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Symposium sur les Rohingyas : Une stratégie pour une action forte du Conseil de sécurité vis-à-vis du Myanmar

Publié dans: OpinioJuris
Le siège de l'ONU à New York, photographié le 28 septembre 2019.  © AP Photo/Jeenah Moon
Le siège de l'ONU à New York, photographié le 28 septembre 2019.  © AP Photo/Jeenah Moon

Il y a trois ans, mon organisation, Human Rights Watch, a commencé à rapporter des informations sur la campagne brutale de l’armée birmane, appelée « Tatmadaw », qui  a commis d’innombrables atrocités et a forcé plus de 740 000 Rohingyas musulmans à fuir vers le Bangladesh. En septembre 2018, la Mission d’enquête internationale indépendante de l’ONU appelait à ouvrir une enquête judiciaire sur les généraux de la Tatmadaw pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.

Ces conclusions dévastatrices ont provoqué certaines avancées fondamentales de la part des organes internationaux. Cependant l’organe doté de l’autorité nécessaire pour réagir à cette crise grâce à ses résolutions contraignantes, le Conseil de sécurité de l’ONU, est le grand absent de ce dossier. Le communiqué du président du Conseil datant de novembre 2017 demeure le dernier document officiel à avoir été émis. Aucune session officielle du Conseil ne s’est tenue à propos du Myanmar depuis février 2019, alors que seules neuf voix sont nécessaires pour cela et qu’il n’y a aucun véto possible sur des points de procédure tels que l’ordre du jour du Conseil.

En novembre dernier, la Gambie a porté plainte contre le Myanmar devant la Cour internationale de Justice (CIJ), alléguant que le pays avait violé plusieurs dispositions de la Convention sur le génocide. Deux mois plus tard, la Cour a adopté à l’unanimité des « mesures conservatoires » ordonnant au Myanmar de protéger du risque de génocide les 600 000 Rohingyas restants dans l’État de Rakhine. Également en 2019, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête judiciaire sur le crime contre l’humanité qu’est la déportation : elle en avait le pouvoir puisque nombre de Rohingyas sont entrés au Bangladesh, un pays membre de la CPI. En Argentine, un groupe d’organisations de défense des droits humains rohingyas et latino-américaines ont déposé plainte au pénal contre des hauts dirigeants militaires et civils.

Malgré ces mesures importantes sur la scène internationale, ce qui est frappant, c’est ce qui demeure inchangé, trois ans plus tard. Le conflit de plus en plus intense entre la Tatmadaw et l’Armée de l’Arakan dans l’État de Rakhine a mis une fois de plus en évidence les tactiques brutales des militaires, les civils étant les premiers à en subir les conséquences. Les minorités ethniques de tout le Myanmar – les Rakhine, Chin, Shan, Kachin, Karen, Karenni, Mon et Rohingya, entre autres – sont depuis longtemps la cible de campagnes de l’armée marquées par la brutalité et les abus.

Les Nations Unies ont exprimé leur inquiétude croissante. En avril, Yanghee Lee, alors Rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains au Myanmar, concluait que « le comportement de la Tatmadaw à l’encontre de la population civile des États de Rakhine et de Chin constitue sans doute des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ». En juin, la Haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, s’est dite inquiète de l’intensification du conflit et a sonné l’alarme sur les incendies volontaires signalés, provoqués par la Tatmadaw dans « des zones où, d’après des témoins oculaires et des images satellitaires, existaient auparavant une dizaine de villages rohingyas [...] ».

En juillet, l’actuel Rapporteur spécial sur la situation des droits humains au Myanmar, Tom Andrews, a dit « regretter » que l’appel au cessez-le-feu du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, « reste ignoré dans de nombreuses régions du Myanmar, et [que] le coût en soit si élevé en termes de vies et de souffrances humaines ». De même, dans sa note de politique de juillet portant sur l’impact du Covid-19 en Asie du Sud-Est, Guterres a averti que les hostilités au Myanmar « continuaient à déplacer des communautés, à infliger des pertes et à réduire l’accès de l’aide humanitaire ».

Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et l’Assemblée générale de l’ONU, dans leurs résolutions annuelles respectives, se déclarent régulièrement « vivement préoccupés » par les graves violations des droits humains en cours et appellent le Myanmar à améliorer la situation. Par contre, le silence du Conseil de sécurité est assourdissant – et n’est pas sans conséquences.

