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« Dix millions de citoyens de l’UE vivent désormais sous le joug d’un régime autoritaire. » -- Kenneth Roth, Directeur exécutif de Human Rights Watch, commentant les réponses de certains gouvernements à la crise du Covid-19, en avril 2020. © 2020 Human Rights Watch

Il y a quelques semaines, l’Union européenne a subi un changement fondamental : elle a cessé d’être un bloc d’États démocratiques. Pire encore, les dirigeants de toute l’Europe ont à peine bronché.

La prise du pouvoir absolu par Viktor Orbán, début avril – sous prétexte de pandémie de coronavirus – n’est que l’aboutissement d’une décennie de dérive autoritaire. Orbán et son parti au pouvoir, Fidesz, ont progressivement politisé les tribunaux, décimé les médias indépendants, détruit la liberté académique, entravé le travail de la société civile et favorisé la xénophobie. Même après que le Parlement européen a lancé la « procédure de l’Article 7 », qui permet d’infliger des sanctions aux États bafouant les valeurs de l’Union, la Commission et les États membres n’ont pratiquement rien fait pour arrêter Orbán. Ce sont les atermoiements qui ont prévalu.

Même chez les dirigeants européens les plus enclins à se mettre des œillères, cette ultime manœuvre d’Orbán – s’octroyer le pouvoir de gouverner par décrets pour une durée illimitée –, aurait dû susciter plus que de timides protestations de pure forme.

Sous la présidence d’Ursula von der Leyen, la réaction initiale de la Commission européenne face à la mainmise d’Orbán sur le pouvoir a été si faible qu’elle ne contenait même pas le mot « Hongrie ». A cette mascarade s’est ajouté le communiqué conjoint de 16 pays de l’UE, qui non seulement ne citait pas non plus la Hongrie, mais était tellement insipide et générique que la Hongrie, se moquant manifestement de la timidité de ses pairs européens, a annoncé qu’elle allait le signer.

Une réaction plus forte était tout à fait possible. Les dirigeants européens auraient pu annoncer qu’ils allaient accélérer le processus de l’Article 7 et plaider pour une suspension des droits de vote de la Hongrie sur les questions concernant l’UE. Ils auraient pu réexaminer les généreuses subventions dont Orbán se sert pour remplir les poches de ses affidés, comme le signalent depuis un certain temps des enquêtes journalistiques  et les instances de réglementation. Enfin ils auraient pu saisir toutes les occasions possibles pour isoler politiquement Orbán et ses ministres – jusqu’à ce que la dictature prenne fin en Hongrie. Tous les dirigeants des États membres de l’UE, en particulier la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron, devraient clairement indiquer que les choses ne reviendront pas à la normale tant qu’Orbán se comportera comme un dictateur.

Au lieu de cela, tout ce que nous avons vu, ce sont des déclarations timorées et de fausses inquiétudes.

Le Parti populaire européen (PPE), l’alliance politique paneuropéenne de centre-droite à laquelle appartient Fidesz, est particulièrement critiquable. Non seulement il a tourné le dos aux propres valeurs qu’il énonce (sans même parler de celles de l’UE), mais pendant des années, il a caressé Orbán dans le sens du poil, refusant d’exclure Fidesz – se contentant de le « suspendre », une stratégie qui a permis à ce dernier de conserver nombre de ses avantages au sein de l’alliance tout en détruisant peu à peu la démocratie hongroise. Pendant des années, Manfred Weber, leader du PPE au Parlement européen et membre du parti allemand CSU, a conféré crédibilité et acceptabilité à Orbán, en tant que membre d’une soi-disant alliance majoritaire de partis démocratiques. Certains partis nationaux membres du PPE ont récemment protesté contre la dernière dérive de Fidesz, mais deux de ses membres les plus influents – le parti allemand CDU/CSU et le parti français Les Républicains – n’ont pas rejoint ces critiques.

Quant au président du PPE, Donald Tusk, un homme auréolé de son combat passé contre la dictature en Pologne, il semble évident qu’il est conscient d’aider un monstre. Dans une interview récente accordée au Spiegel, il a déclaré qu’un célèbre juriste nazi aurait été « fier » d’Orbán. Il a également suggéré dans une lettre que Fidesz devrait être exclu du groupe. Et pourtant, de manière absurde, Tusk reste à la tête du PPE, alors que Fidesz en est toujours membre.

Les liens que von der Leyen elle-même a avec le PPE (et la CDU) ne font probablement qu’empirer les choses. Elle semble incapable de faire face à ce qui constitue le plus grand défi démocratique interne auquel l'UE ait connu depuis sa fondation. D’autres avant elle – notamment son prédécesseur à la tête de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lui aussi du PPE – ont privilégié la discrétion face aux attaques d’Orbán contre la démocratie, en dépit de l’échec complet de ce type d’approches timorées. Pas plus von der Leyen que Juncker ne semble avoir compris qu’un dirigeant autoritaire fait son miel de la faiblesse d’autrui.

D’autres dirigeants à tendance autoritaire à travers l’Union européenne ont pris bonne note de la mollesse de cette dernière. Le parti au pouvoir en Pologne, qui a longtemps considéré Fidesz comme son modèle, poursuit ses efforts pour porter atteinte à l’indépendance de la justice polonaise, tandis que la Bulgarie cherche à museler la liberté d’expression.

Cette gangrène tend à se propager lorsqu’elle ne rencontre aucune résistance. Les aspirants dictateurs profitent de la faiblesse qu’ils trouvent en face d’eux. À présent, les dirigeants de l’UE et des États membres doivent se poser cette question : l’Union européenne est-elle seulement un bloc d’échanges commerciaux, ou est-elle également un ensemble de démocraties ? Jusque récemment, la réponse à cette question était une évidence. Ce n’est malheureusement plus le cas.

Dix millions de citoyens de l’UE vivent désormais sous le joug d’un régime autoritaire. Combien de millions d’autres devront subir la perte de leurs libertés avant que les dirigeants européens ne se décident à y mettre le holà?

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