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Le Maroc et l’Algérie s’accordent au moins sur une chose : museler les journalistes

Deux procès soulignent les menaces sur la liberté de la presse

Le journaliste algérien Khaled Drareni (à gauche) et le journaliste marocain Omar Radi (à droite), visés en 2020 par des poursuites dans leurs pays respectifs. © Privé (photo de Drareni) - © Fanny Hedenmo (photo de Radi)

Le Maroc et l’Algérie, pays voisins et rivaux, sont séparés par une des frontières terrestres fermées les plus longues du monde, sont en perpétuelle compétition diplomatique, et s’insultent mutuellement chaque jour dans des médias proches des autorités.

Pourtant, les poursuites judiciaires récemment engagées contre des journalistes mettent en lumière un point que les deux pays ont en commun depuis fort longtemps. La constitution algérienne, de même que la loi sur la presse marocaine de 2016, ont beau claironner qu’aucun délit de presse ne saurait être passible de prison, les deux États viennent d’accabler des journalistes connus par tous les moyens judiciaires, tout en prétendant respecter la liberté de la presse. Le mode opératoire du Maroc est de lancer une kyrielle d’accusations criminelles contre le journaliste ciblé, tandis que les autorités algériennes préfèrent recourir à des délits que le code pénal définit de façon très vague.

Le 3 août, un tribunal d’Alger a jugé Khaled Drareni, en prison depuis mars, pour « atteinte à l’intégrité nationale » et « provocation à attroupement illégal ». Le procureur a requis quatre ans de prison ; le verdict est attendu pour le 10 août.

A Casablanca, les autorités ont emprisonné Omar Radi le 29 juillet, après l’avoir interrogé à 12 reprises en quatre semaines. Il est prévu qu’il comparaisse devant un juge d’instruction le 22 septembre, sous les inculpations d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État à travers des relations avec des agents étrangers, d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État à travers la réception de fonds étrangers, ainsi que de viol.

Drareni, qui est correspondant à Alger de TV5 Monde et de Reporters sans frontières, mais aussi cofondateur de casbah-tribune.com, semble avoir irrité les autorités par sa façon de couvrir le Hirak, un mouvement de protestation toujours en cours. Il a publié sur les médias sociaux des vidéos des manifestations hebdomadaires massives réclamant des réformes politiques qui, au printemps 2019, avaient forcé le président Abdelaziz Bouteflika à démissionner. Or les publications de Khaled Drareni, qui documentent extensivement et pacifiquement le mouvement Hirak sur Facebook et Twitter, où il est suivi par 140 000 personnes, constituent l’essentiel des preuves à charge contre lui, ont confié ses avocats à Human Rights Watch.

Quant à Omar Radi, qui enquête sur des sujets comme la prédation foncière ou la corruption de l’État, il y avait longtemps que les autorités marocaines affutaient leurs armes contre lui. En juin, Amnesty International a révélé que le téléphone de Radi avait été infiltré par le logiciel espion Pegasus ; les autorités ont nié toute implication. En mars, un tribunal lui a infligé une peine de quatre mois de prison avec sursis pour un tweet publié un an plus tôt, critiquant un juge pour les dures peines qu’il avait prononcées à l’encontre d’activistes.

Mais au vu de l’accumulation d’inculpations disparates, accompagnées d’une campagne de diffamation menée dans des médias réputés proches des services de sécurité marocains, les poursuites contre Omar Radi ont tout l’air d’une tentative pour le briser et intimider d’autres dissidents. Cela dit, l’allégation de viol devra être traitée sérieusement et faire l’objet d’une enquête approfondie et équitable, surtout dans le contexte d’une affaire aussi politisée, où les observateurs pourraient tirer des conclusions hâtives.

Les autorités algériennes et marocaines s’opposent certainement dans beaucoup de domaines. Mais pour ce qui est de détester les journalistes et commentateurs qui osent s’exprimer librement, elles sont sur la même longueur d’onde.

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