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Le président français Emmanuel Macron, lors de sa présentation de vœux de Nouvel An adressés à la presse au palais de l'Elysée à Paris, le 3 janvier 2018. © 2018 Ludovic Marin/Pool/Reuters
Le président Macron devrait mettre à profit sa visite en Pologne les 3 et 4 février prochains pour défendre l'État de droit et les institutions démocratiques qui protègent les droits humains. Emmanuel Macron a fait de la défense de l’État de droit au sein de l'UE une priorité centrale de sa politique européenne. Il est nécessaire qu’il fasse entendre sa voix sur le sujet.

La situation en Pologne est urgente. Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le parti Droit et Justice (PiS) a commencé à démanteler les contrepouvoirs démocratiques à une vitesse alarmante. En quelques années seulement, le PiS a pris le contrôle de la Cour constitutionnelle et remplacé les juges par des soutiens au parti, a tenté de démettre le président de la Cour suprême, l'indépendance des tribunaux de droit commun a été compromise et les juges et les procureurs font l'objet de procédures disciplinaires et de campagnes injurieuses pour avoir défendu l'État de droit.

L'affaiblissement des institutions démocratiques n'est pas seulement un problème polonais. Le Premier ministre hongrois Viktor Orban a ouvert la voie en Europe avec les attaques de son gouvernement contre la constitution, les tribunaux, les médias et associations indépendants. L'incapacité de l'Europe à réagir de manière adéquate n’a fait qu’encourager le gouvernement polonais. D'autres États membres, dont Malte et la Roumanie, sont également source de préoccupations. Ces développements menacent les valeurs européennes communes et nécessitent une réponse de principe de la part des institutions et des États membres de l'UE.

Le 23 janvier, le Parlement polonais, dominé par le parti au pouvoir, a adopté une loi prévoyant des mesures disciplinaires contre les juges critiquant les réformes judiciaires soutenues par le gouvernement. Cette loi pourrait affecter les juges qui appliquent l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de novembre 2019, selon lequel le système judiciaire polonais pourrait questionner l'indépendance d'une chambre disciplinaire de la Cour suprême politiquement compromise. Cela mettrait la Pologne en grave contradiction avec son obligation de respecter l'arrêt de la CJUE.

Les efforts du gouvernement pour affaiblir les institutions qui lui demandent de rendre des comptes ne se limitent pas aux attaques contre le système judiciaire. Les campagnes de diffamation du gouvernement visant à délégitimer les médias indépendants et les associations de défense des droits des femmes, de l'environnement et d'autres questions, sont en augmentation. Parallèlement, les subventions gouvernementales aux associations travaillant sur les droits des femmes, des réfugiés et des migrants ainsi que sur la liberté d’association sont de plus en plus restreintes. Des membres du gouvernement ont fréquemment attaqué le médiateur polonais pour la protection des droits humains. Le gouvernement a également intensifié sa rhétorique xénophobe et homophobe.

Les institutions européennes ont déjà réagi. Dans deux arrêts rendus l'année dernière, la Cour de justice de l’UE a déclaré que des lois polonaises pouvaient porter atteinte à l'indépendance de la justice. En janvier, la Commission européenne a demandé à la CJUE si des mesures urgentes étaient nécessaires pour suspendre la nouvelle chambre disciplinaire qui risque de porter gravement atteinte à l'indépendance des juges. La Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, institution que le président Macron dit tenir en haute estime, a exprimé en juin dernier de sérieuses inquiétudes quant à l'indépendance du pouvoir judiciaire polonais. Fin janvier, le Conseil de l'Europe a d’ailleurs soumis la Pologne à une procédure formelle de suivi en raison de ses atteintes à l'Etat de droit.

Des milliers de Polonaises et Polonais sont descendus dans les rues pour défendre les juges contre les tentatives de purge et de mise à l’écart. En janvier, des juges venus de toute l'Europe - y compris français - les ont rejoints à Varsovie. La solidarité des autres gouvernements de l'UE a été plus discrète, le Conseil des États membres de l'UE craignant d’enfoncer le gouvernement polonais, même si une procédure formelle a été ouverte au titre de l'article 7 du traité UE pouvant, à terme, priver la Pologne de son droit de vote au Conseil de l'UE.

Emmanuel Macron devrait placer la défense de l'État de droit en tête des priorités de sa visite en Pologne la semaine prochaine. La tendance en cours dans le pays est clairement en conflit avec les valeurs communes de l'Union européenne – celles-là même que le président français a promis de défendre.

Le leadership de la France est crucial pour défendre les institutions démocratiques. Lors de ses rencontres à Varsovie et à Cracovie, le président Macron devrait faire savoir clairement que la France continuera à soutenir la procédure de l'article 7 à l’encontre de la Pologne. Les actions des responsables du gouvernement polonais doivent rester sous étroite surveillance jusqu'à ce que les lois et les pratiques problématiques soient de nouveau en conformité avec les principes démocratiques de l'UE.

Macron devrait également rappeler à Varsovie qu'un consensus se dégage sur le fait que, dans le prochain cycle budgétaire de l’UE, les fonds européens devraient être liés à des critères en matière de respect de l’État de droit. Ce dernier ainsi que l'indépendance des tribunaux sont essentiels pour prévenir la corruption et la fraude. Les contribuables européens doivent avoir la certitude que les fonds de l’UE - dont la Pologne est l'un des principaux bénéficiaires nets - ne sont pas utilisés à mauvais escient ou détournés.

Enfin et surtout, le président français devrait dénoncer publiquement les atteintes à l'État de droit afin de rassurer les Polonais ordinaires profondément préoccupés par le fait que les droits qu'ils ont acquis il y a trente ans sont désormais menacés. Les dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté pour défendre leurs tribunaux, leurs juges et leurs procureurs, méritent le soutien et l'aide du président Macron et de la France.

Bénédicte Jeannerod est la directrice France de Human Rights Watch. Maciej Nowicki est le vice-président de la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme en Pologne.

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