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Maroc : Propositions capitales sur les libertés individuelles

Les lois portant atteinte à la vie privée et à la liberté de conscience doivent être abrogées

Un couple sur un muret surplombant l’océan à Rabat, Maroc.  © FADEL SENNA/AFP/Getty Images

(Tunis) – Le Parlement marocain devrait adopter les propositions novatrices et audacieuses émises par une instance étatique en vue d’ancrer les libertés individuelles dans la loi, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Dans un mémorandum publié le 28 octobre 2019, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a recommandé de dépénaliser les relations sexuelles consensuelles entre adultes non mariés, et d’accorder davantage de libertés religieuses.
 
Par le biais de ce mémorandum, le CNDH entend contribuer à une refonte majeure du code pénal actuellement examinée par le Parlement. De nombreux Marocains ont été emprisonnés pour relations sexuelles hors mariage, adultère ou homosexualité.

« Le Parlement marocain devrait sortir lÉtat des chambres à coucher, et laisser les gens vivre leurs vies privées consensuelles sans crainte de la prison ou du tribunal », a déclaré Ahmed Benchemsi, directeur de la communication pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Le CNDH est une instance constitutionnelle chargée d’orienter les institutions marocaines sur les questions relevant des droits humains. 

Le mémorandum du CNDH identifie les dispositions du code pénal qui violent ou limitent les libertés individuelles, notamment les articles 489, 490 et 491 qui prévoient des peines de prison, respectivement, pour relations homosexuelles, relations sexuelles entre personnes non mariées, et adultère. Ces dispositions violent le droit à la vie privée, garanti par l’article 24 de la Constitution marocaine et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que le Maroc a ratifié.

Dans un rapport publié en juin, les services du Procureur général ont annoncé qu’en 2018, 7 721 adultes avaient été poursuivis pour relations sexuelles consensuelles et non tarifées, en dehors des liens du mariage. Parmi eux, 3 048 avaient été inculpés d’adultère, 170 de relations homosexuelles, et tous les autres de relations sexuelles entre personnes non mariées.  

Le CNDH recommande également de criminaliser spécifiquement le viol dans le cadre du mariage, en vertu du principe selon lequel « le consentement doit être la pierre angulaire des relations sexuelles entre adultes ». La loi sur les violences à l’égard des femmes, entrée en vigueur en 2018, pénalise certaines formes de violences domestiques mais ne définit pas explicitement, ni ne criminalise, le viol conjugal.

Par ailleurs le Conseil appelle à abroger le second paragraphe de l’article 220 du code pénal qui pénalise le prosélytisme, mais seulement lorsqu’il vise à convertir des musulmans à d’autres religions ; l’inverse (convertir des non musulmans à l’islam) n’étant pas pénalisé. Cette loi discriminatoire punit de jusqu’à trois ans de prison « quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d'ébranler la foi d'un musulman ou de le convertir à une autre religion ». Les autorités se sont servies de cette disposition pour expulser des chrétiens étrangers, mais aussi pour inculper, voire condamner des Marocains convertis au christianisme, apparemment pour avoir simplement parlé de leur nouvelle foi en compagnie de musulmans. En 2003, treize musiciens de heavy metal avaient été condamnés en vertu de l’article 220 pour « satanisme », selon l’expression employée par le tribunal.

Le PIDCP protège le droit des personnes d’adopter et pratiquer les croyances religieuses de leur choix, ainsi que le droit de les « enseigner » en public et en privé.

Le Conseil recommande également de dépénaliser l’acte de manger ou boire en public, en journée, pendant le mois de Ramadan. L’article 222 du code pénal punit de jusqu’à six mois de prison « celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion ».

En 2009, les autorités avaient arrêté six défenseurs des libertés religieuses pour avoir planifié un pique-nique diurne et discret en forêt, pendant le Ramadan, afin de protester contre l’article 222. Depuis, les autorités ont régulièrement arrêté, voire poursuivi des individus qui mangeaient, buvaient ou fumaient une cigarette en public pendant le Ramadan.

En vertu du code pénal marocain, l’avortement est interdit et passible de prison sauf dans le cas où la procédure « constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère ». Le Conseil recommande que cette clause d’exception soit élargie aux cas où l’avortement est pratiqué dans l’intérêt de « la santé physique, mentale et sociale » de la femme. Cette formulation, note le Conseil, est tirée de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, qui définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social (, qui) ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou dinfirmité ».

D’après de nombreuses études, criminaliser les avortements n’aboutit pas à la baisse de leur pratique. En revanche, la criminalisation pousse les femmes à recourir à des avortements non médicalisés, ce qui porte atteinte à leur droit à la vie, à la santé et à la vie privée, ainsi qu’à leur droit de ne pas subir de traitements cruels, inhumains et dégradants. Au Maroc, 600 à 800 avortements clandestins ont lieu chaque jour, dont environ un tiers hors de tout environnement médical. Selon Human Rights Watch, la décision d’avorter ou pas revient à la femme enceinte, sans ingérence de l’État ni de quiconque.

Quelques jours après la publication du mémorandum du CNDH, le Premier ministre Saadeddine El Othmani et le ministre des Droits humains Mostafa Ramid, deux dirigeants du Parti de la justice et du développement (PJD) d’obédience islamiste, ont rejeté les recommandations sur les libertés individuelles, invoquant le « système de valeurs » (traditionnelles) du Maroc. Le PJD occupe 125 sièges sur 395 à la chambre basse du Parlement.

La seule formation représentée au Parlement qui, à ce jour, a publiquement soutenu les recommandations du Conseil, est le Parti du progrès et du socialisme, qui détient 12 sièges. La presse a rapporté que plusieurs autres partis avaient l’intention de proposer des amendements pro-libertés individuelles au projet de code pénal, lors de l’examen parlementaire de ce dernier, et ce dans le cadre d’une « interaction positive » avec les recommandations du Conseil.

Plus de 25 organisations non gouvernementales dont le Printemps de la Dignité, un collectif d’associations défendant les droits des femmes, l’Organisation marocaine des droits humains et le Forum pour la vérité et la justice, ont déclaré leur soutien à certaines recommandations du Conseil, en particulier celles ayant trait aux libertés individuelles.

Le mémorandum du CNDH contient également des recommandations sur d’autres questions relevant des droits humains, comme l’abolition de la peine de mort. Depuis 1993, le Maroc observe un moratoire de facto sur la peine de mort. Human Rights Watch soutient cette recommandation et s’oppose par principe à la peine capitale, car elle est par nature cruelle et irréversible.

« Le Parlement devrait suivre la feuille de route pour protéger les libertés personnelles proposée par le Conseil national des droits de l’Homme », a conclu Ahmed Benchemsi. « L’État n’a pas à régenter la vie spirituelle et intime dadultes consentants. »

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