L’année dernière, le rapport commandé par l’ONU sur l’implication des Nations Unies au Myanmar de 2010 à 2018, dirigé par Gert Rosenthal, a conclu que, « en raison de l’absence d’appui de la part du Conseil de sécurité, qui est fréquemment entravé à cause de sa composition et de son système de gouvernance, les options dont disposent les Nations Unies pour s’attaquer au problème d’une manière conforme à ses valeurs et principes sont souvent assez limitées ».

Les sceptiques estiment que la fameuse polarisation existant parmi les cinq membres permanents empêche le Conseil de sécurité de passer à l’action. Mais ce point de vue ignore le fait que le Conseil de sécurité est une puissante plateforme permettant d’attirer l’attention sur la situation des droits humains au Myanmar, qui, comme Rosenthal le fait justement remarquer, peut se transformer en menace envers la paix et la sécurité internationales.

Le débat public au sein du Conseil fait en sorte que le monde ne détourne pas les yeux du Myanmar et donne l’occasion aux membres du Conseil de sécurité qui ont conscience du problème de continuer à alerter sur la nécessité de rendre justice pour les crimes graves, y compris en renvoyant la situation toute entière devant la CPI. Même sans action de la part du Conseil de sécurité, ces messages ont une importance aux yeux des victimes et des survivants. Or ne vous y trompez pas : ils sont bien entendus et compris au Myanmar.

Les préoccupations exprimées par les membres du Conseil de sécurité sont particulièrement importantes au vu de l’ordonnance de la CIJ portant sur les mesures conservatoires et intimant au Myanmar de protéger les Rohingyas du génocide. Une session officielle donnerait aux États membres, dont le Niger et la Tunisie, membres de l’Organisation de la coopération islamique, une opportunité de haut niveau pour poser des questions et exprimer leurs préoccupations – enregistrées officiellement par le Conseil – à propos des actions concrètes entreprises par le Myanmar pour appliquer les mesures conservatoires adoptées à l’unanimité par la Cour.

Il existe d’autres moyens, encore peu explorés, d’exercer une pression accrue sur le Conseil de sécurité.

Dans leurs résolutions, le Conseil des droits de l’homme et l’Assemblée générale des Nations Unies se disent préoccupés de la situation des droits humains et font des recommandations au Myanmar pour que le pays se conforme à ses obligations internationales.

Mais ces résolutions pourraient se montrer plus explicites pour pousser le Conseil de sécurité à agir vis-à-vis du Myanmar. Cette approche a fait ses preuves par le passé. En réponse aux abus épouvantables exposés en détail dans le rapport accablant d’une commission d’enquête de l’ONU sur la Corée du Nord, le Conseil des droits de l’homme aussi bien que l’Assemblée générale avaient déjà adopté une approche plus dirigée vis-à-vis du Conseil de sécurité, se félicitant qu’il tienne compte de la situation des droits humains et l’encourageant à « prendre les mesures appropriées pour veiller à ce que les responsables répondent de leurs actes ».

Par ailleurs, comme le recommande Rosenthal, le secrétaire général Guterres devrait faire usage de l’article 99 de la Charte de l’ONU, qui lui permet d’« attirer l'attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales », d’exprimer sa préoccupation sur la situation sécuritaire et humanitaire au Myanmar ainsi que sur les violations des droits humains qui y sont liés.

Or c’est ce que Guterres a fait explicitement dans sa lettre de septembre 2017 au Conseil de sécurité, où il se disait inquiet de la crise des Rohingyas. Utiliser l’article 99 permettrait à l’ONU d’élever sa voix au Myanmar et serait en adéquation avec le récent « appel à l’action en faveur des droits humains » du Secrétaire général.

À court terme, il est urgent d’améliorer la situation des droits humains au Myanmar aujourd’hui, mais à long terme également, il faut améliorer la démocratie et la bonne gouvernance dans le pays. Voilà pourquoi il est essentiel que les organes des Nations Unies, à New York et à Genève, agissent de façon concertée et durable pour protéger les innombrables civils du Myanmar dont la vie reste en danger.

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