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Maroc : Des attaques en ligne ciblent les hommes présumés homosexuels

La criminalisation de ces relations attise le harcèlement des personnes LGBT, qui devraient être protégées de la discrimination et des abus

Des drapeaux aux couleurs de l'arc-en-ciel, symbolisant les droits des personnes LGBT. © 2017 Reuters
 

(Beyrouth) – Au Maroc, une campagne de harcèlement en ligne a révélé au grand jour les vies privées d’hommes gays et bisexuels présumés, les exposant à d’éventuelles violences physiques, à des poursuites judiciaires et à des mesures discriminatoires, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le gouvernement devrait à la fois faire respecter le droit à la vie privée et dépénaliser les relations homosexuelles.

Depuis la mi-avril 2020, de nombreux individus se sont inscrits sur des applications de rencontres homosexuelles pour dénoncer publiquement l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’autres utilisateurs sans leur consentement. Pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), de telles actions peuvent signifier un rejet par leurs familles et communautés respectives, leur expulsion par des parents et des propriétaires et leur licenciement.

« Le ‘outing’ peut nuire aux moyens de subsistance, à la sécurité et à la santé mentale des personnes LGBT », a déclaré Graeme Reid, directeur de la division Droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres à Human Rights Watch. « Les autorités marocaines devraient immédiatement intervenir pour protéger leur vie privée et abroger les lois anti-LGBT qui ne peuvent qu’encourager de tels comportements homophobes. »

La constitution marocaine consacre le droit à la vie privée et son code pénal criminalise « l’interception, l’enregistrement, la diffusion ou la distribution de paroles ou d’informations émises dans un cadre privé ou confidentiel, sans le consentement de leurs auteurs ». L’article 447-1 du code pénal punit les contrevenants de peines allant de six mois à trois ans de prison.

Cependant, la loi marocaine criminalise également ce qu’elle appelle des actes de « déviance sexuelle » entre individus du même sexe, terme dont les autorités se servent pour désigner l’homosexualité de manière plus générale. L’article 489 du code pénal punit les relations homosexuelles de peines de prison allant jusqu’à trois ans et d’amendes pouvant atteindre le montant de 1 000 dirhams (soit 104 dollars).

La campagne de « outing » au Maroc a débuté le 13 avril, lorsque de nombreux faux comptes ont été créés sur des applications de rencontres homosexuelles par des utilisateurs qui ont ensuite diffusé sur les réseaux sociaux des photos d’autres hommes inscrits, légendées par des insultes et des menaces liées à leur orientation sexuelle présumée.

Des activistes marocains LGBT ont déclaré à Human Rights Watch que la campagne de « outing » avait incité des familles à expulser certains de leurs membres de leurs domiciles. La panique s’est emparée des personnes LGBT, lesquelles ont besoin de protéger leur vie privée en raison de la stigmatisation de l’homosexualité et de l’interdiction légale des relations homosexuelles dans le pays.

Un étudiant gay âgé de 23 ans a déclaré à Human Rights Watch que son frère l’avait chassé de lui après avoir appris son orientation sexuelle sur les réseaux sociaux : « Je dors dans la rue depuis trois jours et je n’ai nulle part où aller. À cause de la pandémie de COVID-19, même mes proches amis ne sont pas en mesure de m’accueillir ». Il craint pour sa sécurité s’il tente de retourner chez son frère, a-t-il confié.

Un responsable de l’une des applications de rencontres concernées a déclaré à Human Rights Watch que sa compagnie avait adressé des messages aux utilisateurs, en français et en arabe marocain, pour les prévenir de la campagne de « outing », mettant aussi à leur disposition un numéro de téléphone pour solliciter une aide juridique et/ou psychologique. Les utilisateurs sont également encouragés à signaler les faux comptes ou des comptes qui diffusent des discours de haine anti-LGBT sur l’application.

Le représentant d’une autre application a déclaré avoir adressé un message relatif à la sécurité aux utilisateurs marocains et bloqué tous les profils créés depuis le début de la campagne de « outing ».

Des organisations marocaines de défense des droits humains ont rendu publique une déclaration conjointe condamnant les attaques en ligne et le « outing » personnes LGBT marocaines et exprimant leur solidarité avec les victimes. Des activistes ont également mis en ligne des ressources pour répondre à la campagne de dénonciation, notamment en offrant une assistance aux membres de la communauté LGBT les plus exposés ou à ceux qui ont besoin d’aide.

Le 24 avril, le porte-parole de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) au Maroc a déclaré à l’Agence France Presse que la police avait ouvert une « enquête préliminaire » pour « incitation à la haine et à la discrimination », manifestement liée à la fuite de données privées visant la communauté LGBT.

Human Rights Watch a documenté le rôle que des organisations non gouvernementales et des activistes LGBT ont joué dans la région pour mettre à disposition des victimes des lieux sûrs. En 2018, Human Rights Watch avait lancé la campagne Plus jamais seuls, et en 2019, la campagne Face aux mythes, qui présentaient les stratégies auxquelles activistes et organisations LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, notamment au Maroc, peuvent recourir pour consolider leurs actions, malgré la répression parrainée par le gouvernement et la stigmatisation sociale à l’œuvre dans la région.

La mise en œuvre du droit à la vie privée offre une protection essentielle contre la discrimination en ligne, en particulier celle qui s’acharne contre les personnes LGBT. La constitution et les lois marocaines interdisent la discrimination pour divers motifs, mais l’orientation sexuelle et l’identité de genre n’en font pas partie. Cette lacune juridique et la criminalisation de l’homosexualité exposent tout particulièrement les personnes LGBT à la discrimination au Maroc, selon Human Rights Watch.

La criminalisation des relations homosexuelles librement consenties constitue une violation des droits humains fondamentaux protégés par le droit international. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que le Maroc a ratifié en 1979, interdit toute ingérence dans les droits à la vie privée et à la non-discrimination. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a condamné les lois contre les relations homosexuelles consensuelles, les considérant comme des violations du PIDCP.

Dans un mémorandum publié en octobre 2019, le Conseil national des droits de l’homme, un organisme d’État marocain, a recommandé de dépénaliser les relations sexuelles consensuelles entre adultes non mariés. Plus de 25 organisations non gouvernementales ont exprimé leur soutien à cette recommandation, rejetée par le gouvernement.

Le Maroc devrait abroger l’article 489, qui criminalise les relations homosexuelles, et introduire une législation protégeant les personnes contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, a préconisé Human Rights Watch.

« Il incombe au gouvernement marocain de protéger les personnes LGBT de ce type de harcèlement homophobe et de toutes les formes de discrimination », a conclu Graham Reid. « L’homophobie est une réalité dangereuse, mais elle s’enracine lorsque le gouvernement criminalise les relations homosexuelles et ne protège pas leurs droits à la vie privée et à l’égalité de traitement. »

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