sur des entretiens avec des Saoudiens qui sont devenus activistes et dissidents depuis 2017, sur des déclarations gouvernementales et sur des documents judiciaires, ainsi que sur des études approfondies des médias saoudiens locaux et des réseaux sociaux.

En juin 2017, le roi Salmane d’Arabie saoudite a nommé son fils, Mohammed ben Salmane, prince héritier, faisant de lui le premier dans la liste des prétendants au trône saoudien et le dirigeant de facto du pays. Son ascension a coïncidé avec certains changements positifs, projetant une image flatteuse du prince héritier sur la scène politique internationale.

Mais derrière le charme, le faste et les avancées accordées aux femmes et aux jeunes, se cachait une réalité plus sombre, les autorités saoudiennes se chargeant d’écarter quiconque pouvait se mettre en travers de l’ascension politique de Mohammed ben Salmane. Durant l’été 2017, au moment de sa promotion au rang de prince héritier, les autorités ont discrètement réorganisé le système des poursuites judiciaires et l’appareil sécuritaire du pays, qui sont les principaux outils de la répression saoudienne, et les ont placés directement sous la supervision du palais royal.

Puis les autorités ont lancé une série de campagnes d’arrestations. Elles ont visé des religieux de renom, des intellectuels, des universitaires et des activistes des droits humains en septembre 2017, d’importants hommes d’affaires et des membres de la famille royale accusés de corruption en novembre 2017 et les défenseurs des droits des femmes les plus en vue du pays à partir de mai 2018. Ces vagues d’arrestation ont souvent été accompagnées de campagnes de diffamation et de dénigrement des personnes arrêtées, dans les médias pro-gouvernementaux du pays.

L'arrestation de citoyens pour avoir critiqué pacifiquement la politique du gouvernement ou milité en faveur des droits humains n’est pas une nouveauté en Arabie saoudite, mais ce qui distingue les vagues d’arrestations survenues depuis 2017, c’est le nombre et la diversité des personnes visées durant une courte période, ainsi que l’apparition de nouvelles pratiques répressives.

Parmi ces pratiques, on remarque le placement de personnes dans des lieux de détention non officiels, comme ces détenus accusés de corruption retenus prisonniers au Ritz-Carlton, un hôtel cinq étoiles de Riyad, de la fin de 2017 au début de 2018, et les activistes en vue des droits de la femme détenus dans ce qu’ils ont décrit comme un « hôtel » ou une « pension  » durant l’été de 2018. Des allégations ont été faites selon lesquelles la torture et les mauvais traitements étaient systématiques dans ces lieux.

Les pratiques abusives ont aussi inclus des gardes à vue arbitraires pour de longues périodes – deux ans dans certains cas – sans inculpation, ni procès, ni même engagement d’un processus judiciaire clair. Certains des prétendus détenus pour corruption arrêtés fin 2017 demeurent en détention sans inculpation ni procès, notamment Turki ben Abdallah, le fils de l’ancien roi Abdallah et ancien gouverneur de Riyad, et Adel al-Fakih, un ancien ministre.

Les autorités ont également pris pour cible des membres des familles de dissidents et d’activistes saoudiens notables, auxquels ont été notamment imposées des interdictions arbitraires de voyager. Omar Abdulaziz, un dissident saoudien basé au Canada, a affirmé que les autorités saoudiennes avaient arrêté ses deux frères en août 2018 pour le forcer à cesser son activisme sur internet.

Parmi les autres pratiques abusives, on compte l’extorsion de fonds en échange de la remise en liberté de détenus, hors de tout processus légal, et la recherche de condamnations à mort pour des actes qui n’ont rien à voir avec des crimes identifiables. Les procureurs saoudiens s’efforcent actuellement d’obtenir la peine de mort contre un théologien réformiste, Hassan Farhan al-Maliki, sur la base d’accusations vagues relatives à l’expression de ses idées religieuses pacifiques, et contre un religieux bien connu, Salman al-Awda, sur la base d’accusations liées uniquement à ses déclarations politiques, associations et positions pacifiques. Tous deux ont été arrêtés lors de la vague de répression de septembre 2017.

Selon certaines informations, l'Arabie saoudite a utilisé des technologies de surveillance disponibles commercialement pour s’introduire dans les comptes en ligne de détracteurs du gouvernement et de dissidents. Citizen Lab, un centre de recherches universitaire basé au Canada, a conclu avec un « haut degré de probabilité » qu’en 2018, le téléphone mobile d’un activiste saoudien bien connu basé au Canada a été infecté par un logiciel d’espionnage. Ce logiciel permet d’avoir plein accès aux dossiers personnels d’une victime, tels que sa messagerie, ses courriels et ses photos, ainsi que d’utiliser subrepticement les microphones et caméras du téléphone pour observer et écouter.

Cependant, l'aspect répressif de l’action du prince héritier n’a pas reçu l’attention qu’il méritait de la part de la communauté internationale jusqu’au 2 octobre 2018, lorsque l’assassinat particulièrement violent de Jamal Khashoggi, journaliste saoudien et chroniqueur du Washington Post, au consulat général d’Arabie saoudite à Istanbul, a choqué l’opinion mondiale et conduit à un examen plus minutieux de la situation en Arabie saoudite en matière de droits humains.

Pour démontrer que l’Arabie saoudite est réellement en train de se réformer, le roi Salmane et le prince héritier Mohammed ben Salmane devraient engager de nouvelles réformes pour faire en sorte que les citoyens saoudiens puissent jouir des droits humains fondamentaux, y compris des libertés d’expression, d’association et de réunion, ainsi que d’un système judiciaire indépendant et de l’application régulière de la loi.

Les autorités peuvent donner immédiatement l’indication d’un tel engagement, a déclaré Human Rights Watch, en remettant en liberté toute personne détenue arbitrairement ou sur la base d’accusations fondées uniquement sur leurs idées pacifiques ou leur expression, en abandonnant toutes les accusations formulées contre des dissidents qui ne s’apparentent pas à des crimes identifiables, et en rendant justice pour les abus tels que la torture ou les sanctions arbitraires.

« Il ne s’agit pas de vraies réformes si elles se produisent dans une dystopie où les activistes des droits humains sont emprisonnés et où la liberté d’expression n’existe que pour ceux qui les dénigrent ouvertement », a affirmé Michael Page.

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