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Une manifestation en faveur des droits des femmes tenue à Cincinnati (Ohio), lors de la journée de la Marche des femmes (« Women’s March »), le 20 janvier 2018, parallèlement à d’autres rassemblements dans plusieurs villes américaines. © 2018 AP Photo/John Minchillo

À surveiller en 2020 : les changements sur le lieu de travail, qui prennent le relais du mouvement #MeToo.

Deux ans déjà que le mouvement #MeToo a fait son apparition pour révéler, grâce aux récits de maltraitance partagés par des femmes de toutes origines, de tous âges et de tous milieux économiques et sociaux, le harcèlement et les abus endémiques qui ont cours sur le lieu de travail et l’échec systémique à y mettre fin.

A partir de 2020, une nouvelle norme internationale permettra d’obliger les gouvernements et les employeurs du monde entier à rendre des comptes en matière de harcèlement sexuel et de violences contre les travailleuses et travailleurs. L’agrégat d’expériences que les femmes ont pu partager grâce au mouvement #MeToo a donné naissance à un nouveau traité aux potentialités immenses, pour les femmes au travail mais aussi pour tous les travailleurs.

La Convention de 2019 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur la violence et le harcèlement – votée par 439 gouvernements, employeurs et travailleurs du monde entier sur 476 en vue d’une adoption en juin aux Nations Unies à Genève – définit plusieurs mesures clés de lutte contre le fléau du harcèlement au travail, comme adopter des lois nationales interdisant la violence au travail et des mesures préventives pour lutter contre ce phénomène, ou exiger des employeurs la mise en place de politiques sur la violence au travail. Le traité oblige aussi les gouvernements à garantir l’accès à des moyens de recours, tels que des procédures de plainte, des mesures d’assistance pour les victimes et des mesures de protection des victimes et des lanceurs d’alerte contre les représailles.

Le processus de ratification ne fait que commencer : au moins 10 pays, parmi lesquels l’Afrique du Sud, l’Argentine, la Belgique, la France, l’Irlande, l’Islande, la Namibie, l’Ouganda, les Philippines et l’Uruguay, se sont dits prêts à ratifier le nouveau traité. Avec le soutien et la pression du public, d’autres devraient suivre et il est probable que d’autres encore se lancent dans des réformes même s’ils ne ratifient pas le traité.

Le harcèlement sexuel au travail n’est pas une fatalité. Il ne se perpétue que si les gouvernements et les employeurs ne font rien pour l’empêcher, pour protéger les victimes ayant surmonté cette épreuve, et pour punir les agresseurs. Un rapport de la Banque mondiale de 2018 a révélé que 59 économies – dont le Guatemala, l’Iran et le Japon – sur un total de 189 n’avaient pas de lois spécifiques contre le harcèlement sexuel dans l’emploi. De son côté, l’OIT note que les lois existantes excluent souvent les travailleuses les plus exposées à la violence, comme les travailleuses domestiques, les travailleuses agricoles et celles qui ont un emploi précaire. J’ai par exemple interviewé des centaines de travailleuses domestiques migrantes au Moyen-Orient, dont beaucoup m’ont dit avoir été battues ou harcelées sexuellement, et agressées par leurs employeurs. Généralement exclues du champ d’application du droit du travail, ces travailleuses sont d’autant plus exposées à ces violences que leurs visas sont liés à l’emploi qu’elles occupent et à leur employeur, sans l’autorisation duquel ils ne peuvent ni quitter leur emploi, ni en changer.

Alors, à quoi peut-on s’attendre désormais ?

De nouvelles lois, des réformes des lois existantes et plus d’engagement dans leur mise en œuvre.

Les États devraient intégrer l’interdiction de la violence et du harcèlement au travail, particulièrement la violence sexiste, dans leurs législations et dans leurs politiques. Ils peuvent notamment mener des campagnes de prévention, prévoir des inspections et des enquêtes, ou encore offrir aux victimes des garanties d’accès à des voies de recours et la possibilité d’obtenir réparation, notamment des indemnisations. Ils devraient aussi protéger victimes et lanceurs d’alerte contre les représailles.

Les États devraient aussi et surtout veiller à ce que les employeurs mettent en place des politiques de lutte contre la violence et le harcèlement au travail, qui prévoient une évaluation des risques, des mesures de prévention et des formations.

Un débat public renouvelé sur ces questions, avec des campagnes d’information et des exemples d’enquêtes et de mesures correctives.

Les bonnes pratiques de lutte contre la violence au travail peuvent générer des effets d’entraînement. Les gouvernements peuvent ainsi travailler en lien avec les organisations d’employeurs et les syndicats pour initier des campagnes d’information visant à toucher un large public et des campagnes spécifiques qui font passer le message que la violence et le harcèlement ne seront pas tolérés, et qui expliquent comment violence et harcèlement doivent être signalés, et ce qu’on peut en faire. L’existence de voies de recours à la fois accessibles et efficaces, d’inspections et d’enquêtes menées avec succès par les employeurs ou les autorités, de sanctions contre les agresseurs ou leurs employeurs et de réparations pour les victimes encourageront davantage de femmes à se manifester et aideront à prévenir les abus.

