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Chine : Les enfants du Tibet sont privés de cours en tibétain

La politique officielle d’éducation « bilingue » représente en réalité une menace à l’enseignement en tibétain

Affiche créée par les autorités chinoises pour les écoles primaires au Tibet. Traduction du texte : « Aimez le drapeau national, chantez l'hymne national ! Le mandarin est la langue de travail dans les écoles. Veuillez parler la langue commune (le mandarin) et écrire correctement les caractères. » Source : Blog de Dondrup Dorje (2016)

(Londres) – La politique chinoise d’« éducation bilingue » a dans la pratique accéléré l’abandon de l’enseignement en tibétain dans les écoles primaires des régions tibétaines, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Cette politique, mise en place ces dix dernières années dans la Région autonome du Tibet (RAT) et d’autres zones tibétaines, a en réalité fait progresser l’enseignement en langue chinoise à tous les niveaux scolaires sur diverses matières, sauf dans le cas particulier de cours consacrés à la langue tibétaine elle-même.

Le rapport de 91 pages, intitulé « China’s ‘Bilingual Education’ Policy in Tibet: Tibetan-Medium Schooling Under Threat » (« Politique chinoise d’‘éducation bilingue’ au Tibet : L’enseignement en tibétain menacé »), examine le recul du gouvernement chinois sur les droits des minorités en matière d’éducation, sous prétexte d’améliorer l’accès à la scolarité. Ce rapport met l’accent sur les écoles maternelles « bilingues » obligatoires, qui au nom du « renforcement de l’unité des nationalités », placent les enfants tibétains à partir de 3 ans en immersion dans la langue chinoise et la propagande d’État. Cette évolution reflète la politique d’assimilation des minorités qui a pris de l’ampleur sous la présidence de Xi Jinping.

« La politique dite d’éducation bilingue de la Chine est motivée par des impératifs politiques et non pas pédagogiques », a déclaré Sophie Richardson, directrice de recherches sur la Chine à Human Rights Watch. « Le gouvernement chinois viole l’obligation qui est la sienne, en vertu du droit international, d’apporter aux Tibétains un enseignement dans leur propre langue. »

Le rapport présente des entretiens approfondis menés avec des enseignants tibétains, des universitaires et d’anciens responsables. Il comprend la traduction de requêtes récemment émises par des Tibétains ainsi que de débats sur les droits linguistiques et l’éducation.

La constitution chinoise garantissant les droits linguistiques des minorités, l’enseignement en tibétain a commencé à être introduit dans des écoles primaires de la Région autonome du Tibet au cours des années 1980, marquées par une approche relativement tolérante. Toutefois, le climat politique étant devenu de plus en plus répressif, les autorités considèrent désormais que même les initiatives locales de promotion de la langue tibétaine sont des activités « séparatistes ». Or, beaucoup de Tibétains voient la primauté et la continuité de leur langue comme une garantie fondamentale de leur avenir en tant que peuple distinct, au sein de la République populaire de Chine (RPC).

De 2010 à 2012, la volonté d’élimination progressive de l’enseignement en tibétain dans les zones tibétaines de la province du Qinghai a déclenché des manifestations scolaires, qui ont vite été écrasées par les autorités mais grâce auxquelles cette nouvelle politique a été suspendue. Mais en mai 2019, la préfecture de Golok, dans le Qinghai, a annoncé que le chinois deviendrait la langue d’enseignement de tous les niveaux à compter du semestre de septembre.

Dans la RAT, il n’y a pas eu d’annonce équivalente : les responsables assurent que chaque école primaire est à même de décider si elle souhaite que la langue d’enseignement bascule du tibétain au chinois. Or le rapport de Human Rights Watch présente des éléments prouvant que dans cette région, les autorités ont adopté des mesures destinées à faire pression sur les écoles locales pour qu’elles adoptent l’enseignement en chinois. Elles ont notamment embauché des milliers d’enseignants non tibétophones venus d’autres régions de Chine, dans le cadre du programme « Aid Tibet », et favorisent les « classes mixtes » ethniquement, toujours au nom de l’« unité des nationalités ». De ce fait, l’adoption du chinois par les écoles devient quasiment inévitable, en particulier dans les zones urbaines, même si elles ne subissent pas de contrainte directe.

Les observateurs internationaux ne peuvent pas se rendre dans les parties tibétaines de la Chine, mais en septembre 2019, Human Rights Watch a pu poser des questions au sujet de la langue d’enseignement à des parents d’élèves et des enseignants de six communes rurales du district de Nagchu, dans le nord de la RAT. Tous ont répondu qu’en mars 2019, leurs écoles primaires locales étaient passées à l’enseignement sinophone.

Des sources tibétaines ont expliqué à Human Rights Watch que même s’il était nécessaire et souhaitable que les enfants apprennent à parler couramment le chinois, cela n’était pas du tout incompatible avec un enseignement en tibétain à l’école maternelle et élémentaire. Certains de nos interlocuteurs évoquaient des recherches universitaires internationales démontrant que les enfants apprennent mieux et plus vite dans leur propre langue et qu’ils sont plus à même d’apprendre une langue seconde une fois qu’ils maîtrisent leur langue maternelle. Ainsi un expert, contribuant à un débat en ligne, écrivait : « C’est surprenant, ce désir d’abandonner l’avantage que nous confère un système éducatif en langue maternelle, et [...] de considérer que cette ‘transformation’ constitue une ‘amélioration de la qualité’ de l’enseignement. En réalité, c’est aussi stupide que d’escalader un arbre pour attraper un poisson. »

La version chinoise de l’éducation bilingue va à l’encontre du droit international relatif aux droits humains, particulièrement de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Des comités de l’ONU, comme celui des droits de l’enfant, celui des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, se sont tous dits inquiets au sujet du droit des Tibétains à être éduqués dans leur propre langue et culture. Il est urgent que les pays membres de l’ONU expriment publiquement ces inquiétudes lors de rencontres bilatérales et de réunions internationales.

« La politique d’‘éducation bilingue’ de la Chine au Tibet va à l’encontre de la constitution, des normes internationales et du consensus des experts sur l’importance de l’enseignement en langue maternelle, ainsi que des aspirations fondamentales du peuple tibétain », a conclu Sophie Richardson. « L’assimilation forcée n’est pas une solution pour gouverner les régions à minorité ethnique, et la sûreté nationale n’est pas une justification acceptable pour les priver de leurs droits à une éducation dans leur langue maternelle. »

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