Par exemple, si les marques ou usines de confection de vêtements ont souvent recours à des audits sociaux pour examiner les conditions de travail en usine, leur efficacité pour détecter le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est compromise par le fait que ces audits reposent principalement sur des entretiens en usine avec des travailleuses qui peuvent craindre des représailles. En revanche, lorsqu’elles s’expriment en dehors des locaux de l’usine, les travailleuses se sentent moins menacées. Un groupe international de défense des droits des travailleurs, le Worker Rights Consortium (WRC) a rassemblé des preuves de harcèlement sexuel dans trois usines du Lesotho après avoir mené une série d’entretiens hors site avec les travailleuses de ces usines, où des audits de routine avaient pourtant déjà été réalisés par des tiers.

Suite à cette enquête, la direction de l’usine a signé des accords juridiquement contraignants avec les syndicats et trois marques de vêtements en s’engageant à mettre en œuvre un programme conçu par les syndicats de ces usines et deux organisations locales de défense des droits des femmes. Ce programme prévoit la création d’un organisme d’enquête indépendant qui examinera les plaintes de harcèlement sexuel et les possibles mesures de protection contre les représailles. Il prévoit aussi que les politiques de lutte contre la violence sexiste et le harcèlement mises en place dans ces usines s’appliqueront aussi aux fournisseurs et aux sous-traitants.

Une attention particulière accordée aux secteurs les moins visibles – et les plus précaires – où, loin des projecteurs, se passent les abus les plus répandus

La violence au travail ne concerne pas seulement les travailleuses rémunérées. Parmi les personnes à risquent figurent aussi les bénévoles, les stagiaires, les candidates à l’emploi et les demandeuses d’emploi qui devraient eux aussi être protégées contre la violence. De nombreuses femmes ont souligné la fréquence avec laquelle on leur fait miroiter la possibilité d’un emploi en échange de relations sexuelles, un phénomène connu sous le nom de contrepartie. Les entreprises doivent enquêter et sanctionner de tels comportements. En décembre 2019 au Japon, des activistes ont lancé un appel au gouvernement, aux entreprises et aux universités pour qu’elles prennent des mesures afin d’éliminer le harcèlement sexuel des étudiantes en recherche d’emploi.

Poussées par l’adoption du nouveau traité, les fédérations internationales de syndicats prévoient de mener des campagnes nationales de soutien à sa ratification. Ces campagnes souligneront les abus qui existent dans de nombreux secteurs qui ne sont pas encore sous le feu des projecteurs. A Kampala, la capitale ougandaise, les commerçantes des marchés s’organisent pour en finir avec le harcèlement, et l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) a lancé une campagne mondiale en mai 2018 pour obliger la plus grande société hôtelière du monde, Marriott, à signer un accord-cadre mondial applicable dans tous les hôtels Marriott pour protéger ses employées contre le harcèlement sexuel. Suite à des manifestations dans plusieurs hôtels Marriott à travers le monde et lors d’un événement à la Conférence internationale du Travail, Marriott n’a pas répondu aux appels à négocier un tel accord au niveau mondial et en septembre 2018, l’entreprise a annoncé qu’elle continuerait à déployer jusqu’en 2020 des mécanismes d’alerte connus sous le nom de « panic buttons », pour tous ses travailleurs d’Amérique du Nord.

En janvier 2019, en revanche, l’UITA a négocié avec succès le premier accord mondial sur le harcèlement sexuel dans le secteur hôtelier avec la chaîne hôtelière multinationale espagnole Meliá, et en septembre 2019, l’UITA a négocié un autre accord avec la chaîne hôtelière multinationale française AccorInvest, accord qui prévoit des mesures de lutte contre le harcèlement sexuel au travail, notamment la diffusion d’informations détaillées sur la politique de tolérance zéro à l’égard de toute forme de harcèlement sexuel dans l’entreprise.

Les États devraient également identifier les secteurs et les régimes d’organisation du travail qui rendent les travailleurs plus vulnérables à la violence et au harcèlement. Les employés de maison, les travailleurs du vêtement – qui sont majoritairement des femmes – et ceux qui ont un emploi précaire comme des contrats à court terme ou qui participent (par leurs « petits boulots ») à la « gig economy », peuvent facilement être victimes d’abus. Un employeur peut mettre en place des mécanismes de plainte, mais le dépôt d’une plainte ne doit pas signifier une fin d’emploi ou de carrière. Il est crucial de pouvoir régler ces problèmes structurels afin que tous ces travailleurs soient protégés.

Reconnaître que le harcèlement par ou contre des tiers ou des travailleurs est aussi un problème de sécurité au travail.

Gouvernements et employeurs devraient aussi s’attaquer à la question des tiers qui harcèlent ou sont harcelés : les patients qui commettent des abus ou sont victimes d’abus de la part du personnel médical ; les clients et le personnel de service ; les enseignants et leurs élèves. Selon une enquête réalisée en 2018 par la National Association of Schoolmasters / Union of Women Teachers (NASUWT) au Royaume-Uni, un cinquième des membres de ce syndicat a déclaré avoir été victime de harcèlement sexuel à l’école de la part d’un collègue, d’un responsable, d’un parent ou d’un élève, depuis qu’il ou elle est devenu(e) enseignant(e). La sécurité au travail n’est pas seulement mise à mal par des collègues ou des responsables sur le lieu de travail, mais aussi par des personnes avec lesquelles nous interagissons dans le cadre du travail.

Le mouvement #MeToo a permis de dénoncer les abus endémiques auxquels sont confrontées les femmes sur le lieu de travail. 2020 devrait être l’année des réformes structurelles qui mettront fin à la violence et au harcèlement qu’elles et tous les travailleurs subissent au travail dans le monde entier.

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